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Christophe Lemaitre : “En athlétisme, les Jeux olympiques c’est le Saint-Graal”

Médaillé olympique sur 200m lors des derniers JO à Rio, Christophe Lemaitre nous fait l’immense plaisir de répondre à nos questions. Ensemble et pour vous lecteurs/lectrices du CCS, le meilleur sprinteur français sur 200m livre ses sentiments concernant les futurs Jeux olympiques à Tokyo, la suite de sa carrière mais aussi les moments marquants de celle-ci.

Commençons par réagir à l’actualité de ces dernières semaines. Certains annoncent l’annulation des Jeux olympiques de Tokyo, d’autres plaident pour le maintien. En tant qu’athlète et protagoniste de ces JO, est-ce que cela ne vous affecte pas trop ?

Pour le moment, non, parce qu’on est encore loin des Jeux et que beaucoup de choses peuvent évoluer dans les deux sens. Du côté d’une annulation comme du côté du maintien. Ça peut aller vite des deux côtés. Mais moi, je me concentre d’abord sur ma préparation. Dans le calendrier, on y va étape par étape. D’abord la saison en salle, ensuite les divers rendez-vous de la saison d’été. Il y aura beaucoup de dates importantes. Pour les Jeux, on verra surtout lorsqu’on aura des certitudes et des nouvelles. 

Est-ce que le report d’une compétition ne lui donne pas plus d’enjeu ?

Ce sont les Jeux, on attend toujours cette compétition quoi qu’il en soit. Mais le fait qu’ils soient décalés d’un an, oui, parce qu’on s’est toujours calqués sur une olympiade. On prépare toujours nos objectifs sur quatre ans. À la fin des Jeux, on prépare déjà les Jeux olympiques suivants. Là, on a dû attendre une année de plus pour qu’on puisse avoir ces Jeux. Pour les sportifs, il y a de l’attente et de l’envie. Maintenant, il faut espérer qu’on pourra y participer.

Oui, surtout qu’en athlétisme, les Jeux olympiques, c’est une sorte d’objectif ultime pour un sprinteur.

Totalement. En athlétisme, les Jeux olympiques c’est le Saint-Graal. Ça a beaucoup plus de poids d’être champion olympique que champion du monde par exemple. Ça a plus de valeur pour l’athlète, les sponsors, les médias, etc.

La faible médiatisation des autres compétitions d’athlétisme comme les meetings, en France, ne rend-elle pas plus difficile l’approche de compétition comme les Jeux olympiques ?

C’est vrai que l’athlé en France, les meetings en tout cas, sont moins médiatisés. Quelques années en arrière, ça l’était plus. Mais ça reste énormément suivi quoiqu’il en soit. Si on fait une « perf » dans un meeting, elle sera forcément suivie par les spécialistes du monde entier. On a aussi la chance en France d’avoir la Diamond League de Paris, qui est une des étapes phares de cette League. On peut y voir la meilleure concurrence, « faire nos armes » et se préparer avant les grandes échéances. L’idéal serait qu’on puisse voyager hors de France et découvrir les meetings qui se déroulent à l’étranger. Mais si on ne peut pas, on a quand même la chance d’avoir un circuit de meeting français qui est intéressant où on peut se préparer correctement.

« Ça reste toujours un lieu de tensions, de frissons lié à la course en elle-même »

Christophe Lemaitre

En participant à ces Jeux olympiques de Tokyo cet été, vous prenez rendez-vous pour vos troisièmes JO d’affilée, après Londres en 2012 et Rio en 2016. Vous êtes au carrefour de la génération 2012 et de cette nouvelle qui commence à exploser. Est-ce que ça rend plus excitants ces duels au sommet à venir ?

Tous les duels sont excitants, toutes les compétitions, quel que soit le niveau. Même si bien sûr, il existe des compétitions plus excitantes que d’autres où il y a plus de tensions. C’est sûr qu’on ne peut pas comparer un 200 m d’un meeting à un 200 m olympique, c’est une évidence. Mais ça reste toujours un lieu de tensions, de frissons liés à la course en elle-même. C’est quand même une épreuve “one-shot”. Tu ne peux pas te rattraper comme des épreuves de saut ou de lancer. On sait qu’on court toujours après la performance pour se qualifier pour un grand championnat ou les Jeux. Il y a toujours de la tension quoi qu’il en soit.

Et lorsqu’on vous dit que vous participez à vos troisième Jeux olympiques, est-ce que cela vous arrive de prendre du recul et de vous rendre compte de vos exploits ?

