Boxe

Marvelous Marvin Hagler (1954-2021)

La légende Marvin Hagler s’est éteinte ce week-end, de manière aussi brutale qu’inattendue. Laissant l’admirateur, stupéfait, errer parmi les méandres de sa mémoire.

Difficile, pour ne pas dire impossible, de rendre compte, en quelques lignes seulement, de la stature d’une telle figure. On pourrait se contenter d’énumérer ses fait d’armes, son palmarès, quelques-uns de ses plus grands combats. Ressortir des photos iconiques. Affirmer qu’il fut l’un des plus grands Poids Moyens de l’Histoire. Enquiller ses plus célèbres citations. Mais rien de tout ça ne saurait lui rendre justice comme il se doit. Et au portrait platement chronologique, on préfèrera quelques pensées éparses. Des images qui ont ressurgi, sitôt la triste nouvelle entendue, rappelant en quoi il a marqué son sport au fer brûlant. En forme d’hommage…

Avant toute chose et parce que ça compte aussi, il y a, certes, les faits. Surtout quand il se révèlent aussi implacables. 62 victoires (dont 52 k.o.) en 67 combats, seulement trois défaites (dont au moins une, contre Bobby Watts, fort contestable). Champion unifié, durant six ans et demie, d’une des plus illustres divisions – et à une époque où la concurrence ferait pâlir n’importe quel top 10 d’aujourd’hui. Douze défenses de titres. Tous les grands noms d’alors rencontrés, et battus – à la fameuse exception près.

Et puis il y a le reste, ce que les statistiques ne sauraient dire. Son extraordinaire charisme, son physique de bagnard, sa gueule de boxeur surgi du passé. Cette silhouette encapuchonnée de laquelle, sur le court chemin menant des vestiaires au carré magique, émanait une aura de menace et de danger, annonçant sombre et funeste destin pour l’adversaire.

Une fois entre les cordes, on se trouvait pourtant à l’opposé de la bestialité explosive d’un Tyson (si on le compare avec autre intimidant combattant qui lui fut contemporain). Plutôt dans un style, sobre et sans fioritures, rappelant un peu Joe Frazier, en plus technique cependant. Du talent mais aucun génie. Nulle flamboyance ni punch foudroyant, pas de vitesse surnaturelle ni de jeu de jambes défiant l’entendement. Presque le genre de boxeur auquel on ne fait pas trop attention mais qui commence à déborder puis surclasser son adversaire, jusqu’à ce que s’impose l’évidence. Marvin, c’était un cardio illimité, un jab tel un piston, des crochets et directs des deux bras (il boxait en gaucher mais savait inverser sa garde) qui, une fois sa mire réglée, arrivaient tous à destination – on connait peu de boxeurs offrant aussi peu de déchets dans leurs frappes. Une manière d’appliquer à la lettre l’une de ses professions de foi : « search and destroy ». Poursuivant sans relâche l’opposant aux quatre coins du ring sans le laisser respirer ou fuir, dans le but avoué de le coincer, le cadrer, méthodiquement le démolir de ses coups lourds et précis.

On se souvient de l’adversité à laquelle il dut faire face, tout au long d’une carrière compliquée où rien, jamais, ne lui fut offert. D’abord celle des coulisses. Lorsqu’il dut subir bien des décisions litigieuses et attendre de disputer son cinquantième (!) combat professionnel avant d’obtenir une chance pour le titre. L’époque où Frazier lui avait lâché, comme une évidence : « Tu as trois choses contre toi : tu es noir, tu es gaucher et tu sais boxer » (sous-entendu : les gens, connaissant ta valeur, ne souhaitent vraiment pas t’affronter). Puis celle du ring. Lors de sa conquête de ceinture en terre étrangère (en l’occurrence britannique), devant une foule hostile qui, ne goûtant que peu à la défaite de son favori (Alan Minter) et la couleur de peau, jugée trop sombre, du nouveau champion, manifesta sa bruyante désapprobation par des jets de canette de bière, plongeant le lieu dans le chaos. Son destin ensuite à jamais lié à celui de trois autres géants. L’époque dorée des Fabulous Four : quatuor magique qu’on aurait cru sorti d’un cast d’un film de Robert Aldrich et dont les affrontements rythmèrent les glorieuses eighties. Scellant à jamais notre amour de la discipline.

