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Jakov what the Fak ?

Tranquillement, sans faire de bruit, Jakov Fak est en train de s’installer dans le top 10 de la coupe du monde 2020-2021. Celui qui va accueillir dans son fief de Pokljuka les championnats du monde de biathlon réalise une des meilleures saisons de sa carrière à 33 ans. Depuis son trou d’air lors de la saison 2016-2017, le croato-slovène (ou slovéno-croate, au choix) est comme le bon vin : avec l’âge, il gagne en maturité et son récent podium doit avoir encore meilleure saveur pour lui. Retour sur le parcours d’un biathlète complet à l’histoire unique, devenu spécialiste du tir et qui a réussi l’exploit de remporter une médaille olympique pour deux nations différentes.

Le premier croate médaillé en biathlon aux Jeux Olympiques

Non ce n’est pas une blague, Jakov Fak est bien né le 1er Août 1987 à… Rijeka en Croatie (qui était en Yougoslavie à l’époque). Apparu en compétitions internationales en 2002, il débute en coupe du monde en 2006 à Hochfilzen. Même s’il ne marque ses premiers points en coupe du monde qu’à sa troisième année sur le circuit, à Östersund en 2008, il progresse au ski et au tir (se stabilisant en 2009 à 80% de réussite). Au point de réaliser une superbe performance lors de l’Individuelle des championnats du monde de Pyeongchang en 2009, où il remporte la médaille de bronze, sa première médaille en grands championnats.

Jakov Fak obtient la première médaille de l’histoire du biathlon croate en championnats du monde en 2009, à Peyongchang (Crédit : Croatie.org)

Ces très bonnes performances peuvent en partie s’expliquer par sa décision de ne plus s’entraîner en Croatie à partir de 2009, en manque d’infrastructures et de culture biathlon. Il rejoint l’équipe de Slovénie et son entraîneur Uros Velepec. En échange, un accord interne prévoit que Jakov change de citoyenneté après les JO de Vancouver afin de courir pour la Slovénie à partir de fin 2010.

A partir de 2009, Jakov Fak, à droite, s’entraîne avec l’équipe de Slovénie (Crédit : dauphinenordique)

Pour ses premiers Jeux Olympiques à Vancouver, Jakov Fak tire parti des conditions de neige et de vent difficiles sur le sprint, avantageant les premiers dossards. Parti parmi les premiers, Jakov réalise une superbe performance au tir (10/10) et aura donc dû patienter tout le reste de la course pour obtenir une incroyable médaille de bronze du sprint, à 22 ans, qui est de plus la première médaille du biathlon croate !

Fak remporte une improbable médaille de bronze pour la Croatie aux JO de Vancouver en 2010

Un changement de nationalité à résonance politique

A l’aube de la saison 2010-2011, Jakov Fak obtient donc la nationalité slovène et décide donc de courir pour cette nation, respectant son accord avec son coach Velepec. Cette décision intervient après des mois de réflexion sur fond de tension politique entre Slovénie et Croatie, notamment dans les médias. Il faut dire que depuis le démembrement de la Yougoslavie et l’indépendance de la Croatie en 1991, les deux pays s’opposent sur divers sujets politiques, économiques et géographiques.

Pour ses seuls Jeux Olympiques avec la Croatie, Jakov Fak a l’honneur d’être porte-drapeau

Si des cas de changement de nationalité en Croatie ont déjà eu lieu (notamment pour de futurs slovènes), celui de Jakov Fak est particulier. Son sport est inconnu du grand public, même après sa médaille aux mondiaux de Pyeongchang en 2009 où il ne sera médiatisé qu’une petite semaine. L’histoire devient folle lors des JO de Vancouver en 2010. Porte-drapeau de la Croatie, il obtient donc la médaille de bronze du sprint, devançant le 4ème de quelques secondes qui n’était autre que… Klemen Bauer, le meilleur slovène de l’époque ! Dans le cœur des slovènes, qui soutenaient ouvertement Jakov Fak, ce bronze restera comme une demi-médaille.