L’objectif est toujours de participer aux Jeux olympiques, de toute évidence, et de pouvoir y performer. Les athlètes, moi-même, on se prépare pour cela et après on essaye de les réussir. Mais c’est quelque chose qui me donne envie de m’entraîner, de me « défoncer » pour participer à ces Jeux. Comme on l’a expliqué, c’est le Saint-Graal. C’est l’objectif de tout athlète.

(Crédit : CaféCrèmeSport)

Est-ce que la reconnaissance que vous donne le public est quelque chose de quantifiable à votre place ?

C’est difficilement perceptible, ni forcément évident. Nous, on vit tout de l’intérieur. Quand on voit le public, quand il y en avait [rires], c’est vrai qu’il y avait les encouragements et les acclamations. Mais en dehors des compétitions, ce n’est pas forcément évident de voir, de s’apercevoir de notre notoriété, quelle qu’elle soit. Normalement, je dis bien normalement, on ne court pas pour la notoriété. On court pour atteindre nos objectifs personnels. Mais c’est sûr qu’avec les exploits, la médiatisation, etc. La notoriété vient après. C’est quelque chose qui va avec. L’un ne va pas sans l’autre.

Quel sentiment ressent-on quand on défie des athlètes hors-normes ? Se sent-on chanceux ?

Au début oui ! On court à côté de gens qui font partie du gratin mondial. On veut en profiter pour voir, juger l’écart de niveau entre les autres et moi. Après, si on la chance de faire partie nous-même de ce gratin mondial là, ce n’est plus de la chance. On se sert de cette adversité pour aller de plus en plus vite et s’affirmer au plus haut niveau mondial. On a plus seulement envie de courir contre eux, on a envie de les battre ! Tu veux les battre pour te mettre dans les meilleures conditions et pour montrer que tu fais partie du top niveau.

Est-ce que vous avez parfois cette idée en tête que vous auriez pu devenir champion olympique s’il n’y avait pas eu un talent générationnel, à deux couloirs de vous ?

Il y aura toujours des personnes talentueux dans un sport, quelqu’un qui domine sa discipline. Pour moi, c’était Bolt. Il fallait qu’on fasse avec. C’est sûr que j’aurais bien aimé que ce soit moi, ce talent générationnel. Mais je devais faire avec, je devais m’entraîner pour essayer de combler l’écart, essayer d’aller chercher ce que je pouvais aller chercher, sans me prendre la tête avec cette histoire de talent générationnel. Je pense qu’il ne faut pas se focaliser sur le talent des autres, mais d’abord sur son propre talent et le travail qu’on effectue pour progresser. Après, quand on est en compétition, qu’importe qui est sur la ligne de départ, on fonce !

Vous parliez de Bolt. Justement, en 2016, après votre médaille de bronze sur 200m aux JO de Rio, il déclare être fier de vous. Qu’est-ce que cela fait d’être félicité par le plus grand sprinteur de tous les temps ? 

Oui, ça fait plaisir! Cela fait aussi partie de ces moments qui montrent que tu fais partie des meilleurs. Le meilleur des meilleurs a de la sympathie pour ce que tu as fait et ce que tu as accompli. On peut dire que la reconnaissance des meilleurs athlètes mondiaux, c’est une preuve de ton « adhésion » dans le cercle des meilleurs de ta discipline. Cela montre aussi que tu as fait ta place dans le milieu.

Christophe Lemaitre et Usain Bolt lors des Jeux olympiques de Londres. (Crédit: AFP PHOTO / GABRIEL BOUYS)

Rejoignez-vous l’analyse de Bolt lorsqu’il dit, toujours après cette finale du 200m « Il aura moins de pression maintenant […] les gens vont pouvoir le laisser tranquille, le laisser respirer. » Est-ce que vous aussi vous avez ressenti, qu’en France, le public a mis du temps à se rendre compte de vos performances ?

Je ne pense pas qu’il ait mis du temps. Je pense surtout qu’il a espéré, plus que moi, la carrière à laquelle j’étais “promis”. Moi-même, honnêtement, je pense que j’aurais pu avoir plus de titres et de médailles dans ma carrière s’il n’y avait pas eu les blessures par exemple. J’ai mis du temps à me remettre de ces blessures et de ces moments qui m’ont énormément ralenti. Quoiqu’il en soit, je ne me suis jamais vraiment soucié de l’avis des gens par rapport à leurs attentes. L’attente qu’il fallait assouvir en priorité, c’était la mienne. Atteindre les objectifs que je me fixe chaque saison, travailler et tout faire pour y arriver. Ce ne sont pas eux qui s’entraînent ni qui prennent les décisions, les choix de carrière. Ils ne savent pas vraiment ce que je traverse. Ils ont un avis avec des informations limitées. Je préfère l’avis de mes proches, des gens qui m’entourent. Eux savent ce qui se passe en coulisse.

