Le 20 janvier dernier, Cristiano Ronaldo aurait, selon certains, dépassé Josef Bican en inscrivant son 760e but en carrière. Nous y reviendrons plus tard, mais les chiffres varient en fonction des bases de données et des compétitions prises en compte et c’est là que réside la complexité du débat – si cela en est un. Qui est donc Josef Bican ? Joueur plutôt méconnu du grand public, il fut pourtant un très grand joueur qui aurait marqué environ 800 buts en 500 matchs. Un ratio incroyable pour un attaquant qui n’est (malheureusement) pas resté dans la mémoire collective.
Josef Bican, surnommé “Pepi”, est né le 25 septembre 1913 à Vienne dans ce qui était à l’époque – et jusqu’en 1918 -, l’Empire austro-hongrois. Il est mort il y a presque vingt ans, le 12 décembre 2001 à Prague à l’âge de 88 ans – dans un anonymat quasi-complet. Josef Bican grandit au sein d’une famille pauvre. Son père est lui-même footballeur et joue au Hertha Vienne – club qui disparaît en 1940 -, mais décède prématurément en 1921 alors que Josef n’a que 8 ans. Sa mère travaille dans un restaurant, mais la vie est difficile sans son père František. Bican intègre l’académie du Hertha Vienne en 1925 à l’âge de 12 ans. La machine se met en marche puisqu’il se révèle être un buteur redoutable enfilant les buts dès son adolescence.
Nous avons peu de sources, mais les seules traces restantes décrivent un joueur très technique, très rapide – l’un des meilleurs athlètes du football au début des années 30 -, ambidextre muni d’une très bonne vision de jeu. À 18 ans, il est repéré par le Rapid Vienne, le meilleur club du pays. Josef Bican devient alors professionnel et joue immédiatement en équipe première. Il n’est pas titulaire, mais marque 40 buts en 36 matchs durant ses deux premières saisons. Au terme de la saison 1932-1933, il est vice-champion d’Autriche. La saison suivante, il dispute les 22 matchs de championnat et inscrit 29 buts et finit meilleur buteur. Son équipe finit de nouveau deuxième et atteint la finale de la coupe d’Autriche.

À l’été 1934, se tient la deuxième Coupe du monde de l’histoire et l’Autriche de Josef Bican y participe. Cependant, il n’est pas la star de cette Wunderteam (appelée ainsi, car elle développait un merveilleux jeu grâce à certains meilleurs joueurs de l’époque et entraînée par un très grand : Hugo Meisl), car son coéquipier Matthias Sindelar fait partie des meilleurs joueurs du monde à ce moment-là. Bican prend part néanmoins à tous les matchs et inscrit même le but décisif lors du premier match face à la France. La sélection autrichienne justifie son statut en atteignant les demi-finales échouant face au futur vainqueur : l’Italie de Giuseppe Meazza.
Les trois saisons suivantes sont moins bonnes sur le plan statistique, mais marque tout de même un but tous les deux matchs en moyenne (?!). “Pepi” Bican participe au succès de ses équipes puisqu’il part à l’Admira Vienne (aujourd’hui Admira Wacker) en 1935, alors qu’il vient de remporter le championnat d’Autriche pour la première fois avec le Rapid. Cela ne l’arrête pas, car sa nouvelle équipe est couronnée championne en 1936 et 1937.
Josef Bican décide alors de quitter son Autriche natale pour rejoindre le Slavia Prague, l’un des meilleurs clubs d’Europe. Le succès est immédiat et tel qu’il devient citoyen tchécoslovaque et prétend à jouer pour la sélection, car celle autrichienne disparaît momentanément au profit de l’Allemagne suite au contexte de l’Anschluss. Dès sa première saison avec le Slavia, il est sacré meilleur buteur du championnat – son équipe termine deuxième derrière le Sparta -, et surtout meilleur buteur de la Coupe Mitropa avec 10 buts en 8 matchs. Compétition qu’il remporte. Son équipe (et lui) est sur le toit de l’Europe. Durant l’été, il ne peut pas participer à la Coupe du monde 1938 en France, vraisemblablement à cause de problèmes administratifs. La Tchécoslovaquie, sans lui, échoue en quarts de finales face au Brésil.

