Petit retour hebdomadaire sur les acteurs et les évènements qui ont fait de chacune des décennies de l’histoire de la NFL des périodes uniques de son évolution. Aujourd’hui, les années 2010, quand la ligue de football a atteint sa version définitive.
Le 6 février 2011, il a dix ans presque jour pour jour, les Packers d’Aaron Rodgers faisaient tomber les Pittsburgh Steelers lors du 45e Super Bowl de l’histoire. Le match, qui marquera le retour de Green Bay sur le devant de la scène à temps pour les 90 ans de la franchise, symbolise parfaitement l’entrée de la NFL dans la décennie 2010, une période marquée par des attaques extraordinaires et enfin concentrée sur le plus important : le terrain.
Les 2010 s en résumé :
Ça y est. C’est terminé.
Après 90 ans de batailles, de brouillons, d’adaptations, de combats légaux, de négociations, de moments forts sur le terrain, d’explosions en coulisses, de doutes quant à la survie du projet, de réalignements, d’expansion et de campagnes de promotions, la NFL a trouvé sa forme finale, son produit définitif.
À l’ère moderne, plus de place pour les ligues rivales, l’organisation de Roger Goodell est devenue trop puissante. Plus de longs débats sur l’arrivée de nouvelles franchises, le format de 32 participants s’est révélé être le parfait équilibre. Plus de modifications majeures dans la gestion des équipes, les propriétaires savent que leur levier est trop gros. Plus de tactiques pour devancer les autres sports, le football américain est internationalement reconnu comme la discipline la plus emblématique du Stars and Stripes. Alors que le premier siècle de la NFL touche à sa fin, les dirigeants le savent mieux que quiconque : leur hégémonie ne sera pas renversée de sitôt.
Alors évidemment, demandez à des milliardaires d’accepter le statu quo et vous repartirez déçu avec des slogans capitalistes plein la tête. La NFL continuera d’évoluer pour assurer toujours plus de revenus à ses acteurs de l’ombre. La mise en place de deux nouveaux matchs de playoffs et d’une dix-septième semaine de saison régulière en est bien la preuve, tout comme l’arrivée fracassante des GAFA (Google Amazon Facebook et Apple) dans les discussions de droits TV. Mais pour ce qui est de la façade de l’organisation, celle-ci est bâtie pour durer.

Même les récents déménagements des Rams, Chargers et Raiders n’ont pas eu un gros effet parmi les supporters neutres. Le temps des changements majeurs est révolu et aujourd’hui, plus que jamais, la focale peut être mise sur les actions qui se déroulent sur le terrain, et pas grand-chose d’autre.
Et quelle aubaine pour la ligue ! Les années 2010 ont certainement été les plus excitantes de l’histoire quand on se concentre sur les exploits sportifs. Cinq des dix Super Bowl de la décennie ont été décidés par 10 points d’écart ou moins, les Patriots nous ont offert la première prolongation de lors d’une telle rencontre et on ne compte plus les actions qui resteront dans la tête des supporters pour toujours.
Il faut dire que l’amélioration exponentielle des attaques de football y est pour quelque chose. Alors que l’on vit un véritable âge d’or pour les Quarterbacks depuis déjà une quinzaine d’années, les innovations tactiques apportées par la nouvelle génération de coach ont su transformer des passeurs moyens en de véritables machines de guerre lors de ces dernières saisons. En 2018, pendant que les Rams surclassaient les Chiefs sur le score de 54 à 51 lors d’un Monday Night Football des plus excitants, on en venait même à se demander si le futur du ballon ovale ne se jouerait pas entre les seules mains des coordinateurs offensifs et des analyses de statistiques avancées (une question rapidement nuancée par la victoire des Patriots sur les Rams 13-3 quelques mois plus tard).