“This medal belongs to Croatia, and no one can take it away from you. But we did our part, and we expect him to keep up his end of the agreement”

Uros Velepec en 2010

Cette médaille a peut-être fait plus de mal que de bien à Jakov Fak, mis en lumière dans un pays qui découvre alors le biathlon, mais également sa volonté de changer de nationalité. Les médias et les fédérations s’emparent du sujet et font des pieds et des mains pour conserver Jakov, entre promesses et pressions. Finalement, pour des raisons purement sportives, Jakov Fak décide de rejoindre la Slovénie, ses infrastructures, son coach Velepec et un public déjà acquis à sa cause. Une preuve de plus que le sport peut très vite prendre une portée politique…

Une carrière également riche en premières pour la Slovénie

Sous ses nouvelles couleurs, Jakov va continuer de progresser dans les deux domaines du biathlon, ne sortant plus que très rarement du top 30 à skis et atteignant les 85% de précision au tir dès 2011. Dans un paysage du biathlon dominé outrageusement par Martin Fourcade (vainqueurs des gros globes de 2011 à 2018), le slovène va se forger un solide palmarès, tout en faisant progresser le biathlon slovène.

Les mondiaux de Ruhpolding en 2012 sont une grande première pour lui : il y a remporté son premier titre de champion du monde, sur l’Individuelle, avant de remporter une médaille d’argent sur le relais mixte. L’exploit est d’autant plus grand que ce relais est le premier de sa carrière, puisqu’il n’avait pas de partenaires avec qui y participer pour la Croatie ! Cette médaille collective et ce titre sont les premiers pour la Slovénie en biathlon.

Jakov Fak remporte son premier titre mondial à Ruhpolding en 2012, le premier du biathlon slovène, mais aussi l’argent sur le relais mixte

A ces médailles, il convient d’ajouter le bronze sur le Sprint des mondiaux de Nove Mesto en 2013 et un second titre de champion du monde, sur la Mass-Start de Kontiolahti en 2015.

Une carrière construite sur la régularité

L’impression des dernières saisons ne le sous-entend pas, mais Jakov Fak est un très bon skieur. Régulièrement dans le top 10 des temps de ski entre 2011 et 2016, il obtiendra même une fois le meilleur temps de ski d’une course (lors de l’Individuelle d’Oslo en 2015). Il aura souvent été battu par un certain Martin Fourcade puis Johannes Thingnes Boe, au sommet de leur son art sur les skis. Lors de sa meilleure saison, Jakov se classe d’ailleurs deuxième meilleur biathlon du circuit derrière Boe.

Classement des meilleurs skieurs en coupe du monde des saisons 2013-2014 (à gauche) et 2014-2015 (à droite) (Crédit : Realbiathlon)

En revanche, et contrairement à ce qu’on pourrait pensait aujourd’hui, le slovène pêchait plutôt au niveau du tir, où il était généralement dans le ventre mou du classement des tireurs, autour de la trentième place. Lors de sa meilleure saison en 2014-2015, il n’est finalement que le 12ème meilleur tireur de circuit. Il n’atteint le top 10 des meilleurs que lors de la saison dernière en 2018-2019 mais pour ensuite ne plus le quitter (nous y reviendrons dans quelques lignes).

Statistiques au tir couché (vert), debout (bleu) et général (rouge) de Jakov sur l’ensemble de sa carrière (Crédit : Realbiathlon)

Comme le montre le graphique ci-dessus, si Jakov Fak va afficher de bonnes statistiques au tir couché, il est pénalisé par un tir debout parfois capricieux (75% de réussite lors de la saison 2013-2014) où il ne dépassera pas les 85% de réussite en moyenne avant 2018. C’est ce tir qui l’empêchera de toucher les sommets de la hiérarchie plus souvent.

Cette régularité va tout de même permettre à Jakov de remporter 8 courses dans sa carrière (6 victoires en coupe du monde et 2 titres de champions du monde) en 2011 et 2015, dont 4 sur la seule saison 2014-2015. C’est lors de cette saison qu’il a atteint le podium du classement général de la coupe du monde pour la seule et unique fois de sa carrière, devancé par Martin Fourcade et Anton Shipulin, ce dernier devançant également Jakov de peu pour le petit globe de la Mass-Start. Le slovène avait déjà eu l’occasion de remporter un autre petit globe 3 ans auparavant, celui de l’Individuel en 2011-2012. Là encore, il avait été devancé, par Simon Fourcade.

Parmi les victoires de Jakov Fak, on compte le sprint d’Oslo en 2014 (Crédit : skinordique.net)

La chute, la remise en question et un nouveau coup d’éclat

Le graphique précédent montre également la rude chute qu’a vécu Jakov de 2015 à 2017. Moins en forme sur les skis et moins précis au tir, Jakov décide de se focaliser sur les championnats du monde en 2015-2016, où il obtiendra de meilleurs résultats mais ne ramènera pas de médaille. Pris d’une grippe durant la saison 2016-2017, il ne participera qu’à 2 courses finies dans l’anonymat. Dans le même temps, le slovène accueille son premier enfant.

