Ca y est cette saison si spéciale de biathlon est terminée. Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin. A chaque fin d’hiver, nos cœurs se serrent à l’idée de devoir attendre 8 mois pour une nouvelle saison. En cette fin de mois de mars, les cœurs allemands et tchèques doivent être encore plus serrés que les autres : leurs stars respectives, Arnd Peiffer et Ondrej Moravec, ont effectué leurs dernières danses en tant que biathlètes à Nove Mesto il y a quelques semaines. Retour sur le parcours de deux immenses champions.
Arnd Peiffer et Ondrej Moravec, c’est l’histoire de deux biathlètes érigés légendes dans leur pays respectif, qui se sont côtoyés sur le circuit entre 2008 et 2020, et qui ont surtout lutté l’un contre l’autre pour le podium à partir de 2013. Problème, un certain Martin Fourcade puis Johannes Thingnes Boe ont tour à tour explosé, ne laissant que des miettes à leurs poursuivants.
Ondrej Moravec est né le 9 Juin 1984 à Usti nad Orlici, 3 ans plus tôt qu’Arnd Peiffer, né le 18 Mars 1987 à Wolfenbüttel, mais découvre le circuit principal plus jeune. Fréquentant la même école que son compatriote Michal Slesingr, Ondrej écrase la concurrence en catégories jeunes avec 5 titres de champion du monde en 2003 et 2005. Il début sur le circuit coupe du monde en 2003 à 19 ans. Arnd est lui un peu plus discret sur les circuits jeunes, et pense même à arrêter le biathlon en 2006. Mais son entraîneur Franck Spengler le persuade de continuer et il réussit finalement à obtenir deux médailles de bronze aux mondiaux juniors en 2008.
Si le tchèque, de par le niveau moins dense de son pays, participe à ses premiers JO dès 2006 (il finit au mieux 32ème du Sprint), il s’illustre pour la première fois en coupe du monde en 2008-2009, la première année d’Arnd Peiffer sur ce même circuit. Ondrej obtient la 4ème place du Sprint de Khanty-Mansiisk alors qu’Arnd monte sur le podium de sa toute première course, le relais d’Oberhof où l’Allemagne finit 2ème, avant de prendre la 7ème place du Sprint. Leur parcours divergent ensuite.
Des styles différents
Honneur au plus vieux, Ondrej va mettre quelques saisons à digérer son meilleur résultat, la faute à un niveau de ski assez moyen (entre la 30ème et la 60ème place à ski le plus souvent) et un tir qui se dégrade : initialement à 85% de précision jusqu’en 2005, le tchèque enchaîne de 2005 à 2012 les saisons avec un pourcentage au tir entre 75% et 82%. Le plus étonnant étant qu’il était en moyenne plus précis au debout (autour de 77-83%) qu’au couché (autour de 70-78%) !
Le déclic vient en deux temps pour Ondrej : il atteint pour la première le top 10 des temps de ski en 2011-2012 pour y rester pendant plus de 3 ans. L’année suivante, il trouve enfin la solution au tir avec 86% de précision en 2012-2013, valeur sous laquelle il n’est pas redescendu jusqu’à la fin de sa carrière ! Moins à l’aise sur les skis depuis la saison 2016-2017, il s’appuie sur son tir pour réaliser ses belles performances (encore 2 top 10 cette saison à 36 ans).
Les résultats ne se font pas attendre : 1er podium individuel fin 2012 avec la 2ème place sur la poursuite de Pokljuka, 1ère victoire début 2013 sur la Mass-Start d’Oslo et 1ère médaille mondiale avec le bronze lors du relais des mondiaux de Nove Mesto en 2013.
Pour Arnd, pas besoin de temps pour digérer son arrivée sur le circuit. Déjà très bon et régulier sur les skis, il remporte sa 1ère victoire lors de sa première année en 2008-2009, le Sprint de Khanty-Mansiisk. L’année suivante il obtient son 1er titre mondial avec le relais mixte en 2009-2010. Aux mondiaux de 2011, il remporte son 1er titre mondial à Khanty-Mansiisk (encore !), toujours sur le sprint et devant Martin Fourcade.
