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Le biathlon allemand patine

L’Allemagne fait partie avec la France et la Norvège des grandes nations du biathlon. Mais, cette année, les pistes ne semblent plus sourire à nos concurrents de l’autre côté de Rhin. Parité oblige, cette situation impacte l’équipe féminine comme masculine. Qu’elles sont les raisons de la baisse du niveau du biathlon allemand ?

Le pays du biathlon par excellence

Si l’on prend la France, la population a commencé à s’intéresser au biathlon récemment. Les plus anciens se sont passionnés pour la discipline lorsque Raphael Poirée a commencé à ramasser des titres. Mais c’est avec Martin Fourcade que la ferveur a grandi. En Allemagne, la passion pour ce sport date de bien plus longtemps. Elle est presque entrée dans les mœurs du pays, comme cela peut être le cas en Norvège.

En effet, sur le circuit coupe du monde, 2 weeks-ends de compétition se déroulent en Allemagne dans des sites considérés pour beaucoup comme les « Mecques » du biathlon. A Oberhof et Ruhpolding, ils sont des dizaines de milliers à venir assister aux courses le temps d’un week-end. Mais, preuve de sa popularité, une épreuve d’exhibition en équipe se tient tous les ans à Gelsenkirchen. Pour l’occasion la Veltins Arena, stade de football au toit amovible de Schalke 04, se pare de blanc. Des dizaines de tonnes de neige sont fabriquées et déposées au cœur de la Ruhr pour permettre à la compétition de se dérouler correctement. Fin 2019, elle s’est déroulée dans un stade à guichet fermé, soit 46 412 fans.

La Veltins Arena transformée le temps d’un week-end en piste de biathlon (source : Biathlon auf Schalke)

Et si en France L’Equipe 21 diffuse le biathlon en clair depuis 2015, en Allemagne, c’est Das Erste et ZDF, soit la 1ère et 2ème chaine de télévision publique, qui diffusent en clair des différentes compétitions tous les weeks-ends. En 2019, il y avait une moyenne de 3.7 millions de téléspectateurs par course. Et ils étaient respectivement 4.27 et 4.98 millions à regarder la mass-start femmes et relais hommes de l’étape d’Antholz en plein samedi après-midi.

Des titres en pagaille

Il faut savoir que malgré des origines présentes dès les premiers jeux olympiques d’hiver à Chamonix en 1924, le biathlon reste une discipline jeune. Elle a vu le jour dans les années 60 sous son nom actuel. A l’époque, seule l’épreuve individuelle existait. Les autres épreuves ont été rajoutées par la suite pour en faire un sport plus « spectaculaire ».

Lors du lancement de ce sport, la République Démocratique d’Allemagne régnait sur les compétitions. Les 11 premiers gros globes masculins ont été remportés par des athlètes allemands (10 pour la RDA, 1 pour la RFA). Cette domination s’est ralentie dans les années 90, puis éteinte lors du commencement du duel Raphael Poirée – Ole Einar Bjorndalen. Celui-ci lance le début de la domination sur la discipline franco-norvégienne qui dure désormais depuis le début des années 2000. Mais malgré tout, un seul vainqueur du gros globe n’est pas de ces deux pays depuis : Michael Greis au cours de la saison 2006-2007. Il est bien évidemment allemand.

Chez les femmes, cette domination arrive plus tard. Mais les allemandes dominent la discipline entre le début des années 2000 et 2018, avec en tête d’affiche d’une équipe homogène, Madgalena Neuner puis Laura Dahlmeier.

Avec 14 gros globes chez les hommes, l’Allemagne est le pays le plus titré. Chez les femmes, elles sont le 2ème avec 7 titres. Même au niveau du nombre de victoires par athlètes, ils survolent les débats. Dans le top 10 femmes comme hommes, ils sont 5. Quant aux relais olympiques, l’Allemagne n’a pas été sur le podium uniquement à deux reprises : en 1968 année de lancement et en 2010 pour les hommes, et lors des 2 dernières éditions pour les femmes. Lors du relai hommes des Jeux-Olympiques de Lake Placid en 1980, il y aura même eu l’exploit de réussir à faire un podium avec l’Allemagne de l’Est en 2 et celle de l’Ouest en 3.

Podium du relais hommes des Jeux Olympiques de Lake Placid. Derrière l’URSS, la RDA et la RFA.

Des difficultés grandissantes

Néanmoins, depuis quelques années, l’Allemagne ne rivalise plus avec les meilleurs mondiaux. Si elle était habituée à placer au moins un athlète dans le top 5 hommes, voir mieux, elle n’a cette année pour l’instant personne de présent dans le top 10 pour la première fois depuis 1992. Chez les femmes, n’est présente que Franziska Preuss, bien loin des 4 allemandes présentes dans le top 5 en 2008.

