Après que plus des 2/3 de la saison de biathlon se soient déroulés, il est temps de faire un premier bilan sur le leader de l’équipe de France Quentin Fillon-Maillet. Le jurassien de 28 ans qui a récupéré ce rôle de leader suite à la retraite de Martin Fourcade doit faire face cette saison plus que toutes les autres à des critiques sur son niveau et ses résultats. Mais sont-elles vraiment justifiées ?
Cette saison, Quentin Fillon-Maillet est monté 5 fois sur le podium pour une victoire lors du sprint d’Hochfilzen. Il a également pris le bronze de la mass-start des Championnats du monde à Pokljuka. Et si on pousse l’analyse de cette quinzaine de championnats du monde, il en ressort qu’ils sont à l’image de sa saison : réguliers, mais peu flamboyants.
Des championnats du monde en demi-teinte : entre régularité et absence de victoire.
Lorsque l’on regarde son bilan au tableau des médailles, il parait faible. Avec uniquement une médaille de bronze, on est loin des standards du niveau que devrait être l’actuel 4ème biathlète mondial. Et les résultats sont inférieurs à ceux obtenus en 2019 (2x le bronze) ou en 2020 (2x l’argent, 1x le bronze). Néanmoins, il a fait preuve d’une très grande régularité sur la quinzaine slovène. Il ne sort pas du top 6, avec une 6ème place, deux 4ème, et pour finir une médaille de bronze sur la mass-start. Malgré une unique médaille, il finit 3ème au nombre de points engrangés derrière Sturla Holm Laegreid, l’homme fort de ces championnats, et Johannes Dale, double médaillé en individuel sur la période. Ces résultats en demi-teinte sont particulièrement frustrants et brouillent les avis. Ils laissent une sensation d’inachevé, encore plus sur cette compétition à l’intérieur de la compétition dont on ne retient que le podium, voire le vainqueur.
L’absence de victoires est également présente au niveau de la coupe du monde. Avec une seule victoire et 5 podiums en 19 courses, les résultats sont moins bons que ceux des deux précédentes saisons (respectivement 8 et 10 podiums en 25 et 21 courses). Pourtant, au classement général, il joue pour le même résultat, étant actuellement à la 4ème place en embuscade derrière Johannes Dale (à 1 point au virtuel). Cela est notamment possible grâce à un pourcentage plus élevé de top 10 en parallèle. Quentin Fillon-Maillet est régulier, mais pas flamboyant. Et à l’heure où seules les victoires comptent, cela le dessert grandement.

Début de saison « raté » ou l’importance de la première impression
Pour analyser la saison de Quentin Fillon-Maillet et les apriori faits sur celle-ci, il faut repartir du départ : le double week-end à Kontiolahti. Dans la vie, on le dit souvent, il faut toujours se débrouiller pour faire une bonne première impression. Et c’est également valable en biathlon. Au niveau des critiques, Quentin Fillon-Maillet paye certainement son début de saison compliqué. Le premier week-end à Kontiolahti a été moyen, et le suivant complétement raté. Nous ne reviendrons pas ici sur les raisons physiques, climatiques ou encore sanitaires de ce petit fiasco, mais plutôt sur les conséquences que cela a pu avoir sur la perception de sa saison.
En effet, ce raté semble le poursuivre sur la suite de la saison lorsque l’on pense à celle qu’il est en train de réaliser. Pourtant, et malgré ce début peu réussi, il n’en reste pas moins 4ème au classement réel comme virtuel, à moins de 1 point de Johannes Dale au virtuel (en supprimant les 4 moins bons résultats de la saison). Et son niveau de ski un temps critiqué a nettement progressé tout au long de la saison. Pendant les championnats du monde, il est dans le top 4 temps de ski à chaque course.
On peut également appliquer ce phénomène des « débuts ratés » à ses mondiaux, qu’il finit sur la médaille que tout le monde attendait depuis pratiquement 15 jours. Prenez la situation à l’envers. S’il avait fait le bronze dès le sprint pour ensuite enchaîner plusieurs 4ème places, n’aurait-on pas alors quasiment acté qu’il avait déjà une médaille de bronze, tout comme Johannes Boe et que donc c’était déjà des mondiaux « pas trop mals » ?
