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EURO 2020 : Autriche, une “Wunderteam” à l’ADN Red Bull

« Red Bull Autriche », « Austria Salzburg » ou tout simplement « Red Bull Brothers », les jeux de mots plus ou moins révélateurs ne manquent pas à Klagenfurt, en ce jour de juin 2019, lorsqu’il s’agit de connoter le onze de départ de l’équipe de l’ÖFB contre la Slovénie. En effet, ils sont sept actuels ou anciens du FC Red Bull Salzbourg à être dans la formation initiale autrichienne pour ce match de qualification à l’EURO 2020 : Stefan Lainer, Martin Hinteregger, Andreas Ulmer, Xaver Schlager, Konrad Laimer, Valentino Lazaro et Marcel Sabitzer. Stefan Ilsanker les rejoint même en entrant en jeu durant la partie. Un constat symptomatique de la nouvelle tendance pour un football autrichien en pleine mutation. Portrait.

Salzbourg, nouvel épicentre du football autrichien

Comme ce fut le cas pour bien d’autres pays européens, le football est arrivé en Autriche-Hongrie à la fin du XIXe siècle, dans les bagages d’expatriés anglais. C’est dans la capitale de l’Empire, Vienne, que les premières parties de ballon rond entre les jardiniers du baron Rotschild et les employés de la célèbre banque, attisent la curiosité des Viennois. Rapidement, les premiers clubs y naissent dont le doyen, le First Vienna, la fédération s’y installe et l’Equipe nationale y dispute ses matchs. Si encore aujourd’hui le football y est très populaire et déchaine les passions, en témoigne les démonstrations trop excessives entre les ultras de l’Austria et du Rapid lors du 327ème derby de la capitale en septembre 2018 -des émeutes et des jets de projectiles après le coup de sifflet final ont entrainé de lourdes sanctions et une modification de la règlementation par la OFB- l’épicentre du football autrichien se déplace peu à peu à 300 km de là, à Salzbourg.

Lors de la saison 2019-2020, le Red Bull Salzbourg a disputé sa première phase de poule en Ligue des Champions dans son histoire (crédit : eurosport.com)

Rien d’illogique quand on sait que la ville est le berceau de la célèbre marque Red Bull. Géant dans le domaine des boissons énergisantes, le groupe autrichien tend à se développer dans le sport. Après la Formule 1, le motocross ou encore le hockey sur glace, l’entreprise décide de continuer le développement de son soft power dans le football. En juin 2005, le SV Austria Salzbourg, club trois fois champion d’Autriche (1994, 1995 et 1997) est racheté par l’entreprise. Un choix marquant qui sera suivi d’autres investissements au cours des années suivantes (New York Red Bulls, RB Leipzig, Red Bull Brasil, Red Bull Ghana…). La maison mère, le Red Bull Salzbourg, répond rapidement présente sur la scène nationale. Le club rouge et blanc glane 11 des 15 championnats d’Autriche auxquels il prend part, avec des investissements importants et une stratégie sur le long terme.

Une philosophie basée sur la formation

Hormis son outrageuse domination sur la scène nationale, la formation autrichienne s’est peu à peu fait un nom en Europe, dépassant le cadre des critiques dirigées à son encontre et son mode de fonctionnement. Bien que rarement en vue en Ligue des Champions, symptôme du manque de compétitivité de la Bundesliga autrichienne de l’époque (21ème rang au classement des pays UEFA lors de la saison 2006-07), le Red Bull Salzbourg s’illustre surtout en Ligue Europa. Sortants régulièrement des phases de poules (6 fois sur 8), les “Taureaux” atteignent la demi-finale lors de l’exercice 2017-2018. La consécration d’un projet.

La Red Bull Académie de Salzbourg (section football et hockey) accueille 180 jeunes footballeurs dans des conditions ultra modernes et adaptées à la maximisation de la performance. (crédit : FC Red Bull Salzbourg youtube)

Car entre-temps, le RB Salzbourg perd son statut de “club fanion” en 2015, au profit du RB Leipzig dont l’appartenance nouvelle à la Bundesliga allemande est bien plus attractive et porteuse. Toujours engagée comme sponsor officiel, la firme Red Bull voit cependant son travail de formation des jeunes talents, récompensé avec un succès en Youth League lors de la saison 2016-2017, avec Marco Rose comme architecte. Cette génération si prometteuse (Amadou Haïdara, Hannes Wolf, Xaver Schlager ou encore Patson Daka) est le fruit de la politique de Ralf Rangnick. Ce dernier a, entre 2012 et 2015, accéléré le développement du Red Bull Salzbourg avec une idée bien claire : un jeu transmit dés le centre de formation pour facilité l’éclosion des joueurs “Made in Red Bull Salzbourg”. Ce travail a payé et a en parallèle impacté positivement le championnat et la sélection.