Reste que la NFL des années 2010 est une NFL de spectacle. Les règles mises en place pour la protection des joueurs — qui est devenu l’enjeu le plus pressant pour les dirigeants — avantageront toujours les stars offensives et petit à petit, la domination des défenses se fera ressentir uniquement dans les grands moments et moins sur l’intégralité d’une saison.

Le football du futur s’est forgé dans les années 2010 et a toutes les cartes en main pour rester en place lors des décennies suivantes. Aujourd’hui, l’enjeu de la NFL n’est plus de changer son produit, mais d’éclaircir un peu plus les domaines qui l’entourent pour rendre son image plus en phase avec son époque. Là où la NBA a réussi à se faire passer pour une organisation proche de ses joueurs et de leurs considérations, la ligue de Goodell a encore du travail pour s’ouvrir à d’autres tranches de supporters. L’affaire Kaepernick en 2016 et la gestion approximative de la crise sociale de l’été 2020 en sont de bons exemples. Tant que les aspirations économiques seront plus fortes que la volonté de donner la pleine parole à ses acteurs, la NFL aura du mal à dépasser son statut pour devenir internationale, une ambition pourtant affichée depuis quelques années.
L’histoire de la NFL est une histoire américaine. Elle est celle d’une petite organisation qui a su survivre dans les moments difficiles avant de saisir sa chance et de prospérer plus que n’importe quelle autre, le tout sur fond de conflits économiques, sociaux et, évidemment, sportifs. En 100 ans, elle a su conquérir les cœurs de ses compatriotes et porter sur le devant de la scène un sport autrefois méconnu.
À l’image du pays qu’elle représente mieux que quiconque, elle est devenue le symbole de la puissance, aux manières parfois douteuses et à l’allure qui fait rêver le monde entier.
L’équipe de la décennie : Les New England Patriots
Seule équipe à être mentionnée dans cette catégorie lors de deux articles consécutifs, les Patriots sont bien la plus grande dynastie de l’histoire en NFL.
En dix ans, Tom Brady et ses compagnons ont atteint la finale de conférence à huit reprises, ont disputé le Super Bowl à cinq occasions et ont soulevé le Lombardi Trophy trois fois. Si l’on prend un peu de recul, même les Browns des années 1950 ne peuvent prétendre à un tel palmarès, même les Bears de George Halas, qui évoluaient dans une NFL bien plus réduite, n’ont pu s’en approcher.
Surtout que la concurrence est loin d’être anodine en cet âge d’or de l’attaque et des Quarterbacks. Pour parvenir à leur fin, les bleu et rouge auront dû dominer certaines des plus grandes légendes que la ligue ait portées. Mais ni Peyton Manning, ni Ray Lewis, ni Patrick Mahomes, ni Ben Roethlisberger, ni Julio Jones n’auront pu faire quoi que ce soit.
À l’ère du salary cap, de la draft et du calendrier désavantageant les meilleurs, New England est une anomalie, un bug dans la matrice. Et si la royauté a fini par plomber le moral de certains fans du ballon ovale qui se sont érigés en haters suprêmes, le monde entier n’a pu passer à côté de l’information la plus connue des années 2010 : les Patriots sont inévitables.
Le joueur offensif de la décennie : Aaron Rodgers
Que ce soit dans la green room pendant le long premier tour de la draft 2005 ou sur le banc des Packers pendant trois années, le début de carrière d’Aaron Rodgers aura été marqué par une attente interminable. En effet, quand le GM Ted Thompson sélectionne le Quarterback de Cal au 24e choix de l’annuel repêchage, Green Bay n’a pas vraiment besoin d’un passeur sur le court terme : depuis 1992, le triple MVP Brett Favre tient plutôt bien les rênes dans le Wisconsin.
Alors évidemment, en 2008, lorsque Rodgers obtient sa première opportunité de briller sur le terrain, le jeune prodige ne se fait pas attendre. 4 000 yards à la passe, 28 touchdowns et une aura scintillante aux yeux des fans verts et jaunes.