Si l’on creuse encore un peu plus, le même phénomène s’applique au tir. Quentin Fillon-Maillet est le meilleur tireur de l’équipe de France, et le 5ème tireur mondial. Avec un taux de conversion de 89.6%, il appartient aux meilleurs du circuit. Devant lui, on retrouve uniquement Eder, Laegreid, Komatz et Fak (NDLR : chez les athlètes ayant effectué plus de 150 tirs). Mais en ayant la particularité de faire plus d’erreurs au tir couché qu’au debout (86.2% contre 93.1%, 80% vs 100% !! aux championnats du monde), on retient aussi plus ses ratés. Quand les ¾ des biathlètes réussissent leur premier tir, il tourne déjà sur l’anneau de pénalité, donnant l’impression qu’il tire « moins bien » car la plupart des leaders n’ont alors pas encore de soucis. La mauvaise première impression on vous dit. Un bilan qui ternit son excellent tir debout.
De plus, ces ratés en début de course ont un double effet. Quentin se retrouve immédiatement isolé, sans les meilleurs du circuit pour le relayer. Chaque course se transforme en « poursuite » et doit avoir un effet sur la fraicheur à skis. A cause de ces problèmes au couché, lorsqu’il n’y a pas de podium ou de victoires au bout, on retient uniquement le négatif, ce tir qui plombe sa course. Car oui, désormais, Quentin Fillon-Maillet n’est plus observé que par le spectre de la victoire.
Etre leader ou l’obligation de la victoire.
Il est indéniable que Martin Fourcade a fait énormément pour le biathlon français. Il a fait d’une discipline peu médiatisée un rendez-vous regardé par des centaines de personnes toutes les semaines pendant l’hiver sur une chaîne gratuite. Et pour cela, chaque biathlète français et amateur de ce sport peut le remercier. Mais il laisse derrière lui quelque chose difficile à appréhender. Pendant pratiquement 10 ans, il a surdominé son sport. Et le spectateur français a découvert le biathlon avec la France qui gagne.
La France qui gagne tout le temps, chaque semaine, pratiquement à chaque course, aux Jeux Olympiques, aux Championnats du monde… Le meilleur exemple reste l’excellente suite de podiums entre le 04/12/2019 et la première course de la saison 2020-2021. Le spectateur français s’est habitué à la victoire, aux podiums. Ainsi lorsqu’il a pris sa retraite, le constat était simple : l’Equipe de France devait continuer de gagner. Seulement, le public a oublié un élément important : Martin Fourcade n’était pas un biathlète classique et avec lui l’anormalité est devenue normalité.

A la vue de son palmarès, il peut être classé dans la même catégorie que des Teddy Riner en judo, Mickael Phelps en natation, Nadal, Federer et Djokovic en tennis, Usain Bolt en athlétisme ou Kohei Uchimura ou Simone Biles en gymnastique, ou encore Yuzuru Hanyu en patinage artistique. Il n’appartient pas à la catégorie des champions d’un jour mais de ceux qui ont régné sans partage sur leur discipline pendant des années. Ces champions qui écrivent l’Histoire de leur sport et du sport en général. Ces champions qui sont difficilement remplaçables.
Ainsi, vouloir la même chose d’un autre français est lui confier une mission pratiquement impossible. Car même si chacun rêve qu’un nouveau Martin Fourcade arrive pour faire briller la France, il faut se rendre à l’évidence qu’il n’y en aura potentiellement pas d’autre, ni en France, ni ailleurs.
C’est ainsi que Quentin Fillon-Maillet se retrouve dans une position inconfortable. Après avoir fait 3ème en 2019 et 2020, il est évident que son objectif de saison ne peut être que le gros globe. S’il l’énonce comme tel avant le début de la saison, il n’a pourtant pas besoin de le faire. C’est ce que tout le monde espère et surtout ce que tout le monde attend de lui. Quentin Fillon-Maillet doit faire perdurer l’héritage français et les victoires.

