Non classé

Andrea Agnelli et la fin de la Ligue des Champions (et du football populaire)

Tout récemment, la Juventus a fêté les 10 ans de la présidence d’Andrea Agnelli. Membre de la famille propriétaire du club depuis 1923, Agnelli est un personnage à part dans le monde du foot. Alors même que la majorité des membres de cette sphère proviennent des couches populaires de la société, l’Italien provient d’une des plus riches familles d’Italie. Et, sans vouloir faire du délit de riche, cela s’en ressent dans sa gestion du club et sa vision du football. Par conséquent, avec l’influence acquise par le président des Bianconeri, le football populaire est peut-être sur la fin.

Avec ses sourcils fournis et sa barbe pas toujours très bien taillée, Andrea ne passe pas inaperçu. Toujours impeccable dans son costume, le dirigeant juventino sait où il va. Sa devise est claire : “appréhender le futur”, et faire que le football cesse de ne vivre que dans le présent. C’est dans cette optique qu’il a modernisé et développé la marque Juventus. Changement de logo, nouveau stade, la Juventus City, etc… La Vieille Dame a changé de visage en 10 ans. Evidemment, cette solution est nécessaire dans le business que représente le football aujourd’hui. Mais si le football reste encore le sport le plus populaire du monde, il pourrait perdre de sa superbe si l’homme d’affaires Italien mettait en œuvre toutes les réformes auxquelles il pense.

Fortune et cadre de vie

Ayant effectué sa scolarité au Saint Clare’s International College d’Oxford et à l’université Bocconi de Milan, Andrea n’était pas destiné à devenir président de la Juve. Ses études de marketing lui offrent différents postes dans d’immenses entreprises internationales. A côté de son travail, ses moments de détente ne se rapprochent d’ailleurs pas d’un rectangle vert, mais plutôt des greens. Amateur et joueur de golf, l’Italien suit le football d’assez loin – et la Juve – en raison des liens familiaux qui le lient au club Piémontais. Seulement, en avril 2010, à seulement 35 ans, c’est dans les bureaux du club Italien que le neveu de Giovanni Agnelli prendra place. Une opportunité en or de gagner en influence dans un club en reconstruction.

Rare photo d’Andrea Agnelli sans barbe. (Crédits : ITA Sport Press)

Rien n’est trop beau alors : transferts coûteux, destruction de l’ancien stade, modernisation des structures. Le rebranding fonctionne : la Juventus est aujourd’hui la “marque” Italienne la plus suivie sur Instagram. Mais aujourd’hui, les dettes s’accumulent. Et sans les montages financiers auxquels on a été habitué de la part de la vieille dame, nul ne sait dans quels états seraient les finances. Pourtant, même avec ces derniers, le club ne semble plus s’en sortir. Pour cause, Andrea Agnelli aurait même souhaité quitter le navire lorsque le poste de PDG de Ferrari s’est libéré il y a quelques mois. Manque d’amour du football, ambition démesurée ou partir avant que le vent tourne ?

Marketing et recettes avant tout

Mais avec ce portrait biographique, on s’éloigne du sujet originel : pourquoi Andrea Agnelli tuerait le football populaire ? Déjà, parce qu’il n’est pas intéressé par le lien identitaire que le club de la Juventus tient avec ses supporters. L’essentiel est ailleurs pour lui : augmenter les recettes, devenir une marque globale. “Le logo n’est plus un logo, c’est une icône.” Autrement dit, le blason n’appartient plus aux supporters, mais est reconnu internationalement. Ce qui est une hérésie si l’on suit la construction historique du football depuis presque un siècle et demi.

Modernité. (Crédits : Dezeen)

Dans le même genre, tout aussi symbolique : la vidéo fêtant les 10 ans de présidence d’Andrea Agnelli. La vidéo est contée en Anglais, sous-titrée en Anglais. Seuls les passages de discours du président Juventino sont en Italiens. Ce qui sonne faux lorsqu’il énonce “Nous sommes les gens de la Juventus” lors du discours d’inauguration du nouveau stade. Cet éloignement club-supporters et cette mondialisation de ce qu’il aime à appeler la “marque Juventus” en dit long sur sa vision du football. C’est d’ailleurs cette vision du foot qui a fait criser les réseaux sociaux il y a quelques jours.

“J’ai cinq enfants […] Ils n’ont pas la patience de rester 90 minutes à regarder un match.”