« À cette période-là de ma carrière, j’ai fait appel à un psychologue du sport pour m’aider à travailler ce côté mental »

Christophe Lemaitre

Vous déclarez d’ailleurs en 2016 “ne plus courir pour les autres”. Cela vous a-t-il libéré d’un poids ?

Il a fallu faire un gros travail sur moi-même. À cette période-là de ma carrière, j’ai fait appel à un psychologue du sport pour m’aider à travailler ce côté mental. Pour comprendre certaines choses et continuer à progresser. C’était une évidence, en 2016, il fallait que je mette toutes les chances de mon côté. Il fallait que je travaille sur moi et que j’en parle à quelqu’un avec une spécialiste pour me remettre sur les bons rails mentalement et moralement. Je pense que ça m’a bien aidé parce qu’après, je remporte cette médaille à Rio. Ça a été un déclic. Je continue à travailler cet aspect-là, mais maintenant, j’ai beaucoup évolué mentalement. Cela m’a permis de mieux construire ma carrière et mes choix.

À côté de l’aspect mental, il y a les blessures. C’est quasiment propre à tous les athlètes de haut niveau y compris dans le sprint. Comment peut-on les limiter un maximum ?

C’est surtout une remise en question permanente. Il faut toujours prendre le temps de la réflexion. Ce sont toujours des petits ajustements. Il faut y aller étape par étape en essayant de mettre en place ces ajustements. Que ce soit dans la programmation ou l’adapter à son train de vie. Ça prend du temps. Il faut une remise en question permanente pour comprendre ce qui manque. Certaines choses qui sont déjà mises en place peuvent être aussi améliorées.

Christophe Lemaitre, drapeau de la France sur le dos, célèbre sa médaille de bronze lors des JO de Rio. (Crédit: AFP PHOTO / FABRICE COFFRINI)

Quels conseils donneriez-vous à un jeune athlète qui souhaite faire carrière dans l’athlétisme ?

Prendre son temps. Ne pas se précipiter. Se remettre en question. Ne pas rester sur ses acquis. Et surtout du travail. S’entraîner et faire ce qu’il faut pour pouvoir être performant et atteindre ses objectifs.

Est-on un meilleur athlète aux alentours des 25/30 ans que lorsqu’on a cette fraîcheur physique qui nous fait aller très vite ?

Cela dépend beaucoup des athlètes. On a beaucoup de jeunes qui explosent lorsqu’ils sont jeunes, et après, les années suivantes, ils ne sont plus là pour X raisons, les études à rallonge ou la pression. Il y en a qui ne supporte pas cette pression de sportif de haut niveau. Les attentes aussi, ce n’est pas quelque chose d’évident à supporter. Il y a énormément de choses qui entrent en jeu. On dit souvent que c’est entre 27 et 30 ans parce qu’on a déjà beaucoup d’expérience dans le domaine de l’entraînement, dans les compétitions. On gagne aussi en maturité, pas seulement en tant qu’athlète, mais aussi en tant que personne. On se pose des questions que l’on ne se posait pas forcément quand on était jeune. Cela fait partie de l’évolution de l’athlète et de la personne.

Se concentrer sur soi, et sur ses forces. Chez vous, incontestablement, votre force, ce sont vos grandes foulées, légères et rapides à la fois. Comment l’expliquez-vous ?

C’est difficile à dire. C’est un tout. Je pourrais dire que c’est naturel, et ça ne serait pas faux. J’ai toujours couru comme ça avec ces foulées là. Mais après, il y a aussi beaucoup de travail. Courir avec de longues jambes, ça demande beaucoup de travail. Ce n’est pas seulement la longueur des foulées, c’est aussi la fréquence et le rythme qu’on y met. Quand on fait de longues foulées, ça tire énormément sur les muscles et forcément, ça augmente les risques de blessure. Il faut travailler la souplesse pour éviter ces problèmes là. Il y a aussi tout le travail derrière de musculation, de gainage, de technique pour façonner cette foulée.

Les Jeux olympiques en 2024 à Paris sont-ils secrètement dans un coin de votre tête ?

Pourquoi pas. Après les Jeux cet été, ça sera dans trois ans seulement. L’attente pour Paris sera un peu moins longue. Tout dépendra si je suis encore capable de courir à très haut niveau pour me qualifier pour les Jeux. Est-ce que j’aurais envie de continuer à m’entraîner ? Est-ce que mon corps tiendra ? Est-ce que j’aurais envie de faire autre chose ? Il y aura pleins détails qui rentreront en compte. Mais bien sûr, j’aimerais énormément les faire.”

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