On se souvient ainsi de Roberto Duran dans le rôle du cinglé total, boxeur pur né dans la misère panaméenne. Qui commença à boxer à l’âge de douze ans pour subvenir aux besoins de sa famille. Devint champion dans pas moins de six (!) catégories différentes. Crama sa vie par tous les bouts, multipliant les scandales dans comme hors du ring. Et dont on aurait pensé qu’il serait le premier des quatre à nous quitter, tant son existence chaotique l’a toujours fait évoluer à deux pas du précipice. On se souvient de Sugar Ray Leonard dans le rôle du beau gosse surdoué. L’enfant chéri de l’Amérique, champion olympique en 1976. Golden Boy avant la lettre, chaînon manquant entre Muhammad Ali et Floyd Mayweather. L’autoproclamé successeur de Sugar Ray Robinson. Phénoménal styliste qui rendait la boxe belle à voir et la faisait suivre même à ceux qui ne l’appréciaient pas. On se souvient de Thomas Hearns dans le rôle du tueur à gages, plus dur puncheur de sa génération, au physique aussi étrange qu’atypique pour un boxeur de son poids (notamment en raison de son extraordinaire envergure). Peut-être le produit le plus abouti à être sorti des murs insalubres du mythique Kronk Gym de Détroit, façonné qu’il fut par le coach/sorcier Emanuel Steward.

Et on se souvient donc d’un Marvelous peut-être paradoxalement moins « naturellement » doué que les autres. Mais que sa rage froide, sa détermination sans égale, son mental d’airain, sa discipline de spartiate, son intelligence du ring, sa titanesque force de travail, son inoxydable volonté de détruire hissèrent sur le toit du monde. Tous, se combattant sans relâche les uns les autres durant les années 80, ayant écrit parmi les plus belles pages de la légende du sport (formule, pour une fois, non galvaudée).

Comme il faut, au moins, UN grand combat pour qu’un boxeur transcende sa discipline et entre définitivement dans la légende, on se souviendra pour toujours de l’affrontement qui prit place le 15 avril 1985, au Ceasar Palace de Las Vegas, opposant Hagler au Hitman Tommy Hearns. Confrontation considérée comme l’une des plus grandes de l’Histoire des Poids Moyens. Trois rounds de pure violence durant lesquels chacun ne sembla mu que par la volonté d’annihiler l’autre. La première reprise restant, à ce titre, encore présentée comme peut-être la plus spectaculaire jamais disputée. L’une des plus brutales, assurément. Les deux hommes, dès le coup de gong initial donné, se jetant l’un sur l’autre, sans calcul, dans une volonté affichée d’en finir. Plus de 80 coups, dont très peu manquèrent leur cible, délivrés par chacun des deux dans ces seules trois premières minutes ! Ce combat, c’est une partie de tout ce qu’on aime dans la boxe. Deux guerriers hors-pair, une ambiance électrique, une bataille d’une telle intensité qu’on a l’impression que chacun va y laisser sa peau, un final dramatique (et, en même temps, paradoxalement si réjouissant). Le revoir laissant, aujourd’hui comme alors, le souffle coupé.

On se souvient, encore, du fameux « combat du siècle » (un parmi d’autres), contre Leonard, un soir d’avril 1987. Au cours duquel Marvelous tomba dans à peu près tous les pièges dans lesquels il était possible de basculer (dans comme hors du ring). Le plus important, au-delà du résultat (contestable), restant peut-être que son refus des compromissions le poussa à ne jamais disputer de revanche (qu’on imagine pourtant lucrative jusqu’à l’obscène) et, dans la foulée, tirer sa révérence, en forme d’ultime déclaration. Échappant ainsi, de son propre fait, pour toujours au milieu si particulier du noble art. Histoire d’une fois pour toutes tourner le dos aux magouilles, trahisons et tricheries. Et laisser l’image qui le définit peut-être le mieux : celle d’un homme intègre.

Repose en paix, champion.

« S’ils ouvrent mon crâne chauve, ils trouveront un énorme gant de boxe. C’est tout ce que je suis. C’est ma vie. » (Marvin Hagler)

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