Nouvelle génération et recherche d’une gloire perdue

Si le RB mise sur les jeunes talents étrangers (Haaland, Mané, Upamecano sont les exemples les plus notables ces dernières années), il n’en néglige pas moins les locaux. Ces derniers représentent un espoir important pour un pays qui n’a que rarement connu les hautes sphères du football mondial et européen : 7 participations à la Coupe du monde, la dernière datant de 1998, avec deux demi-finales (1934, génération de la “Wunderteam” de Sindelar et 1954) comme meilleur résultat. En 2007, la sélection U20 a terminé 4ème du mondial au Canada. En 2019, c’est la catégorie U21 qui prend part à son premier Euro, terminant 3ème de sa poule mais en obtenant un match nul face au grand frère allemand. Signe d’un progrès certes relatif mais acté.

« Avec la création du Red Bull Salzbourg, quelque chose s’est produit dans foot autrichien. On a vu émerger des opportunités qui n’existaient pas auparavant, à commencer par la formation (sportive et éducative). Je trouve personnellement que le travail effectué chez les jeunes par Red Bull est une performance de haut vol, même si beaucoup pensent que c’est pire que dans l’armée. Après, bien sûr que ce n’est pas positif qu’il n’y ait pas de tradition derrière, sinon de l’argent. Cependant, on ressent beaucoup de fierté lors d’une victoire en Youth League ou une demi-finale d’Europa League. C’est un sentiment partagé par beaucoup d’Autrichiens. »

Kevin, membre de la section autrichienne d’un groupe de supporters du BVB (crédit propos : footballski)

En poste à la ÖFB depuis 1999, Willibald Ruttensteiner est à l’origine de celui-ci. Il a repensé le système de formation en Autriche, et a notamment encouragé les clubs à construire des centres de formation modernes. Dans le même temps, la Bundesliga autrichienne et la fédération se sont mises d’accord pour mettre en place un nouveau fonds de financement commun, appelé l’Österreicher-Topf. Le but ? Privilégier les jeunes joueurs autrichiens en reversant une somme d’argent aux clubs possédant moins de six étrangers dans l’effectif (le RB Salzbourg, tourné vers l’étranger et autofinancé n’y prend pas part). Au total, neuf clubs se partagent 700.000 € (mélange de droits TV et d’argent de la fédération) en fin de saison. Conséquence, en 10 ans, le temps de jeu effectif des jeunes joueurs autrichiens est passé de 54 % à 74 % du total possible. Le système semble gagnant puisque quelques clubs, prenant exemple sur la philosophie de jeu du RB Salzbourg, ont réussi à développer un modèle stable et viable sur les plans sportif et économique (Linz, Wolfsberger), leur permettant de réaliser des performances solides en Europe (Linz a joué les huitièmes de l’EL l’an passé et l’Autriche est passée 10ème au coefficient UEFA) et en championnat.

Une sélection nationale plus compétitive

Il était également très important que ces jeunes joueurs talentueux réussissent à quitter le pays pour jouer dans des championnats plus compétitifs que la Bundesliga autrichienne. Pour ce faire, Ruttensteiner a également lancé le « Projekt 12 ». Un plan d’accompagnement, lancé en 2009 par l’ÖFB en collaboration avec le ministère des Sports autrichien et la Bundesliga autrichienne, pour les meilleurs talents de 15 à 21 ans : Konrad Laimer et Valentino Lazaro, deux ex du RB Salzbourg ont pu en bénéficier. La proximité géographique et culturelle avec l’Allemagne a permis à certains d’eux (comme David Alaba) de partir dans les centres de formation allemands. Ces derniers ont pu gagner de l’expérience dans un championnat bien meilleur que le domestique. Preuve de ce développement, les joueurs autrichiens sont le plus gros contingent de joueurs étrangers en Bundesliga (31 joueurs et 10,7 % du total), devant la France (29).

David Alaba, symbole d’une équipe autrichienne en renaissance, mais qui a déçu à l’EURO 2016 (crédit : Goal.com)

Ces politiques expliquent en partie le regain de Die Rot-Weiss-Roten (« les Rouges-Blancs-Rouges »). Le championnat des nations de 2008 (coorganisé avec la Suisse) a été un échec car l’équipe n’avait tout simplement pas le niveau. En qualifications pour l’édition 2016, les hommes de Marcel Koller se sont montrés impitoyables (neuf victoires et un nul), passant de la 71ème à la 11ème place au classement FIFA. Pleine d’espoir sur la ligne de départ, c’est finalement avec un seul point en trois rencontres et une sortie par la toute petite porte, que l’Autriche est totalement passée à côté de son Euro 2016. Qu’importe, depuis les cadres ont été renouvelés, Koller a été remplacé par Franco Foda et la jeune génération a pris le pouvoir avec un ADN Red Bull bien présent : Wolf, Sabitzer, Wöber, Laimer, Schlager et encadrée par une génération tout aussi talentueuse et expérimentée : Baumgartlinger, Marko Arnautovic ou David Alaba.

“Die Rot-Weiss-Roten”, nouvelle objectif made in Red Bull ?

L’enthousiasme dans le pays a considérablement augmenté. Les supporters autrichiens étant sevrés de résultats depuis longtemps. Avant la crise du COVID-19, le Ernst-Happel-Stadion, bien que vétuste, a toujours été plein avec 45.000 spectateurs pour chaque match, dont ceux face à la Moldavie et le Liechtenstein. Pourtant, ce symbole du football autrichien est un frein aux nouvelles ambitions du pays alpin. Un sujet hautement politique, puisqu’en 2018, après le 9ème congrès du football autrichien, le Vice-Chancelier Strache a réclamé une nouvelle enceinte prenant exemple sur la Hongrie et du stade Ferenc Puskas, qui compte 65 000 places et qui accueillera des matchs de l’EURO 2020. Face à la règlementation -le Ernst-Happel étant déclaré monument historique- et face aux manques de moyens financiers, Strache pense de manière audacieuse, “Il peut aussi advenir un nouveau stade Red Bull comme nouveau stade national. Si M. Mateschitz ouvre les financements, je suis d’accord. ». Si l’accomplissement de cette idée est loin d’être une réalité, il n’en reste pas moins que l’ombre de Red Bull plane au dessus de la sélection nationale.

En 2016, le football a occupé une place majeure à la télévision autrichienne avec 4 des 6 meilleures audiences annuelles. (crédit : Der Standard.at)

Il y a seulement quelques jours, ServusTV, la chaîne appartenant à Mateschitz, a obtenu les droits de diffusion en exclusivité de l’EURO 2024 et 2028 en Autriche. Un message fort pour le groupe télévisuel qui semble vouloir s’établir progressivement en tant que leader n°1. En outre, selon ses propres dires, la chaîne Red Bull a également remporté « les meilleurs matchs de qualification » de l’équipe nationale autrichienne en qualification pour l’EURO 2024, 2028 et pour la Coupe du monde 2026. Pour ce faire, Dietrich Mateschitz a débloqué ces derniers mois pour Servus TV – selon les estimations du quotidien autrichien Der Standard – plus de 100 millions d’euros pour les principaux droits sportifs, avec entre autre : la Formule 1, la Ligue des Champions, la Ligue Europa et l’Europa Conference League, les droits des matchs de tennis de Dominic Thiem et quelques autres formats. Rien de plus logique lorsqu’on s’aperçoit que les trois émissions les plus regardées en 2016 ont été les matchs de l’équipe nationale à l’EURO 2016. La finale a également été dans le top 10 de l’année, se plaçant devant les courses majeures de la saison de ski.

Dès lors, cette présence de la firme RB au cœur de la sélection autrichienne de football devient un enjeu politique, culturel et économique. Au delà du cadre institutionnel et sportif, celle-ci est un vecteur du phénomène multiculturel –dont David Alaba est le porte étendard– et un sujet rassembleur dans un pays fortement marqué par les identités régionales. Si la connotation “Red Bull Autriche” à l’équipe résulte du travail réalisé par la galaxy RB depuis son implantation dans le football, certains y voient d’abord une opportunité sportive, rêvant d’un retour au premier plan de la “Wunderteam” (profitant de la réussite du RB Salzbourg et du RB Leipzig). Quand d’autres dénoncent l’ancrage tentaculaire de Mateschitz et du football business, toujours aussi critiqué à l’heure actuelle.

Les épisodes précédents :

EURO 2020 : Zurich, symbole de la relation Suisse au football

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