Régulièrement dans les 20 voire 10 meilleurs skieurs, Arnd va très vite découvrir son point faible, qui l’empêchera d’avoir une armoire à trophées plus garnie : le tir debout. On ne trouve trace que de 2 saisons où il dépasse les 86% de réussite au tir debout. Le trou d’air que connaît Arnd de 2012 à 2014 s’explique notamment par un tir couché moins performant (82% en 2012-2013).
L’allemand trouve la solution à partir de la saison 2014-2015, où il stabilise son tir couché au-dessus des 91% et son tir debout variera entre 82% et 87% de réussite. Pour agrandir son palmarès, Arnd comptera plutôt sur son niveau de ski que son niveau de tir.
Sotchi, la consécration olympique puis des trajectoires différentes
Ondrej et Arnd ont un point commun : ils ont remporté leur première médaille olympique aux JO 2014 à Sotchi. Pour l’allemand, c’est avec le relais qu’il réalisera cette performance, prenant la médaille d’argent. Le tchèque quant à lui va tout simplement établir un record, celui du nombre de médailles pour un biathlète tchèque. En argent sur le relais mixte, il n’est battu que par Martin Fourcade sur le Sprint et obtient le bronze sur la Mass-Start.
La digestion de ces résultats olympiques sera différente pour les deux athlètes. Ondrej Moravec enchaîne en 2014-2015 avec sa meilleure saison sur le circuit à 30 ans, terminée à la 6ème du classement général et notamment 2 podiums. Encore sur le podium début 2018 et avec un tir en constante amélioration (à 90% de moyenne entre 2018 et 2020), Ondrej ne pourra malheureusement pas lutter contre le temps qui épuise plus rapidement son physique. Dans ces conditions, ses meilleurs résultats interviendront sur l’Individuel, où il participe d’ailleurs à sa seule cérémonie des fleurs pour sa dernière saison, 5ème de la première épreuve à Kontiolahti fin 2020.
Pour Arnd Peiffer, le chemin est différent. Sa médaille collective ne masque pas ses problèmes au tir qui l’empêchent de briller individuellement. Mais le déclic a lieu lors de cette 2013-2014. Il progresse au tir la saison suivante, dépassant les 85% de moyenne, ce qui lui permet d’accrocher une victoire au sprint d’Oslo. Le problème d’Arnd, c’est qu’il mettra du temps à réunir les deux ingrédients du biathlon : alors que son tir atteint son apogée en 2015-2016, c’est son physique qui est en retrait.
Il atteint le sommet de sa carrière en 2017-2018 et n’en sort plus : toujours ou presque parmi les 20 meilleurs skieurs, son très bon tir couché (93% de moyenne depuis 2017) compense un tir debout à 85% et lui permet d’accrocher bon nombre de podiums. La récompense ultime arrive en Corée du Sud pour les JO 2018 : une médaille d’or individuelle, sur le Sprint grâce à un sans-faute, et ce malgré de nombreuses mésaventures : sa carabine s’est cassée et il est blessé au coude droit !
L’année suivante, à Östersund, il devient à nouveau champion du monde, de l’Individuel cette fois. Cette même épreuve qui lui apporte sa dernière médaille mondiale avec l’argent à Pokljuka début 2021.
Des légendes dans leur pays
Ondrej Moravec et Arnd Peiffer, ce sont aussi et surtout des athlètes qui ont marqués l’histoire de leurs pays. Ondrej a tout simplement le plus beau palmarès du biathlon tchèque masculin, même devant Michal Slesingr : médaillé olympique, médaillé mondial, 14 podiums dont 1 victoire en coupe du monde, il a participé à l’histoire magnifique de la République Tchèque durant les années 2010, qui a aussi connu Gabriela Soukalova chez les femmes.