À peine deux ans plus tard, c’est déjà la consécration. Pour la première année de la décennie 2010, Rodgers réussit là où Favre avait échoué au XXIe siècle : ramener le Lombardi Trophy à la maison.
Mais plus que sa réussite collective, c’est véritablement le talent individuel du numéro 12 qui le caractérise le mieux. Depuis la création de la NFL en 1920, jamais un passeur n’avait paru si à l’aise avec le cuir en main. À des centaines de reprises, Rodgers émerveillera en effet la planète football jusqu’à aujourd’hui. Que ce soit en 2011 ou en 2014, ses deux campagnes de MVP sont certaines des plus impressionnantes de tous les temps et son génie improvisateur lui vaudra le statut de joueur le plus talentueux de l’histoire dans l’esprit d’un bon nombre de fans.

Toujours capable du meilleur en évitant le pire — son ratio de 412 TD pour 89 INT en carrière est tout bonnement inimaginable — Rodgers aura brillé plus fort que n’importe qui depuis sa seule victoire au Super Bowl le 1er février 2011.
Le joueur défensif de la décennie : Aaron Donald
À 29 ans, Aaron Donald est devenu samedi dernier le troisième joueur de l’histoire à avoir été nommé Défenseur de l’année à trois reprises. Lawrence Taylor et JJ Watt, ses seuls compagnons dans le club très fermé, ont tous les deux évolué dans des positions d’Edge Rusher, bien plus favorables pour impressionner les votants ou accumuler les exploits statistiques.
Sept saisons, sept Pro Bowl et six nominations comme 1 st Team All-Pro. Cinq campagnes à plus de 10 sacks, dont son chef-d’œuvre à 20,5 unités en 2018. C’est bien simple : depuis son arrivée dans la ligue au treizième choix de la draft 2014, le Defensive Tackle des Rams s’est imposé comme la force défensive la plus dominante au monde.
Déjà assuré d’être intronisé au Hall of Fame six ans après sa retraite et largement considéré comme le meilleur joueur de tous les temps à sa position, Aaron Donald est en bonne voie pour aller chercher la distinction suprême : celle de meilleur joueur défensif ayant posé un pied sur les terrains de la NFL.
Le coach de la décennie : Bill Belichick
11 victoires en 2001, 12 succès en 2019, aucune saison dans le négatif entre les deux. De toute l’histoire de la NFL, Bill Belichick est certainement le seul qui peut se vanter d’avoir été le meilleur à son poste pendant deux décennies entières. Que ce soit pendant la première partie de la dynastie bostonienne au début des années 2000 ou au crépuscule du premier siècle de la ligue plus récemment, il n’aura jamais vraiment connu de concurrence en tant que Head Coach.
Alors il est vrai, le tacticien des Patriots aura été épaulé pendant la majorité de son règne par l’immortel Tom Brady, mais il est aussi incontestable que New England aura imposé son hégémonie sur la planète football grâce à son collectif discipliné plus que par ses individualités.
Et c’est là, le génie de Bill Belichick. Être capable de maintenir son effectif à un niveau élevé chaque année, pouvoir discipliner un groupe en perpétuelle évolution et prendre ses responsabilités quand il est temps de se séparer des pièces les plus encombrantes. Pendant ces vingt dernières années, Belichick le GM aura été aussi important pour New England que Belichick le Head Coach. Tout comme Belichick le coordinateur défensif d’ailleurs.
Par trois fois, les Patriots des années 2010 ont su se mettre en travers de la route d’une attaque qualifiée d’historique (Falcons 2016, Chiefs & Rams 2018). Un moyen de rappeler que pour gagner, un bon Quarterback est nécessaire, mais que pour durer dans le temps, un esprit défensif génial est indispensable.