Cette période de trouble va avoir une conséquence importante sur la suite de sa carrière. Conscient de son âge à partir de la saison 2017-2018 (30 ans), il fait un très gros travail d’amélioration sur son tir afin de compenser la perte de performance à skis. Travail qui va payer pour son retour, où, surmotivé, Jakov va aller chercher une superbe 6ème place au classement général de la commune avec une rare polyvalence, classé dans le top 8 de chaque discipline. Surtout, il réalise une saison extraordinaire au tir, avec 91,7% de réussite de moyenne, se classant 2ème meilleur tireur du circuit.

En l’espace de quelques années, Jakov Fak est passé maître dans l’art du tir (Crédit : Twitter)

Parmi ses 4 podiums lors de cette saison 2017-2018, on retiendra forcément cette formidable médaille d’argent sur l’Individuelle des JO de Pyeongchang. A l’aide d’un 20 sur 20, il n’échoue qu’à 6 secondes du titre derrière Johannes Boe. Pour que l’histoire soit parfaite, on aimerait vous dire qu’il fut le premier médaillé slovène en biathlon aux JO, mais Jakov avait 4 ans de retard : Teja Gregorin avait remporté le bronze à Sotchi en 2014. Cela n’enlève rien au come-back prodigieux du slovène, qui remporte donc sa troisième médaille olympique, 8 ans après les deux premières. Surtout, il devient un des premiers athlètes a remporté une médaille olympique… pour deux nations différentes !

Jakov Fak (à gauche) remporte sa 3ème médaille olympique avec l’argent de l’individuel de Pyeongchang en 2018, sa première pour la Slovénie (Crédit : Zimbio)

Jakov le tireur d’élite

On l’a connu croate puis slovène, très bon fondeur et maintenant excellent tireur, ce Jakov est vraiment un biathlète pas comme les autres ! Cette année, après deux saisons en demi-teinte entre 2018 et 2020, Jakov Fak retrouve pour l’instant le top 10 du classement général. Malgré son âge un peu avancé (33 ans), il reste performant à ski, régulièrement dans les 30 voire 20 meilleurs temps. Au tir en revanche, Jakov est tout simplement une machine. Au-delà de sa moyenne générale à 91% de réussite, c’est sa moyenne au couché qui impression : 95% de réussite, soit une balle ratée sur 20. Dans une saison à la qualité de tir impressionnante (6 athlètes à 90% ou plus de moyenne), il est aujourd’hui 4ème tireur du circuit, derrière un Simon Eder intouchable.

Jakov Fak est le 4ème meilleur du circuit en 2020-2021, le 3ème si on ne tient compte que du couché (Crédit : Realbiathlon)

Si son ski l’empêche de jouer la victoire depuis quelques années, ses performances à tir lui ont permis de participer à 7 cérémonies des fleurs, et surtout d’obtenir une superbe troisième place lors de la Mass-Start d’Antholz, dernière course avant ses championnats du monde en Slovénie.

Pour la dernière course avant « ses » mondiaux en Slovénie, Jakov a terminé 3ème de la Mass-Start d’Antholz (Crédit : Nordic Mag)

En 15 ans sur le circuit coupe du monde, Jakov Fak n’a jamais eu l’occasion de disputer de championnats du monde « à la maison ». Cette chance lui est donnée cette année, dans un contexte certes difficile : le local de l’étape ne sera pas acclamé sur les pistes en raison de la crise du covid. Mais finalement, ces mondiaux en Slovénie tombent à pic : il réalise une de ses meilleures saisons à 33 ans, régulièrement dans les 6 grâce à une précision impressionnante au tir. Mais la carrière de Jakov Fak ne peut pas simplement se résumer avec des chiffres. Le biathlète croato-slovène est un modèle de gestion et de résilience, un sportif de premières aussi bien pour la Croatie que la Slovénie, un homme dont la carrière aura même pris un tournant politique qu’on n’aurait jamais pu imaginer. Il a l’occasion d’écrire une nouvelle page de l’histoire du biathlon de son pays chez lui, à Pokljuka, 20 ans après les derniers mondiaux en terres slovènes. Comme pour boucler la boucle d’une carrière pas comme les autres.

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