Durant plus de dix ans et malgré un contexte très difficile, celui de la guerre, Josef Bican va enfiler les buts au sein du championnat tchécoslovaque. De 1937 à 1949, il marque 533 buts en 277 rencontres toutes compétitions confondues. En championnat, il a inscrit 412 buts en 217 matchs, en coupe nationale, il a trouvé le chemin des filets à 109 reprises en 48 rencontres et sur le plan européen : 10 buts en 12 matchs. Des statistiques hallucinantes (il n’ y a pas de mots pour décrire de tels standards) qui lui permettent légitimement d’attirer les faveurs de toute l’Europe, mais surtout en Italie où sa côte est excellente (en espérant qu’elle l’était dans le monde entier). Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les clubs sont décimés et sont à la recherche du joueur providentiel. C’est ainsi que la Juventus Football Club souhaite absolument enrôler Josef Bican. Malheureusement pour les Bianconeri (et peut-être pour le football), “Pepi” refuse pour des raisons politiques – il ne voulait pas être instrumentalisé.
Il ne faut pas oublier que durant les années 30 et 40, de nombreux sportifs ont servi de vitrines pour certaines politiques. À l’instar de Gino Bartali et Fausto Coppi en Italie, Josef Bican fut approché par le parti Nazi d’Autriche dans les années 30 et par le parti communiste tchécoslovaque dans les années 40. Bican fut apolitique et refusa toutes invitations. Cela ne l’empêche pas de continuer de jouer pour le Slavia jusqu’en 1949, puis dans trois autres clubs tchécoslovaques. Il termine sa carrière en 1955 à l’âge de 42 ans au Dynamo Prague – club qui fusionna avec le Slavia en 1965. Il tente une carrière d’entraîneur, mais ne connaît pas le succès et arrête dès 1960, malgré une expérience belge à la fin des années 60 et le début des années 70.
Un joueur né à la mauvaise époque ?
Il est évidemment difficile de refaire l’histoire, car selon nos sensibilités, nos jugements peuvent être partiaux. Toutefois, il semble raisonnable d’affirmer que Josef Bican a vécu au mauvais moment. Il s’agit là seulement de constater footballistiquement le joueur qu’il était. La professionnalisation encore balbutiante ainsi que le contexte de la guerre font que Bican voit sa postérité aujourd’hui entachée. Tentons d’imaginer un scénario différent. S’il avait vécu et joué dix ans plus tard, “Pepi” aurait pu côtoyer et surtout se mesurer face à des joueurs comme Ferenc Puskás ou Alfredo Di Stéfano. On imagine également qu’il aurait pu jouer dans un grand club européen tel que le FC Barcelone pour devenir le coéquipier de l’immense László Kubala.

Il aurait peut-être eu des statistiques moins folles, mais son époque lui aurait conféré une autre trace dans l’histoire. Aujourd’hui, Josef Bican n’est sûrement pas reconnu à sa juste valeur et nous l’estimons seulement à travers son statut de meilleur buteur de l’histoire. Sa postérité aurait été toute autre s’il avait fait étalage de son incroyable talent quelques années plus tard. Mais tout ceci n’est que le fruit de notre imagination…
Quelle est donc cette histoire de records ?!
Cristiano Ronaldo – et peut-être bientôt Lionel Messi -, a fait trembler tellement de fois les filets qu’aujourd’hui, un sujet revient sur la table : celui des plus grands buteurs de l’histoire. Depuis les débuts du sport, il y a beaucoup de choses qui ont changé. Il est facile pour nous de compter le nombre de buts qu’a marqué CR7, mais pour certains joueurs du passé, c’est plus difficile. C’est pour cela que les nombres varient entre différents instituts statistiques qui établissent les données des plus grands joueurs du passé et du présent.

Josef Bican aurait inscrit 805 buts, 821 pour la fédération de football tchèque, et donc serait devant Cristiano Ronaldo, mais si l’on enlève les buts qui n’ont pas été marqués en professionnel, nous en comptabilisons 759 selon l’actualité récente. Depuis, la FIFA, la Fédé tchèque (FAČR), l’IFFHS (International Federation of Football History & Statistics) et la RSSSF (Recreational) Sport Soccer Statistics Foundation), ont contesté cette affirmation en déclarant que Josef Bican avait effectivement marqué au moins 805 buts faisant de lui le meilleur buteur de l’histoire. Si l’on se réfère à ce classement (qui prend en compte tous les buts marqués dans des compétitions officielles et reconnues par la FIFA), Cristiano Ronaldo est donc deuxième avec 778 buts en 1077 matchs. Romário est troisième. Pelé est quatrième et Lionel Messi est cinquième avec 747 buts en 951 matchs – il vient de dépasser Ferenc Puskás hier soir en Copa del Rey.
Josef Bican était donc un immense joueur de football et aurait mérité une plus grande reconnaissance dans l’histoire. Malgré une petite postérité, d’autres immenses joueurs comme Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi permettent de parler de lui et c’est déjà une belle victoire.
(Photo de couverture : slavia.cz)