Il aurait du prendre part à son second Tour des Flandres demain, dimanche 4 avril, après un excellent début de saison. Mais la faute à une fracture de la main gauche au sprint lors de Cholet-Pays de Loire, il sera chez lui pour soutenir son équipe, la Groupama-FDJ. Le britannique Jake Stewart a accordé un entretien exclusif à CCS, il nous a parlé de sa carrière, ses origines et ses choix. (Cet entretien a eu lieu le 22 mars, quelques jours avant sa blessure).
Tout d’abord, présente toi..
Je m’appelle Jake Stewart, j’ai 21 ans. Je viens de Grande-Bretagne et je suis coureur cycliste à la Groupama-FDJ
Comment en es-tu venu au vélo ?
J’ai commencé le cyclisme par le triathlon mais je ne prenais pas vraiment de plaisir en nageant et courant donc je me suis concentré sur le vélo. J’ai rejoint le club de vélo qui était à 5 minutes de chez moi. Et j’ai progressé au sein de ce club, c’était aux alentours de mes 12 ans. Après ça, j’ai rejoint le British Cycling Performance Pathway – équivalent du Pôle Espoir en France – où je me suis concentré sur la piste et la route. J’ai passé deux ans là bas jusqu’à mes 17 ans. J’y ai effectué mes 2 ans de junior puis dans la catégorie espoir. Suite à ça, j’ai rejoint l’équipe continentale Groupama-FDJ où j’ai passé 2 ans. Et maintenant, je fait partie de l’équipe World Tour.

Comment te définirais-tu en type de coureur ?
La meilleure façon de me caractériser serait probablement comme un coureur de Classiques. J’ai toujours une bonne pointe de vitesse après une longue et difficile journée sur le vélo. C’est ce qui caractérise les Classiques et oui, je pense que c’est ce que je suis. Après, performer reste le plus important pour moi, peu importe la course, qu’il y ait du vent, que ça grimpe..
“Je suis sûr d’être capable de refaire ce genre de résultats.”
T’imaginais-tu à ce niveau au début de la saison ?
Nous n’étions pas sûrs de ma condition parce que je n’ai pas pu faire les camps d’entraînement avec l’équipe. J’ai commencé ma saison sur l’Etoile de Bessèges et c’était un test pour savoir où j’en étais. Finalement j’ai montré que j’avais de bonnes jambes comme sur les autres courses où je suis allé. Après l’Omloop Het Nieuwsblad, je suis rentré chez moi pour m’entraîner quelques semaines avant le gros bloc de Classiques belges.
La Groupama-FDJ est une formation qui se consacre principalement aux grands tours alors que toi tu es plutôt un classicman, comment vois-tu la chose ?
Je pense que nous sommes une bonne équipe de Classiques maintenant avec Stefan (Küng), Toby (Tobias Ludvigsson), Fabi (Fabian Lienhard) et Geniets notamment. C’est sûr qu’avant, l’objectif de l’équipe était les Grands Tours mais je pense qu’aujourd’hui ce n’est plus seulement le cas. Nous avons Stefan qui est l’un des meilleurs coureurs de Classiques du peloton. L’équipe est construite autour de lui et on peut se concentrer sur les Classiques de printemps et les Grands Tours. C’est bien pour les jeunes coureurs comme moi, on peut se focaliser sur l’équipe et prendre part au combat pour obtenir une place dans le groupe des classiques.

Pour ta première course WT de l’année (Omloop Het Nieuwsbald), tu as fini 2e derrière Davide Ballerini, t’attendais-tu à une telle performance ? Te sens-tu à ta place et capable de renouveler ce genre de résultat ?
Je suis sûr d’être capable de répéter ce genre de résultats, tu sais sur Nokere Koerse j’étais malade, je n’ai pas vraiment pu m’exprimer, c’était seulement deux semaines après l’Omloop où j’ai fait un podium, j’ai enchaîné les bonnes places sur des Classiques de haut-niveau. Alors je pense que je suis capable de refaire ce genre de résultats. J’ai déjà fait 4 top 10 depuis le début de saison donc maintenant je pense pouvoir le refaire. Ce n’est pas juste un film.
