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Retour en terrain connu : l’inévitabilité de Tom Brady

On pensait avoir tout vu. Il nous avait tout montré. Tout ce qu’un quarterback puisse possiblement réaliser en une carrière, et bien plus encore. Sa légende faite, parfaite et certainement plus à refaire, Tom Brady a ineffablement ajouté à son mythe.

Tour à tour ses contemporains se sont frottés à lui, un à un il les a accablés. Peyton Manning, d’un an son aîné, est à la retraite depuis si longtemps qu’il sera intronisé au Hall of Fame, parmi les déités du football, le 8 août prochain. Philip Rivers et sa fougue contagieuse devaient le renverser, ses crampons sont également raccrochés. Ben Roethlisberger n’est plus que l’ombre de celui qui avait connu la seule entrée dans la ligue comparable à la sienne. 

Il s’est personnellement chargé d’entériner la vie footballistique de Drew Brees et a fait contempler un instant sa mortalité à Aaron Rodgers qui, de son propre aveu, est “tellement plus talentueux” que lui. Après une saison en NFC, il a déjà remporté la conférence autant de fois que chacun d’eux. Tel est Tom Brady, inépuisable, immuable, indéfectible.

Un quarterback pas comme les autres

Quand certains se font justement réprimander pour supposer que protester contre les injustices pendant l’hymne national n’est pas acceptable, Tom peut s’afficher avec une casquette à la gloire d’un despote raciste et demeurer adulé de ses coéquipiers. 

Tom peut se faire l’avocat d’un homme accusé de multiples agressions sexuelles et violence conjugale, sans que son image n’en soit pour le moins écornée. 

Tom est le joueur le mieux payé de l’histoire de la NFL – avant les virements de la famille Hunt à Patrick Mahomes -, mais n’est que la seconde source de revenu dans son propre foyer. Le plus grand quarterback de tous les temps, qui a vu 198 autres joueurs sélectionnés avant lui à la draft. À bien des égards, Brady est la plus invraisemblable anomalie que le sport américain ait jamais créée. 

En 19 saisons complètes disputées, il aura mené 14 fois son équipe en finale de conférence et 10 fois au Super Bowl. Ce dimanche se jouera la 55e finale de l’ère moderne de la NFL, Tom Brady aura participé à 18% d’entre elles.

John Elway est le deuxième quarterback ayant disputé le plus de Super Bowls, avec… cinq apparitions. Brady a également joué deux fois plus de finales de conférences et gagné deux fois plus de matches de playoffs (33) que Joe Montana (16). Une victoire dimanche lui donnerait plus de titres que Montana et Elway, à eux deux.

Ses accomplissements sont impensables, inintelligibles et incomparables à ceux de quiconque dans l’histoire du jeu. Sa longévité aussi. Son coordinateur offensif était encore à l’université quand lui remportait son premier titre en NFL. Ses équipes ont atteint quatre fois le Super Bowl depuis que Peyton Manning a pris son dernier snap. Il est à une victoire d’avoir autant de titres après 37 ans que tous les autres quarterbacks à avoir réalisé pareil exploit (Johnny Unitas, John Elway et Peyton Manning).

Peu de sportifs parviennent à vieillir gracieusement, encore moins au football. Le jeu est trop brutal. Brady ne vieillit pas seulement avec grâce, il tutoie la sénescence, lui crache à la figure, la mâche et la recrache. Il l’écrase à coup de glace à l’avocat et d’électrolytes, un verre d’eau à la fois, avec une absence de vergogne qui rendrait jaloux Benjamin Button. 

Peut-on même parler d’apogée quand il a plus de victoires en playoffs après 35 ans, que n’importe quel autre quarterback sur l’ensemble de sa carrière ? Son désir de jouer jusqu’à 45 ans semblait jadis sot, il paraît désormais inéluctable. Le bougre envisage maintenant d’aller encore au-delà. D’une insolence.

Le butin proclame la victoire

Non, les victoires ne sont pas une statistique pour évaluer les quarterbacks, mais elles écrivent les histoires, bâtissent les légendes. Et Tom Brady est éternel. Il lui arrive de perdre, de temps en temps, mais il n’arrête pas. Jamais. Il est toujours présent. Dans le vaste et harassant récit de la NFL, personne n’a autant personnifié le succès.

Il est absurde qu’un quarterback avec six bagues de champion puisse encore soigner son héritage, mais cette saison a consacré sa place, seul, au sommet de la riche histoire du sport. Cette saison marquée par la pandémie la plus rude depuis un siècle, celle dont on a douté qu’elle irait à son terme, celle qui l’a vu évoluer sous un nouveau maillot pour la première fois de sa carrière. Celle-là est la plus extraordinaire de toutes. 

Cette saison où il a conduit au Super Bowl une franchise qui ne s’était pas qualifiée en playoffs depuis 13 ans, dans un nouveau système offensif, avec de nouveaux coéquipiers, un entraîneur autre que Bill Belichick et sans le bénéfice d’une présaison. 

Un an en arrière, le départ de Brady des Patriots paraissait tout juste concevable. Son arrivée à Tampa était accompagnée d’une question : pouvait-il encore le faire, gagner ? Et puis le mois de novembre est arrivé. Les trois défaites en quatre matches, les déclarations passives-agressives de Bruce Arians, les doutes. Innocents que nous sommes. Le GOAT est indubitable. 

La répétition de prouesses fait courir le risque d’une lassitude dans l’appréciation, d’une routine dans la perception. Est-ce si complexe d’atteindre le Super Bowl, lorsqu’une franchise, un joueur et un entraîneur y parviennent une saison sur deux ? 

En quittant la Nouvelle-Angleterre, Brady a rompu la routine et donné une autre dimension à sa monumentale carrière. Un nouveau chemin pour que sa grandeur soit dûment estimée. Les 13 ans sans playoffs des Buccaneers était la deuxième plus longue série en cours de la ligue et aucune équipe n’avait jamais disputé le Super Bowl à domicile. Alors que se profile le meilleur quarterback du monde, à la tête des champions en titre et meilleure équipe de la ligue depuis trois saisons, on ose à peine murmurer qu’ils seraient favoris.

Là est le plus grand attribut de Tom Brady : qu’il rende l’impossible, non seulement possible, mais inévitable. 

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