Le temps de ski en faiblesse principale

Avec des temps de ski inférieurs aux meilleurs du circuit, les allemands sont voués à attendre les fautes au tir de leurs adversaires. Lorsqu’il s’est imposé sur la mass-start d’Hochfilzen, Arnd Peiffer avait réalisé un tir parfait. Il n’avait pourtant qu’une petite seconde d’avance sur son poursuivant Martin Ponsiluoma, auteur d’un 19/20, et uniquement 26 sur Johannes Boe, qui avait fait 3 fautes. Face à une telle fusée, le tir parfait n’est pas toujours suffisant.

Cette problématique est moins présente chez les dames avec Denise Hermann venant du ski nordique. Malgré un niveau de ski en légère baisse, elle reste dans les meilleures du circuit sur ski. Mais son tir reste trop juste pour accrocher régulièrement des podiums. Franziska Preuss a, quant à elle, un peu les mêmes problématiques que les hommes. Son niveau de ski l’oblige à attendre les fautes des autres.

Chez les hommes, le niveau de tir permet des exploits. Arnd Peiffer a le 6è taux de conversion de la compétition. Chez les femmes, Denise Hermann n’est même pas dans les 50 premières. Franziska Preuss est quant à elle 24ème, avec des athlètes comme D. Wierer, M. Roeiseland ou H. Oeberg devant elle.

« Nous pouvons ponctuellement les battre, nous avons déjà réussi à le faire. »

Arnd Peiffer au Suddeutsche-Zeitung

Une équipe vieillissante

L’un des problèmes de l’équipe réside dans le passement de générations. Les meilleurs biathlètes se font vieillissants. Arnd Peiffer (12), Benedikt Doll (13) et Erik Lesser (14) sont tous trentenaires. Simon Schemp vient d’annoncer sa retraite. Il était le dernier médaillé olympique du pays et ne s’est pas remis d’une blessure qu’il a trainé pendant plusieurs années. Après avoir essayé de revenir le 1er week-end d’Oberhof, il avait de nouveau été sorti de l’équipe. Si ses tirs étaient satisfaisants, son niveau de ski ne lui permettait plus de rivaliser avec les meilleurs mondiaux (58ème et 45ème). Et ceux qui pourraient être considérés comme la « relève » du pays (Johannes Kühn, Philipp Horn et Roman Rees) n’ont pas les résultats que l’Allemagne pourrait espérer d’athlètes de leur âge. En effet, ayant respectivement 29, 26 et 27 ans, ils n’ont plus une marge de progression suffisante pour être le futur du pays.

Simon Schempp battu sur le fil par Martin Fourcade lors de la mass-start des Jeux Olympiques de Pyeongchang en 2018 (crédit : F. Seguin/L’Équipe)

Chez les femmes, la problématique est moins importante avec une équipe ayant une moyenne d’âge bien plus faible (29.6 chez les hommes contre 27 chez les dames). De plus, leur athlète la mieux classée Franziska Preuss (6) n’a que 26 ans et donc encore ses meilleures années devant elle. Néanmoins, la génération dorée qui sévissait il y a encore quelques années semble ne pas avoir de successeurs. La retraite très précoce de Laura Dahlmeier en 2019, après avoir déjà tout gagné à 25 ans, a stoppé le cycle de victoires des allemandes. Un arrêt précoce bien regrettable tant elle pourrait encore dominer la discipline.

Laura Dahlmeier aux Jeux Olympiques de Pyeongchang (crédit : C. Pallot/Agence Zoom)

Ce vieillissement ne passe pas inaperçu auprès des athlètes. Ainsi, après sa poursuite Simon Schempp critiquait ce phénomène sur Das Erste. Il le lit également au manque de relève jeune.

« Lorsque l’on regarde les dernières années de la coupe du monde, pas un seul jeune de 20 ou 21 ans n’est arrivé. C’était complétement différent avant. Il y a là une ou plusieurs choses qui ne se sont pas bien déroulés ces dernières années. »

Simon Schempp

Même au niveau européen, les allemands ne sont pas la nation qui domine la discipline. Lors des championnats d’Europe, seul Johannes Kühn, habitué du circuit coupe du monde a fait un podium. En IBU, on en retrouve parfois dans le top 10, mais le niveau d’exigence en coupe du monde est bien plus élevé. Ainsi, Lucas Frazscher, 1er du classement de l’IBU Cup lors de la saison 2019-2020 n’a pas réussi à franchir le cap en coupe du monde pour la nouvelle saison. Son meilleur résultat y est une 41ème place lors de la poursuite d’Hochfilzen. Nombreux sont ceux qui suivent ses traces et font des allers-retours entre IBU-cup et coupe du monde sans y performer régulièrement.

Un manque de nouveaux talents depuis plusieurs années qui a une conséquence directe : le nombre de podiums et de victoires est en chute libre.

Graphique montrant l’évolution du nombre de podiums et de victoires chez les hommes et les femmes depuis 20 ans

L’exception des relais

Belle éclaircie sur la saison des allemands : les relais. Si les hommes ne se sont pas imposés sur cette épreuve, le relai dames a gagné à Oberhof et a fait 2 fois 3ème sur les 4 relais qui se sont déroulés cette année. Le relai hommes a quant à lui, fait 2 fois 3ème en début de saison. Et que ce soit chez les dames comme les hommes, ils ne sont jamais sortis du top 5.

C’est l’épreuve sur laquelle les allemands restent les plus réguliers dans le temps. Cela peut être lié à leur niveau de tir et de ski globalement bon pour l’ensemble de l’équipe. Cela permet de rivaliser avec les meilleures nations tant que le tir est réussi, tout en s’éloignant des nations n’ayant pas une équipe suffisamment homogène pour y performer.

D’ailleurs en s’imposant sur le relai simple mixte et s’emparant de l’argent sur le relai mixte aux championnats d’Europe, la potentielle relève a suivi la trace de l’équipe A sur cette discipline.

La faute de la formation ?

La crise relative que semble traverser l’Allemagne est reliée à la formation de leurs athlètes et aux moyens mis en place pour les garder. Car si une équipe vieillit, c’est que les jeunes pour remplacer les plus âgés sont aux abonnés absents. Une des raisons évoquées du manque de jeunes réside au plus bas de la pyramide. Il est difficile d’intéresser les plus jeunes à cette discipline. Comme dans beaucoup d’autres pays européens, ce sont les sports les plus médiatisés qui entrainent le plus d’inscriptions de jeunes. Et comme bien souvent dans ces pays, c’est le foot que les enfants pratiquent.

« En Allemagne, les enfants naissent avec un ballon au pied, en Norvège avec des skis. »

Zibi Szlufcik, entraineur-chef des juniors depuis 2019

Mais la passion des allemands pour le football est loin d’être l’unique raison du manque de jeunes. Une raison bien plus problématique est évoquée par Bernd Eisenbichler : le manque de neige. « L’hiver dernier, avec peu de neige et la situation actuelle, il n’a pas été plus facile d’attirer les enfants vers le ski en général » et d’ajouter « Nous devons investir de plus en plus résolument dans le recrutement d’athlètes. »

Et lorsque l’on n’a pas un vivier indéfini comme ce peut être le cas dans certains pays nordiques, il est important de gérer au mieux la formation. En Allemagne, les jeunes sortent sur le tard par rapport à d’autres nations comme la Norvège par exemple, avec Johannes Dale et Sturla Holm Laegreid, ou la Suède avec Samuelsson. Tous ont 23 ans et sont pourtant dans les meilleurs mondiaux. En France, Emilien Jacquelin était 5ème l’année dernière à 25 ans. Emilien Claude vient d’être lancé à 21 ans et a réalisé de très belles premières courses.

L’Allemagne n’a-t-elle aucun jeune qui pourrait être lancé à cet âge-là ? Il s’agit du second problème au niveau de la formation allemande : la perte de ses pépites entre les catégories jeunes et les catégories adultes. Si l’on prend les compétitions juniors, il y a un grand nombre d’allemands de présents sur les podiums. Ainsi, la formation n’est pas réellement la cause de la problématique. Avec un bon budget et des aménagements sports-études adaptés, les jeunes performent. Malheureusement beaucoup d’entre eux n’arrivent pas au niveau professionnel.

« Au cours des dernières années, nous avons perdu 24 jeunes athlètes qui avaient auparavant remporté 36 médailles dans des compétitions de jeunes. »

Zibi Szlufcik

Pour l’entraineur des jeunes, plusieurs causes à ce phénomène. Tout d’abord la réorientation professionnelle d’une partie d’entre eux. Comme dans beaucoup de sports, le biathlon ne paye pas forcément suffisamment. Ainsi, quand vient l’heure du choix sport ou études, certains favorisent un futur à plus long terme. Mais, une autre cause serait un mauvais équilibre au niveau des programmes de formation. Les biathlètes seraient trop stimulés trop jeunes. Comme il le dit « Nous ne devons pas brûler les jeunes athlètes avant qu’ils n’arrivent dans la catégorie seniors. »

Pour résoudre ce problème, un nouveau concept de formation est testé. Les entraineurs de ski et de tir des entraineurs de l’équipe A sont intégrés à la formation. L’idée est que les jeunes mettent moins de temps à atteindre le niveau attendu en seniors en favorisant une continuité.

L’Allemagne semble avoir pris conscience de ses problématiques et mettre des choses en place pour inverser la tendance. Néanmoins le coach de l’équipe junior refreine les attentes globales lorsqu’il regarde ses jeunes biathlètes. Leur heure de gloire sur la durée est peut-être terminée. « En ce moment, ce ne sont pas des Neuer ou Dahlmeier. C’étaient des talents du siècle. » Et de rajouter que les changements ne seront pas rapides et qu’il faut plutôt viser des effets à l’échelle de la décennie. Il semblerait que le duel franco-norvégien entamé il y a bientôt vingt ans ait encore de belles années devant lui, si aucune autre nation ne vient jouer les trouble-fêtes entre temps.

crédit photo titre : Manzoni/IBU

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