Quel amoureux de biathlon n’a pas vibré dimanche dernier ? Cette sensation de vivre un moment historique et en même temps d’être en train de rêver devant une telle performance. Si vous demandiez à un biathlète ce que serait sa course rêvée, il est improbable qu’il arrive à penser à une telle course, une telle maîtrise. Retour sur ce qui rend la performance d’Emilien sur la poursuite des mondiaux exceptionnelle, après une année compliquée. (photo courverture source AFP / Jure MAKOVEC)
La promesse
Après deux saisons sur le circuit coupe du monde pour apprendre au cours desquelles il ne glane aucun podium, Emilien monte sur son premier podium fin 2019. Après un sprint compliqué (8/10 au tir), il entame la poursuite en 18 ème position à 55 secondes de l’ogre Johannes Boe. Grâce à un brillant 20/20 au tir, il va effectuer une belle remontée et finir 3 ème. Son premier podium en poche, Emilien prend confiance et enchaîne avec deux deuxièmes places dans les semaines qui suivent. Mais le français, qui est très irrégulier au tir, connaît un vrai trou d’air avant les mondiaux d’Antholz.
Il se reprend au meilleur moment avec une bonne 6ème place sur le sprint à seulement 30 secondes de Loginov champion du monde ce jour-là. Grâce à un tir impeccable (20/20, 8ème temps), Emilien se donne le droit de se battre en homme à homme contre Johannes Boe. C’est alors qu’il va poser la première pierre de son histoire en remportant le titre mondial en guise de première victoire. Tout ça, au nez et à la barbe du Norvégien grâce à une tactique pleine de lucidité en fin de course.
Comme en décembre après son premier podium, cette victoire est suivie de 4 podiums sur les 5 dernières courses individuelles. Quand la confiance l’habite, il joue dans la cour des grands. Il termine avec 8 podiums sur la saison.
Si tout n’est pas parfait notamment au niveau de la régularité, Emilien termine cette saison avec la certitude qu’il peut se batailler avec les meilleurs quand il est dans les bonnes disposition. La marge de progression est encore grande, mais les bases sont bien là. Il se construit sous l’aile de son ami Martin Fourcade.
Une transition difficile mais indispensable
La suite va être un peu plus compliquée. La légende prend sa retraite après une immense carrière. Émilien perd son guide, son confident. Il va vivre cette perte comme un “petit deuil”. Comme si ce n’est pas assez difficile, le confinement empêche le jeune homme de pouvoir partir en vacances pour se changer les idées. Pas de récupération mentale possible. Dès lors, entamer une préparation de début de saison fatigué mentalement s’avère être un parcours du combattant.
“Je n’ai pas peur de le dire, c’était quasi la dépression cet été. Je tiens vraiment à remercier ma famille, mes proches qui m’ont aidé dans ces moments compliqués. Cette victoire est pour eux“.

En effet, reprendre les chemins du pas de tir sans son compagnon de route a été plus long et difficile que prévu. S’émanciper d’une légende qui lui montrait le chemin.
“De me retrouver seul à l’entraînement, c‘était aussi me retrouver face à moi-même. Cela a été quelque chose de nouveau pour moi. La vie sans Martin était plus compliquée quand je m’entraînais à Villard de Lans. On a un groupe très fort avec une bonne ambiance de travail. Ça m’a beaucoup manqué personnellement au début. J’ai appris à me développer moi-même, à chercher des solutions. Ca ne pourra être que bénéfique pour la suite. J’ai tourné la page, on a tourné la page.”
Source ski chrono
Verbaliser le mal pour mieux l’apprivoiser. Le mental a un impact important dans la performance des sportifs de haut niveau en général. C’est encore plus le cas avec Emilien qui remet toujours tout en doute très rapidement. Trouver le juste milieu entre la confiance qui fait avancer et doutes qui font progresser.
Une fois cette difficulté franchie, Emilien est revenu à l’entraînement avec l’envie. Celle de prouver que son titre de Champion du monde n’est pas un feu de paille. Progresser en tir, travailler la régularité mentale, prendre confiance ont été les axes de développement d’Emilien.
Un début de saison qui fait revenir les doutes
Malheureusement, les biathlètes doivent entamer la saison sans repères. La pandémie a conduit l’IBU à annuler toutes les courses d’avant saison, empêchant les coureurs de s’étalonner et de se rassurer avant les premières courses officielles.

L’inconnue va se transformer en brutale remise en question. Deux 8ème places sur le premier week-end à Konthiolati, 39ème du sprint lors du deuxième week-end. Il arrive à se rattraper lors de la poursuite en remontant 31 places avant de sombrer sur le tir debout lors du relais. 3 tours de pénalité. Un passage à vide qui fait remonter les doutes. Déstabilisé par les critiques à son encontre et par l’absence de public, celui qui se présente comme un showman, doit trouver les clés pour rebondir.
En champion, Emilien va réagir dès la double étape d’Hochfilzen en prenant la deuxième place sur les deux poursuites courues en terre autrichienne. Il confirme deux choses : il est bel et bien un homme de confrontation et il aime les étapes en altitude. S’il a réglé la mire en individuel, il plante malheureusement à nouveau le relais masculin avec 2 tours de pénalités sur le tir debout.
Si la fin d’année était plutôt positive, le début 2021 va confirmer les difficultés. 83% au tir sur le mois de janvier alors qu’il tournait à presque 88% sur le début de saison. Aucun top 10 en 6 courses. Pas de quoi attaquer les mondiaux en confiance.
Le français a besoin de se retrouver, de comprendre ce qui ne va pas au tir. Dans ces moments-là, on a besoin d’un guide, une personne en qui on a confiance et qui peut nous rassurer. Et c’est Martin Fourcade qui va remplir ce rôle. Ce dernier va participer aux entraînements d’avant mondiaux de son ami et lui prodiguer de précieux conseils.
“J’ai senti qu’il avait besoin d’un peu de sérénité. Et je crois que j’ai beaucoup appris moi pendant ma carrière avec Stéphane Bouthiaux sur ce volet-là. Stéphane était toujours là, à m’accompagner positivement et à me conforter dans ce que je faisais. Emilien, c’est un athlète qui doute beaucoup, qui remet beaucoup de choses en questions. Et j’avais envie de me servir un peu de l’expérience qu’a pu m’apporter Stéphane dans les derniers jours avant la compétition pour pouvoir lui permettre de juste pointer le doigt et lui faire comprendre que ce qu’il fait est bien ”
Martin Fourcade, Source RMC Sport
Un moment d’histoire
Emilien arrive à Pokljuka, regonflé à bloc, bien décidé à produire son biathlon. Dans une station qui ne lui a pas beaucoup réussi, aucun top 15 en 5 courses, le français applique dès le sprint ce qu’il a travaillé avec Martin. 23,9 secondes de moyenne au tir, sa meilleure moyenne de l’année, et une troisième place finale. Il se positionne en sérieux prétendant à la victoire pour la poursuite du lendemain, format de compétition qui lui réussit le mieux. Pas étonnant, tant il n’y a pas de questions à se poser sur cette course.

Dimanche 14 février, 13h15, Emilien s’élance avec 13 secondes de retard sur Ponsiluoma après le sprint de la veille. Car la performance est aussi là. Pour être en position de prétendre à la victoire sur une poursuite, il faut faire également une belle performance sur le sprint de la veille. Il ne faut pas réussir seulement une course, mais deux. Cette date est importante pour l’amoureux de cyclisme qu’est le français. C’est l’anniversaire de la mort de Marco Pantani, l’incarnation du panache. A l’image de l’italien, il va oser. Malgré une préparation d’avant course perturbée par le stress, il opte pour des tirs engagés.
Grâce à un 5/5 sur le tir couché, il se retrouve en tête en compagnie de Johannes Boe. Encore lui, 1 an après. On se prend à rêver d’un nouveau duel. Mais le Norvégien flanche dès le deuxième tir et doit aller sur l’anneau de pénalité. Emilien se retrouve seul en tête, sans savoir s’il a la bonne vitesse. Lui qui aime la confrontation et le show se retrouve dans une position inconnue pour lui. Mais le français va faire la meilleure chose qu’il pouvait faire : ne pas tergiverser et faire son biathlon. Sous nos yeux ébahis, il va effectuer une course d’anthologie, à son image.
Offensif du début à la fin, il va effectuer ses 4 tirs en 1 minute et 25 secondes. 21,4 secondes de moyenne ! Son tir le plus rapide, et de loin. Jamais il n’était descendu sous les 23 secondes de moyenne. Un des tirs le plus rapide de l’histoire. Au meilleur moment. Il a écoeuré ses adversaires et bluffé les plus grands.
“Je n’ai jamais vu personne tirer en 17sec, de manière parfaite, sur une poursuite au niveau mondial. C’était tout simplement sauvage, exceptionnel et fantastique. Celui qui ne me croit pas peut sortir et essayer par lui même.”
Liv Grete Sjkelbreid, 7 fois championne du monde
“On avait aucune chance face à Emilien aujourd’hui (…) Je suis très impressionné par sa course. (…) C’est incroyable (…) C’est probablement le plus beau tir qu’on ait jamais vu en biathlon” a déclaré Johannes Boe au micro de l’équipe après la course
Pour attester que son style offensif est celui qui lui permet de performer, il suffit de regarder ses statistiques. Sur ses 8 tirs les plus rapides depuis le début de sa carrière, le français a signé 5 podiums. Le tir posé dans le style de Martin, ce n’est pas pour lui. Ce n’est pas le style de tir qui permet d’être le plus régulier sur une saison, mais c’est celui qui le fait gagner pour le moment. L’expérience lui permettra de trouver des clés pour garder cette intensité au tir tout en améliorant son pourcentage de réussite.
Celui qui le résume le mieux et qui est présent sur le site des mondiaux depuis lundi n’est autre que son mentor, Martin Fourcade. C’est bien évidemment Emilien qui était sur les skis, mais nul doute que les conseils prodigués par son ancien coéquipier l’ont aidé.
Emilien Jacquelin est un homme des grand rendez-vous. Depuis le début de sa carrière, il a gagné 2 courses individuelles. Les deux sur les poursuites des mondiaux 2020 et 2021. Quatrième biathlète à réussir l’exploit de conserver son titre après Gross, Bjoerndalen et Fourcade, il a déjà écrit sa légende en signant cette performance. Si bien sûr, il devra davantage progresser, notamment dans la régularité, s’il veut un jour briguer le gros globe de cristal, ne boudons pas notre plaisir de pouvoir apprécier ce panache. Bravo et merci
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