Si l’Espagne n’est pas une nation phare de la glisse, on y pratique pourtant bel et bien le ski. Il y a même des athlètes professionnels qui la représente au mondiaux comme aux JO. Nous vous proposions une analyse de la relation entre l’Espagne et les sports d’hiver, en essayant de comprendre les raisons des mauvais résultats espagnols alors que le territoire regorge de stations de ski. Pour compléter la question, quoi de mieux que demander leur avis aux principaux intéressés ? En marge des championnats du monde de ski nordique, nous avons rencontré le meilleur fondeur espagnol du moment, Imanol Rojo.
Né à Tolosa le 3 Novembre 1990, Imanol fait partie de ces rares enfants à grandir avec des skis aux pieds plutôt qu’un ballon de foot. Arrivé sur le circuit coupe du monde en 2012, il est depuis 2014 le meilleur fondeur espagnol, remportant chaque année le championnat national. Issue d’une nation peu développée dans les sports d’hiver, il n’a pu que rarement prétendre au sommet de la hiérarchie du ski de fond. Il a tout de même participé aux Jeux Olympiques de Sotchi en 2014 et Pyeongchang en 2018, accrochant à chaque fois le top 35 du 50km libre.

Aujourd’hui trentenaire, Imanol est au point haut de sa carrière. Il a remporté sa plus belle victoire fin 2020 sur le 15 km libre de l’Alpen Cup et a terminé le tour de ski 2021 à une très belle 18ème place. Il nous fait le plaisir de répondre à nos questions, en parlant de sa carrière, de sa saison mais aussi de son sport et de la relation de l’Espagne avec les sports d’hiver, sans langue de bois et avec passion.
Dans un pays à faible culture de ski comme l’Espagne, pourquoi t’es-tu lancé en ski de fond ?
“Non, l’Espagne n’est pas un pays avec une culture des sports d’hiver. Quand on va en compétition, les gens associent l’Espagne au soleil, à la plage et aux vacances. Le ski est un sport très minoritaire, qui n’a que très peu de visibilité médiatique. Mais les gens savent que c’est aussi un pays de neige et de montagne et nous avons beaucoup de supporters en général. J’ai commencé le ski de fond grâce à mes parents qui avaient une passion pour la neige et la montagne. Dès mes 5 ans, ils m’ont appris à skier en montagne à côté de chez-moi, où il n’y avait pas de pistes de ski. Je suis né dans un village qui a une grande tradition de ski de fond, raison pour laquelle mes parents m’ont transmis cette passion à moi, ainsi qu’à mon frère.“
Comment tu t’entraînes, est-ce que tu dois alterner avec d’autres activités ?
“Oui tous les fondeurs nous devons alterner avec d’autres activités, surtout en été quand il n’y a pas de neige. Nous faisons du ski roue, de la musculation, de la course et du vélo en été. En hiver en plus du ski, nous faisons de la course à pied et de la musculation pour se maintenir en forme.“
Tu réalises pour l’instant une de tes meilleures saisons, avec notamment une super victoire le 19 Décembre 2020 sur le 15km libre de l’Alpen Cup. Est-ce que c’est ton format de course préféré ?
“Oui c’est mon meilleur résultat jusqu’à maintenant en Alpen Cup, avec également la 18ème place de la montée de l’Alpe Cermis. La course d’Alpen Cup s’est fait en format classique et c’est le style qui me plaît le plus. J’aime également la Mass-Start et le skating.“

“La préparation n’a quasiment pas changé par rapport aux autres années.“
Qu’est-ce que ça a changé dans ta préparation cette année ?
“La préparation n’a quasiment pas changé par rapport aux autres années. De temps en temps je devais faire la musculation à la maison, mais pour la préparation de l’été quasiment rien a changé. Le plus gros changement est de faire plus attention au virus, aux restrictions et nos interactions sociales.“

Quel regard as-tu sur le conflit entre la FIS et les fédérations nordiques, et plus généralement sur le choix des pays nordiques de ne pas s’aligner ?
“Je ne comprends, ni les pays nordiques, ni la FIS. Les pays nordiques pour ne pas être allés aux courses organisées avec des restrictions et de la sécurité, notamment les tests covid avant les courses. Mais la FIS aurait également dû changer un peu le calendrier par rapport aux autres années.“
“depuis l’année dernière nous travaillons en collaboration avec l’équipe d’Andorre“
Peux-tu nous parler de l’équipe autour de toi, est-ce que le staff espagnol ressemble à celui d’une nation comme la Norvège ou l’Allemagne ?
“Non évidemment nous sommes beaucoup moins dans notre équipe par rapport aux grandes nations. Mais depuis l’année dernière nous travaillons en collaboration avec l’équipe d’Andorre qui a de très bonnes infrastructures à défaut d’être une grande équipe nous avons tout ce dont nous avons besoin pour être compétitif en coupe du monde.“

Je ne connais pas bien l’organisation des sports d’hiver en Espagne : comment sont réparties les disciplines ? Et le ski de fond ?
“Le ski alpin est la discipline la plus importante pour la fédération espagnole car c’est celle où il y a plus de compétiteurs (et pratiquants en général). Donc ils ont la plus grosse part du budget. Ensuite il y a le snowboard qui est en train de faire de très bons résultats. Ils ont notamment obtenu une médaille au JO de Pyeongchang en 2018. Et après il y a nous, le ski de fond. Nous avons forcément moins de soutien financier, mais nous nous battons chaque année pour obtenir plus.“
Les sports d’hiver sont peu reconnus et médiatisés en Espagne, est-ce que tu en connais les raisons ? Quelles solutions vois-tu pour y remédier ?
“Les raisons sont que dans les collèges ce sont toujours les mêmes sports qui sont pratiqués. Ce sont également toujours les mêmes sports qui sont mis en avant par les médias. La solution est qu’en province où il y a de la neige, on fasse plus de promotion des sports d’hiver et des sports minoritaires en général.“

Est-ce que l’obtention des JO 2032 à Barcelone serait un gros pas en avant ?
“Je crois que ça serait un très grand pas et qu’il y aurait beaucoup d’investissements venant du gouvernement pour les sportifs et les infrastructures. Mais pour le moment il faut rester réalistes.“
“Il faut pouvoir travailler avec les jeunes pour qu’il y en ait plus qui passent professionnels.“
Tu remportes chaque année depuis 2014 les championnats nationaux en Espagne, y a t’il un manque de concurrence dans votre pays ?
“Oui il manque évidemment de la concurrence et cela fait baisser le niveau global du pays en ski de fond. Il faut pouvoir travailler avec les jeunes pour qu’il y en ait plus qui passent professionnels.“

Imanol Rojo est le symbole de ces espagnols différents, presque bizarres, qui ont troqué les baskets pour des skis dès le plus jeune âge. Dans le silence médiatique, il s’est construit un superbe palmarès national, qu’il est en train d’étoffer peu à peu aux niveaux européen et mondial. Bien conscient que le développement du ski de fond et des sports d’hiver en Espagne passera par plus de soutien financier et médiatique, Imanol s’investit pour démocratiser son sport. Il aura l’occasion de se montrer dès cette semaine pour les championnats du monde ski nordique à Oberstdorf en Allemagne. C’est aussi par ses têtes d’affiche que l’Espagne arrivera à progresser dans la hiérarchie, et qui sait, retrouver le goût de la médaille d’or olympique (Francisco Fernandez Ochoa est le seul à l’avoir remporté en 1972).