Lors d’une conférence, le barbu a tenu à prévenir sur les dangers de maintenir le foot tels qu’il est. Honnêtement ? On s’en serait bien passé. “Nous avons une audience beaucoup plus segmentée que par le passé. La génération Z (les adolescents d’aujourd’hui, ndlr) pourra payer dans moins de cinq ans. Mais est-ce que ce que nous leur offrons aujourd’hui correspond à ce qu’ils veulent? Nous devons leur proposer des compétitions excitantes.” Si le constat est loin d’être faux, il n’est que partiel, et sert surtout le propos de l’Italien. Une manière, pour lui, de sous-entendre qu’une Super Ligue (idée qu’il défend depuis des années) est la seule finalité viable. Mais Andrea Agnelli et ses enfants ne représentent pas la majorité des fans de football.

Et si le souci se posait aussi sur le média retransmettant les matchs : la télé n’attire plus les jeunes. Une solution doit être trouvée, c’est vrai, mais la Super Ligue est loin d’être la meilleure.

Ses enfants peuvent sûrement accéder à tous les matchs dont ils ont envie, tout comme ils peuvent se divertir de toutes les manières possibles et imaginables. Encore une fois, aucune critique, mais le fan de foot n’est pas dans ces considérations. Quand bien même il serait dans ces considérations, il faut peut être aussi nuancer ce que l’on entend par “fan de foot”. A quel point les enfants d’Agnelli aiment le foot en tant que tel? Beaucoup de fans galèrent à trouver un stream truffé de pubs et de bugs en tout genre, et éprouvent tout de même du plaisir à regarder un match 90 minutes durant. Beaucoup de fans sont attachés à des clubs moins “excitants”. Par exemple, combien de fans de Bordeaux ou de Marseille ont pesté devant le match de leurs équipes dimanche dernier ? Pourtant, ces mêmes fans sont restés devant le match durant 90 minutes. Et ils recommenceront le week-end prochain. Et le suivant.

Même histoire pour leurs enfants : même en étant abonnés aux compils Youtube et aux extraits Twitter, ils découvriront en grandissant le plaisir – et la torture parfois, c’est vrai – de regarder un match entier. Le suspense du résultat, la compréhension d’une tactique, le plaisir de voir évoluer certains joueurs frissons, etc. Sans oublier les vraies rivalités, et non celles qui pourraient se construire au sein d’une Super Ligue. Le football, c’est aussi voir son équipe affronter le “gros”, tenter de le renverser et parfois, réussir. Le football c’est même quand on est le “gros”, de flancher parfois. Enfin bref, le football se trouve dans ce rapport de forces, dans ce rapport de compétitivité, et dans ce rapport, aussi, de sentiment national et de compétition au sein d’un même pays.

Que le début de l’influence Agnelli

Si cette vision du football vous inquiète, il y a de quoi. Car le président Turinois n’est qu’au début de son plan : désormais président de l’ECA, il pèse grandement dans les hautes instances Européennes, est de toutes les discussions et à son mot à dire plus ou moins officiellement dans toutes les décisions. Membre du comité exécutif de l’UEFA depuis 2017, il travaille en très étroite collaboration avec Alexander Ceferin, président de l’UEFA. Son influence sur le Slovène est telle que ce dernier est perçu comme étant “une créature d’Agnelli“.

Agnelli et Ceferin lors de la signature du mémorandum officiant la collaboration de l’ECA et de l’UEFA jusqu’en 2024. (Crédits : UEFA.com)

Les dernières réformes de la Ligue des Champions sont d’ailleurs l’œuvre du tandem, notamment celle offrant une quatrième place qualificative en LDC aux clubs Italiens. Pourtant, Agnelli ne fait pas l’unanimité en Italie. Ses différentes rixes avec les présidents des autres clubs, tout comme sa vision du football loin de celle prônée dans la botte l’empêchent de construire une influence encore plus grande. Tout cela est d’ailleurs resté longtemps un frein au développement des droits télé Italiens, bien que ceux-ci se soient développés récemment. Toujours est-il que la parole de l’Italien est de plus en plus écoutée, respectée, entendue. Et par cette influence grandissante dans des instances toujours plus importantes, le président de la Vieille Dame saura faire entendre et respecter ses intentions.

Après les déclarations d’Andrea Agnelli, Mathias Edwards a écrit dans les colonnes de So Foot les mots suivants :  “Aimer le football, c’est aussi savoir s’ennuyer pendant 85 minutes devant un festival d’actions laborieuses, pour enfin exulter grâce à un coup de billard au terme duquel le ballon franchira la ligne de buts. Aimer le foot, ce n’est pas qu’être fan de CR7, Messi ou Mbappé. C’est aussi aimer Andy Delort, Benjamin Bourigeaud ou Romain Perraud.” Rien à rajouter.

(2 commentaires)

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :