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Œil de coach : les ¾ du Stade rochelais, un équilibre parfait et gagnant

Chaque week-end, les observateurs français du Top 14 mais aussi étrangers lors des joutes européennes, découvrent un Stade rochelais qui attire le regard, impressionne, performe… Bref qui joue un rugby équilibré et réfléchi. Ronan O’Gara a semble-t-il mis au point une formule magique digne des plus grands sorciers du rugby. L’entraîneur irlandais a su profiter des bons travaux de Collazo et de Garbajosa, il en a pris le meilleur mais a aussi ajouté quelques systèmes et idées technico-tactiques ingénieuses qui font aujourd’hui ce La Rochelle qui enchante. Derrière un paquet d’avants dominant, physique et joueur c’est une ligne de ¾ du même acabit que l’on retrouve. Mais il y a bien un homme qui symbolise la vague maritime du moment, le Fidjien, Levani Botia. Il est LA figure de cette équipe intransigeante en défense et qui peut se permettre de déployer du jeu sur les extérieurs rien que par son aura. Décryptage.

Une équipe rodée

Le bilan comptable de La Rochelle est excellent puisque après 20 journée dans le Top 14 édition 2020-2021, le club pointe à la seconde place à seulement 3 points derrière le leader toulousain. Si l’on se penche sur les détails au crépuscule de la saison régulière, les Jaune et Noir ont remporté 14 matchs pour seulement 6 défaites. Durant ces rencontres 524 points ont été inscrits (4ème) mais surtout 321 points ont été encaissés seulement (1er) ! Des statistiques d’équipes absolument sensationnelles d’un point de vue défensif. Il est à noter que dans la Champions Cup raccourcie de 2021, le Stade rochelais n’a pas fait de cadeaux aux équipes anglaises, irlandaises et écossaises non plus, et en est, pour le moment, au ¼ de finale de la compétition.

En termes de minutes jouées, il est possible de formuler la ligne de ¾ du Stade rochelais comme la suivante :

La KBA philosophy de Ronan O’Gara :

Quand Ronan O’Gara arrive à La Rochelle, il débarque avec dans ses valises une philosophie de jeu apprise sur les vastes plaines néo-zélandaise du côté des Crusaders. Dans un rugby de l’hémisphère nord, de plus en plus stéréotypé vers la dépossession, O’Gara veut (ré)ouvrir une voie alternative, celle du jeu de mains, la « KBA Phiosophy ». Ce système cherche à éliminer au maximum les rucks et maximise l’utilisation du jeu de main dans le mouvement avec offloads et balle à l’aile. Le style de jeu libéré est aérien a un nouveau gourou en France (KBA est l’acronyme de Keep Ball Alive – garder le ballon vivant, en français).

Ronan O’Gara prend les rênes du Stade Rochelais avec des idées plein la tête (Photo by Dave Winter/Icon Sport)

Néanmoins, O’Gara, en bon Irlandais, connaît l’importance des fondamentaux propres qu’imposent le rugby européen. Son attaque de feu se mariera avec une défense de fer, il en fait le serment. O’Gara bâtit donc un groupe qui répond à ses attentes pour arriver, cette année, à un équilibre quasi parfait.

Le plan de jeu exposé par le Stade Rochelais sur papier mais aussi en pratique est extrêmement basique, simple. Sa réussite provient de son application extrême et parfaite de bout en bout des matchs. Offensivement les grands principes de jeu sont les suivants :

En observant les statistiques individuelles, le plan de jeu est effectivement respecté à Marcel-Deflandre. Ihaia West lâche le ballon constamment sur chaque action par la main ou par le pied. Il ne totalise que 44 courses au total en 14 matchs cette saison en contrepartie c’est 264 passes qu’il a réalisé.

Retière et Leyds remplissent à merveille leurs rôles eux aussi. Avant tout en tant que finisseurs avec respectivement 6 et 5 essais marqués mais aussi 595 et 801 mètres parcourus, 40 et 29 défenseurs battus. Bref, Les deux ailiers rochelais font partis des tous meilleurs à leur poste cette saison.

Jérémy Sinzelle est quant à lui le couteau suisse de cette équipe, capable de jouer à toutes les positions évoquées. Il l’a d’ailleurs déjà fait le tour de la question cette année et a bien dépanné à l’arrière avec l’absence de Brice Dulin, retenu avec le XV de France. Si offensivement il est plus difficile de pondéré l’impact de Sinzelle, défensivement, le joueur est un dernier rempart précieux pour son équipe dans un système qui peut devenir fatal face à des contre-attaques.

Statistiques en Top14 des joueurs évoqués précédemment

L’innovation payante

Quelque chose choque dans cette ligne de ¾. On aperçoit au milieu de cette formation un homme qui habituellement ne se trouve pas à cette position. Raymond Rhule, le Sud-Africain, opère au Stade rochelais en position de second centre cette saison, lui qui est habituellement connu sur les extérieurs.

Rhule est un ailier de formation, capable aussi de dépanner au poste d’arrière mais seulement en cas d’extrême nécessité. Si le joueur opère communément à ce poste c’est parce que aux premiers abords, c’est celui qui convient le mieux à ses capacités. Raymond Rhule est un gros gabarit (1,89m) mais surtout un véritable athlète capable de répéter les sprints. Cependant, le joueur a toujours pâti dans la technique défensive que ce soit dans le positionnement ou simplement au contact. C’est d’ailleurs pour cela que la fédération sud-africaine ne l’a pas retenu quand il a décidé de partir découvrir les contrées européennes du côté de Grenoble. Mais aujourd’hui, Raymond Rhule occupe probablement l’un des postes les plus demandant en défense dans l’intelligence mais aussi la rigueur, celui de 2nd centre. Cette année, il a été 7 fois titulaire au poste, ses 7 seules feuilles de match en second centre dans sa carrière pour le moment.

« Beaucoup a été dit autour des fragilités défensives de Rhule. Certaines critiques étaient avérées, d’autres grossièrement exagérées. Néanmoins, malheureusement, la réalité du rugby sud-africain est fait de tel sorte que sitôt qu’un joueur développe une réputation de mauvais défenseur, il n’a presque plus de chances pour jouer à haut niveau. »

Andre-Pierre Cronje dans SA-rugbymag

Ce changement tactique apporte beaucoup à la ligne de ¾ rochelaise. Offensivement, Rhule, comme exposé, apporte puissance et rapidité dans le centre de l’attaque. Ainsi il peut ouvrir des brèches, casser des placages et faire jouer après lui mais aussi être au soutien proche du jeu et lâcher les chevaux dans les espaces libres. En Top 14 édition 2020-2021, sur ses 6 titularisations en 13, il a réalisé 52 courses pour un total de 213 mètres parcourus mais aussi 5 franchissements, 13 défenseurs battus et 5 passes après contact. Des performances solides qui se traduisent par les chiffres. Plus que ça Raymond répond parfaitement à ce que recherche O’Gara pour son jeu aéré.

Cependant un problème persiste. Encore et toujours, cette défense, trop poreuse. Raymond Rhule a au centre un ratio de 28,5 % de placages manqués, le tout sur un volume faible de 35 plaquages tentés. Heureusement, l’équilibre est parfait et la solution existe : Levani Botia.

Levani Botia, la clé de voute

C’est lui le pivot de cette ligne de ¾. Que ce soit en attaque ou en défense, Levani Botia est la pierre angulaire. On se souvient de son utilisation accrue en 3ème ligne en 2017-2018 quand le fidjien avait été replacé, cette époque n’a pas duré longtemps et cela pour le meilleur. Il est aujourd’hui une pièce inamovible du système O’Gara et il permet donc l’essor dans le jeu du côté de la Rochelle.

Levani est une boule de démolition. En attaque il concentre les défenses en qualité de premier attaquant, il est capable de débloquer le jeu à la suite de franchissements mais on le voit aussi dans un rôle de manipulateur devant la défense. En défense, il est intraitable dans sa zone. Levani est un centre complet qui maitrise son poste.

_ »Botia est je pense l’élément clé. Cette boule de démolition techniquement doué leur permet d’aligner des joueurs fun tout autour comme Retière, Rhule, Leyds, West et compagnie. »
_ »C’est un frigo avec des jambes qui peut faire des passes après contacts »

Cependant, même s’il est capable de tout faire, Botia fait très peu de passes, pour ne pas dire jamais. Mais ce n’est pas pour autant qu’il est sauté ou ignoré par son équipe. Il a réalisé 95 courses sur lesquels il n’a pas fait gagner beaucoup de mètres (395m) mais des mètres précieux, toujours dans le sens de la marche et qui resserrent les défenses. Il a aussi battu 22 défenseurs et réalisé 15 franchissements, ramené à son nombre de courses ces chiffres sont très bons. Mais c’est surtout en défense que la présence de Levani Botia prend tout son sens. A lui tout seul, il annihile certaines offensives adverses. Tantôt plaqueur, tantôt gratteur, Botia fait tout aussi bien qu’un troisième ligne dans ce registre et le tout à grande vitesse dans le jeu courant. Il rattrape aussi les errances de son équipe dans le secteur, que ce soit Ihaia West ou Raymond Rhule autour de lui. Son aisance, son aura et son impact permettent de libérer ses coéquipiers mentalement. Coéquipiers qui surperforment alors. Botia est indispensable.

Botia en qualité de premier attaquant transperce la ligne de l’UBB puis délivre la passe décisive pour son ailier Favre. Illustration de la qualité du joueur.

En arrivant à La Rochelle, Ronan O’Gara connaissait déjà les forces et les faiblesses en présence. Il savait aussi que le modèle néo-zélandais qu’il voulait implanter allait parfaitement se marier avec l’effectif. Il ne manquait alors qu’une petite touche de folie dans le centre de l’attaque. Aujourd’hui avec Rhule tout est réuni pour que La Rochelle enchante. L’équilibre de l’effectif est parfait. Offensivement le danger vient de toute part, défensivement Botia n’a besoin de personne. Il ne reste plus qu’à voir si ce système saura amener les Rochelais au Stade de France.

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