Ondrej c’est également un personnage discret dans les médias mais très attachant, toujours souriant, qui a su hisser sa nation sur le devant de la scène, notamment en relais, où la République Tchèque partait de plus loin.
Quant à Arnd, il est le biathlète allemand de la décennie avec Simon Schempp. Une décennie avec moins de succès pour l’Allemagne, quand on compare à la bande de Sven Fisher qui a raflé bon nombre de titres et médailles. Mais Arnd a un palmarès impressionnant : 40 podiums en coupe du monde dont 11 victoires, champion du monde et champion olympique. On peut d’ailleurs étaler certaines statistiques incroyables : il a remporté au moins une médaille à chacune de ses participations aux mondiaux ou JO, bien aidé par le relais certes. Il est également un des deux seuls athlètes à avoir gagné une course pour sa 1ère et sa dernière année !
On connait également l’allemand pour son côté superstitieux : exactement 30 minutes avant chaque épreuve, il mange une banane, c’est son rituel et il a plutôt bien marché pendant sa carrière.
Une retraite pour une fin de cycle ?
Un dernier point commun entre les deux athlètes : leur fin de carrière est le symbole de la fin d’un cycle pour leurs nations respectives, toutes proportions gardées. Si les années 2010 de la République Tchèque et de l’Allemagne sont pleines de succès, les années 2020 s’annoncent plus difficiles.
Arnd le sait et l’assume : il était encore compétitif et aurait pu continuer. C’est d’ailleurs surprenant de le voir arrêter à un an des JO 2022 mais, à l’instar de Martin Fourcade, l’allemand souhaitait quitter le circuit en haut de la hiérarchie et c’est chose faite : il termine 12ème du général en ratant les 3 dernières courses.
“Cet hiver, j’ai encore connu quelques bons moments, et c’est bien de partir en étant encore compétitif“
Arnd Peiffer sur sa page facebook
Pour l’Allemagne son départ est douloureux, car il était l’arbre qui cache la forêt d’une nation en difficulté, et qui n’a plus à l’heure actuelle de biathlète homme capable de remporter une course. Simon Schempp a arrêté il y a quelques moins, Erik Lesser subit le poids des années, Benedikt Doll et Johannes Kuehn sont au sommet de leur carrière sur les skis mais trop inconstants au tir. Et la relève se fait attendre. Pour une des plus grandes nations du biathlon, les prochaines années risquent d’être longues.
Le départ en retraite d’Ondrej Moravec est moins étonnant. Après près de 20 ans sur le circuit, avec un physique vieillissant, le tchèque a choisi d’arrêter lors de l’avant dernière étape dans son fief de Nove Mesto, et on a pu observer une superbe haie d’honneur de l’équipe tchèque à la fin du relais mixte simple.
Le départ d’Ondrej, un an après Michal Slesingr, laisse les espoirs du biathlon tchèque masculin reposer sur Michal Krcmar, qui a déjà 30 ans et n’a jamais vraiment confirmé son incroyable médaille d’argent sur le sprint des JO 2018 de Pyeongchang. Si la relève est toute trouvée chez les femmes en la personne de Marketa Davidova, elle tarde à émerger chez les hommes, bien que de gros espoirs soient placés Mikulas Karlik, 21 ans et qui a découvert cette année le circuit mondial.
En tant que français, voir les carrières d’Ondrej Moravec et Arnd Peiffer s’achever nous fait un pincement au cœur. Car cela nous rappelle que le temps passe, un an après le départ de notre légende à nous. Surtout, même si on les parfois détesté pour avoir battu notre Martin national, Ondrej et Arnd ont avant tout été des adversaires formidables pour le français. Légendes de leur pays, biathlètes appréciés, multi-médaillés aux Jeux Olympiques et aux Mondiaux, ils nous ont fait vibrer. Alors bon vent messieurs Moravec et Peiffer, bienvenue dans votre seconde vie. Et surtout merci…
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