C’est donc uniquement sous le prisme de la victoire qu’est analysée la saison de Quentin. Nouveau leader, chaque course doit faire au minimum podium ou elle est considérée comme ratée. Et à ce petit jeu-là, le bât blesse. Depuis 3 ans, il n’a jamais fait aussi peu de victoires et de podiums. Chaque course n’est analysée que par son résultat, oubliant que le gros globe récompense plus la régularité que les coups d’éclat d’un jour. Un exemple de ce phénomène est Tarjei Boe, 2 fois victorieux cette saison mais derrière au classement par points. Le public préfère le flamboyant à la régularité et oublie les nombreux top 10 obtenus cette année. Le niveau de tir et de vitesse de tir s’améliorent cette saison : on s’en moque. On ne retient de chaque course que les erreurs qui continuent de coûter des podiums et des victoires.
La meilleure saison de sa carrière ?
En parallèle des podiums, il est intéressant de regarder l’évolution du biathlète pour expliquer ses formes ou méformes. Et c’est très enrichissant. Car lorsque l’on regarde chaque paramètre de façon indépendante, il n’y a qu’en podiums et victoires que Quentin Fillon-Maillet a régressé. Si son tir couché a baissé, celui debout s’est amélioré. Lorsque l’on fait la moyenne des deux, elle est la plus haute depuis ses débuts. Sa vitesse de tir s’est également améliorée. Tout comme son temps de ski. A noter, que concernant le temps de ski, il n’est pas le seul à avoir progressé. Ainsi, son temps en pourcentage du top 30 a eu tendance à baisser, ce qui lui fait perdre son avantage acquis.




Alors si tout n’est pas parfait, il faut admettre que le biathlon comprend une grande part de chance et malchance. En effet, il faut réussir à cumuler son meilleur tir et son meilleur temps de ski. Et peut-être que Quentin n’arrive pas à cumuler les deux cette saison. Il doit donc se contenter de places d’honneur et de top 10, mais ne parvient pas à monter régulièrement sur le podium comme il pouvait le faire les années précédentes. Il y a aussi eu les problèmes de pénalité. Tout d’abord le problème de cible ne remontant pas l’obligeant à aller tourner sur l’anneau. Et puis quelques semaines plus tard, l’oubli d’un tour de pénalité qui lui vaudra deux 0 pointés, l’erreur ayant été réalisée au cours d’un sprint. C’est aussi de la malchance. Cela aurait très bien pu arriver lors d’une mass-start ou d’une poursuite, il n’y aurait alors eu que les 2 min de pénalité mais cela n’aurait pas influé sur une autre course.
Ce manque de chance est exacerbé lors des mondiaux. 5ème meilleur tireur de la compétition (sur les participants à 3 courses minimum) et ne quittant pas le top 4 des temps de ski, il termine néanmoins avec une unique médaille. Comme un symbole de cette saison aux résultats ne représentant pas le niveau réel de l’athlète. Le dicton dit qu’il vaut mieux perdre 1 fois 6-0 que perdre 6 fois 1-0, il s’applique certainement à Quentin pour qui il serait plus intéressant d’avoir raté complétement un tir comme Antonin Guigonnat ou Emilien Jacquelin ont pu le faire et avoir en parallèle 5 courses à 100% de réussite.
Car c’est peut-être là la grande différence avec les précédentes saisons. Cette année, il n’y a eu que trois 100%, contrairement aux années précédentes : 6 en 2019 et 5 en 2020. Moins de courses avec beaucoup de fautes (3 fois 85% ou moins (3 fautes au tir sur une course à 4 tirs), contre 11 et 8, mais des fautes réparties sur plus d’entre elles et la machine se dérègle. Régularité, mais pas flamboyance.
La saison de Quentin Fillon-Maillet semble défier toutes les statistiques. Il n’a jamais été aussi fort que cette année et pourtant, il n’a jamais fait aussi peu de podiums. Ces statistiques montrent une tendance, le biathlète progresse, mais il fait face à un manque de chance et de perfection pour sa première saison en tant que leader de l’équipe de France. Le jour où les étoiles décideront enfin de s’aligner pour le jurassien, nul doute qu’il pourra accomplir son destin.
(crédit image titre : IBU/Christian Manzoni)
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