Mais au final, cette seconde place était une surprise. Je n’avais jamais fait de course aussi dure surtout en World Tour. Je ne connaissais pas les montées pavées . Alors c’est sûr que ça reste une surprise mais je sais aussi que j’avais travaillé dur cet hiver. Et puis je m’étais mis dans les meilleures conditions pour performer sur cette course.
Ta bonne forme du moment modifie-t-elle tes objectifs pour la suite ? Notamment pour les Classiques ? (N.D.L.R. Au moment de l’entretien, Jake n’était pas blessé)
Oui je pense que ma condition change un peu les objectifs, je pense beaucoup au GP E3. Ça change aussi ma manière d’aborder ces courses. Et le fait de performer comme ça me fait comprendre que je suis capable d’être dans l’équipe pour les Classiques. J’aimerais vraiment prendre part au bloc de Classique et au Tour de Romandie. Après ça je ferais une coupure et je me concentrerais sur le reste de la saison.
“Le futur de la Grande-Bretagne sur les Classiques s’annonce brillant.”
Quel lien entretiens-tu avec la sélection britannique ?
Bien évidemment, le coronavirus a perturbé les équipes nationales. Je faisais partie de la sélection U23 britannique et il n’y pas eu de courses. Ou seulement une ou deux. Avec le calendrier actuel, il n’y aura probablement pas de sélection nationale. La Coupe des Nations U23 a été annulée. Il reste les Championnats du Monde et pour la sélection, ils vont devoir savoir si c’est maintenu ou pas parce que pour le moment c’est incertain. Mais j’aimerais être dans la présélection pour les Mondiaux U23.
Quel rôle ont joué les Bradley Wiggins, Christopher Froome, Mark Cavendish, Geraint Thomas… dans le cyclisme anglais ? Dans le tien ?
C’est évident qu’ils ont joué un rôle important pour beaucoup de jeunes athlètes en Grande-Bretagne. Avec les cyclistes du passé, le cyclisme anglais peut maintenant montrer beaucoup de choses. Et ce passé a encouragé les grands cyclistes britanniques d’aujourd’hui comme Thomas, Cavendish et beaucoup d’autres. C’est aussi le fait que le cyclisme britannique peut compter sur son “Performance Patwhay”. Grâce à tout ça, il devrait y avoir encore beaucoup de talents à se révéler.
Très peu d’anglais ont performé sur les Classiques, comment tu l’expliques ?
Je pense que ce sont uniquement des styles de coureurs différents avec une physiologie différente. Ces derniers temps il y a beaucoup de coureurs costauds. C’est le cas avec Luke Rowe ou Owain Doull qui performent sur les Classiques. Je pense que la Grande-Bretagne est un pays avec différents styles de cyclisme. Mais le futur du pays sur les classiques s’annonce brillant, notamment grâce aux résultats de Tom Pidcock et plus récemment les miens. Il y a beaucoup de jeunes britanniques talentueux. Ils ont la même physiologie sur le vélo, ils aiment les courses difficiles avec du vent, les grands coureurs et veulent ce genre de succès. Mais il y aussi des coureurs qui préfèrent les Grands Tours et il faudra également compter sur eux.

Ces dernières années de nombreux anglais se sont révélés, comment l’expliques-tu ?
Je pense qu’il s’agit uniquement d’une partie de ce qu’ils peuvent faire. Au programme “Performance Patwhay” du cyclisme britannique, nous avons été ensemble avec Tom (Pidcock) et Stuart (Balfour) en tant que junior. C’était aussi le cas avec Matt (Walls) et Fred (Wright) pendant deux ans. Et ces années en junior ont probablement joué un grand rôle dans nos carrières d’aujourd’hui et dans notre développement en tant que cyclistes. Je pense que nous avons vraiment appris de ces 2 ans et je pense qu’il y a plus de talent aujourd’hui en Grande-Bretagne grâce au “performance pathway”. Ces coureurs sont plus forts et se battent dans les grandes courses. Il y a aussi plus de talent et plus de personnes à monter sur un vélo maintenant en Grande-Bretagne.