Le match de la décennie : Super Bowl LI
La saison 2016 aura été celle de deux comebacks mémorables. Le premier ? Celui d’un Tom Brady de 39 ans, injustement suspendu pour quatre rencontres après une gestion plus qu’approximative de l’affaire Deflegate et qui défiera toutes les critiques sur son âge pour terminer sa dix-septième campagne avec 28 touchdowns pour 2 interceptions et le meilleur bilan de la ligue.
Le second ? Un véritable OVNI de 19 min 46 s qui verra les Patriots conclure la plus grosse remontée de l’histoire du Super Bowl contre une équipe des Falcons complètement dépassée. Après avoir encaissé un retard de 25 points en fin de troisième quart temps, Brady et les siens joueront en effet le meilleur football de leur carrière pour gravir, yard après yard, point après point, la montagne qui se dressait devant eux.
Un touchdown de James White, un coup de pied de Gostkowski, une passe pour Amendola, à cinq minutes de la fin du temps réglementaire, les Patriots ne sont plus qu’à huit points de la prolongation. Il faudra ensuite une série d’actions défensive aussi impressionnante qu’opportuniste pour remettre le cuir dans les mains de l’attaque. Et évidemment, Tom Brady ne manquera pas son énième rendez-vous avec l’histoire. En pleine maitrise, New England traverse tout le terrain, égalise sur le fil et remporte, en overtime, son cinquième Super Bowl.
Le lendemain, tous les fans qui étaient partis se coucher prématurément l’apprennent à leurs dépens : qu’importe le score, Brady est inévitable.
La tactique de la décennie : La Run Pass Option
RPO par-ci, RPO par-là… Au début de la saison 2018, la Run Pass Option était devenue si populaire en NFL qu’il était quasiment impossible de passer à côté en regardant un match de football américain.
Il faut dire que la tactique, ou plutôt catégorie de tactique a été si efficace lors de la grande épopée de Philadelphie en 2017 qu’elle est désormais incontournable dans la majorité des playbooks de la ligue. Mêlant blocks de courses de la part des Linemen et tracés précis des receveurs, elle donne la possibilité au Quarterback de choisir entre un jeu de course et un jeu de passe bien après le snap.
Le principe est simple : la ligne offensive agit comme s’il s’agissait d’une course en zone — c’est-à-dire laissant le choix au Runningback du trou dans lequel il s’engouffre — et attire les Linebackers adverses vers un côté du terrain. Si ces derniers décident de suivre l’action, le Quarterback lance la balle aux receveurs dans leur dos au centre. S’ils décident de rester en couverture, le Quarterback laisse le ballon au coureur qui se retrouve alors dans une situation confortable de supériorité numérique avec ses bloqueurs.

Heureuse pour les Eagles de Nick Foles, elle aura également permis aux Chiefs de Patrick Mahomes de devenir, un an plus tard, l’une des plus grandes attaques de tous les temps.
L’action de la décennie : L’interception de Malcolm Butler
Richard Sherman, Earl Thomas, Kam Chancellor, Darrelle Revis, tous réuni sur un seul et même terrain. Pourtant, en ce 1er février 2015, c’est bel et bien le jeune rookie non drafté Malcolm Butler qui sera l’auteur de la plus belle action défensive de la décennie.
En toute fin de rencontre, alors que les Seahawks sont aux portes de la endzone avec seulement quatre points de retard, le jeune numéro 21 entre sur le terrain de manière presque improvisée. Devant lui, il reconnait une formation caractéristique de Seattle qu’il avait vu et revu pendant la semaine de préparation.
Alors lorsque Rusell Wilson recule pour lancer le ballon, à la surprise générale, vers le receveur le plus proche de lui, Butler n’hésite pas une seule seconde, s’interpose devant Ricardo Lockette et lui vole le ballon dans les mains.
À 20 s du coup de sifflet final, les Patriots n’ont plus qu’à poser le genou au sol pour gagner leur premier titre en dix ans. Comme quoi, à New England, Tom Brady n’est pas toujours le personnage principal.