Beaucoup d’anglais commencent le cyclisme par la piste, es-tu passé par cette discipline et pourquoi ?
J’ai commencé le cyclisme par la piste. Quand je suis arrivé en espoir j’ai changé mais ça a été le cas jusqu’à mes 16-17 ans. Après je me suis vraiment concentré sur la route.
Est-ce une obligation de passer par la piste ?
Si tu fais partie du “Performance Pathway” du cyclisme britannique, la piste et la route sont deux disciplines. Il y a plusieurs règles là-bas, ce n’est pas soit la route, soit la piste, ce sont les deux ensemble. Mais oui, pour moi c’est une obligation. Tom Pidcock en a fait un peu mais il a choisi le cyclo-cross et il a déjà une très belle carrière. C’est certainement différent dans le cyclisme britannique pour arriver au sommet du sport… vous pouvez le faire sur la route ou sur la piste, il n’y a pas de règle spécifique.
“Le cyclisme sur route est un sport mais aussi un business.”
Pourquoi avoir fait le choix de commencer dans une continentale qui plus est française ?
Pour ma première saison en Espoir, avec l’équipe nationale de Grande-Bretagne, je ne voulais pas me concentrer sur la piste mais plutôt sur la route. J’ai eu de bons résultats et la continentale Groupama-FDJ m’a approché. J’ai discuté avec eux et je me suis dit que rejoindre une équipe de développement World Tour était le meilleur choix à ce moment là. C’était l’une de mes seules offres et c’était ce qu’il fallait pour que je me concentre sur la route. Le tout en découvrant des courses internationales. Rejoindre une World Tour trop rapidement m’aurait cramé. C’était aussi une solution pour m’éloigner de la piste.

Quand tu signes pour la continentale, l’équipe World Tour Groupama-FDJ t’assure-t-elle un contrat pour la suite ?
Non, tu sais, c’est comme n’importe quel autre contrat. Tu signes pour 1 ou 2 ans et si tu performes, ils renouvellent ton contrat, si ce n’est pas le cas, ils ne te gardent pas. Dans tous les cas, ça ne signifie pas que tu vas passer de la continentale à la World Tour. La garantie que tu vas rester dans l’équipe continentale pendant 4 ans n’est pas systématique pour tout le monde. Le cyclisme sur route est un sport mais aussi un business. Si tu n’es pas bon pour conserver ton contrat, tu n’auras de contrat avec personne. Pour les jeunes cyclistes, c’est une bonne opportunité même si tu ne rejoins pas l’équipe World Tour.
Que t’as apporté ce passage dans la continentale ?
Vivre à l’étranger, avec des coureurs internationaux et bien évidemment apprendre le français, être capable de communiquer avec tout le monde. C’était une bonne expérience et j’ai appris énormément de choses pendant ces deux ans.
Beaucoup de coureurs de la Groupama-FDJ viennent de la continentale (Clément Davy, Kevin Geniets, Alexy Brunel…) est-ce que le fait d’être ensemble depuis vos 18-19 ans joue un rôle dans vos résultats ?
Oui c’est possible. Nous étions dans la même équipe mais ça ne veut pas dire qu’on passait nos journées ensemble, on avait chacun notre appartement. Mais quand vous êtes dans une de ces deux équipes, c’est comme si vous étiez dans n’importe quelle équipe. Tu te sacrifies pour les gars qui sont avec toi et eux le font pour toi. Je ne pense pas que le fait d’être ensemble dans la continentale et maintenant la World Tour ait une grosse influence sur les résultats. Mais nos liens étaient déjà créés avant d’arriver dans l’équipe World Tour donc ça reste bénéfique pour tout le groupe.