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Gilles Stafler : « Le sport on le fait pour nous, mais aussi pour les spectateurs »

Le temps d’une heure, le CCS a eu le plaisir de discuter avec Gilles Stafler, directeur technique du team Kawasaki France engagé en championnat du monde d’endurance moto. Il nous a raconté son parcours, ses succès, sa gestion du Covid qui a chamboulé le monde du sport ainsi que ses ambitions. Voici donc le récit passionnant d’un passionné, qui a beaucoup œuvré pour sa discipline.

Bonjour Gilles, pouvez-vous vous présenter, pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Je m’appelle Gilles Stafler et je suis directeur technique du team SRC engagé en championnat du monde d’endurance moto depuis 2015. J’ai d’abord été pilote de 1983 à 1986 puis j’ai vite compris que mon destin était ailleurs. Je deviens alors mécanicien de course jusqu’en 1993. Puis je suis remarqué par le directeur technique de Kawasaki France pour intégrer le team en championnat du monde d’endurance ainsi que le championnat de France de Superbike. Nous devenons champions du monde en 1994 et 1996. Cette aventure dure six ans et je décide de me concentrer sur ma vie de ma famille.

Gilles Stafler en 2018. (lemans.org)

Cependant, la passion et le goût de la compétition me manquent et je reviens en 2005 dans un team privé. Un an plus tard, Kawasaki France me rappelle une seconde fois pour que je devienne le nouveau directeur technique de leur team en championnat du monde d’endurance. En 2009, l’engagement change avec Kawasaki qui décide d’externaliser leur programme compétition. Je crée alors le team SRC (Stafler Racing Competition) qui représentera désormais Kawasaki France. À partir de ce moment-là, nous nous engageons en FSBK (Championnat de France Superbike) et seulement sur deux manches de l’EWC (Endurance World Championship) : les 24 Heures du Mans et le Bol d’or. Enfin en 2017, on décide de participer à l’intégralité du championnat et de quitter le FSBK.

Quel est votre palmarès avec le SRC ?

Depuis 2009, le team a remporté 6 titres de champion de France de Superbike, 6 fois les 24 Heures du Mans (2010, 2011, 2012, 2013, 2016 et 2019) et 4 fois le Bol d’or (2012, 2013, 2014 et 2015).

Champion du monde d’endurance lors de la saison 2018-2019, quel a été le moment décisif ?

Cela a pourtant mal commencé avec une 7e place décevante au Bol d’Or alors que nous étions premiers. On se rattrape ensuite en remportant les 24 Heures. Vient ensuite la manche de 8 heures en Slovaquie. Le moteur casse au 37e tour alors que nous étions 4e et nous sommes obligés d’abandonner. Pour les 8 heures d’Oschersleben en Allemagne, ca se passe mieux et nous finissons 2e.

Le podium des 8 Heures de Suzuka 2019, une consécration pour le team SRC Kawasaki. (motoadventure.br.com)

La dernière manche du championnat est au Japon – les 8 Heures de Suzuka -, une course difficile, car les conditions y sont totalement différentes par rapport à l’Europe. Pour être titré, il fallait finir devant ou juste derrière Suzuki (ndlr : le SERT, Suzuki Endurance Racing Team). Ca commence mal pour nous puisqu’un de nos pilotes, Erwan Nigon, chute et nous passons toute la course derrière la Suzuki n°2. À une heure de la fin, nous sommes 14e et le SERT 10e. Le miracle a alors lieu : Suzuki abandonne à 10 minutes de la fin et nous devenons champions du monde. C’est un immense bonheur, surtout que le circuit de Suzuka appartient à Honda donc être sacré là représente beaucoup.

2019-2020 s’est moins bien passée, pourquoi ? La faute à la malchance ?

C’est en effet un concours de circonstances. La saison commence mal avec une chute d’Erwan Nigon au Bol d’or, la moto crame. Direction ensuite Sepang en Malaisie pour huit heures de course. La course est dantesque, plusieurs arrêts dûs aux conditions météos très particulières dans cette région du globe. L’épreuve ne dure que 3 heures en fin de compte et nous finissons 6e. Ce fut une expérience assez unique, car nous n’avons pas du tout l’habitude de disputer ce genre de course. En mars, c’est la double peine : nous devons faire face à l’arrivée du Covid et ses conséquences, et dans le même temps, Pirelli, notre fournisseur de pneus, met fin à 14 ans de partenariats. La situation est compliquée pour tout le monde.

Des contacts sont établis avec Michelin, mais les pneus proposés sont ceux du commerce, malheureusement, nous n’avons pas le choix d’accepter cette solution. Entretemps, les 24 Heures du Mans sont décalés à fin août avec la pandémie. Les seuls essais se déroulent fin juillet, sans moi, car je fais face à des soucis de santé. Le team doit faire sans moi, même durant les 24 heures. C’est ma femme qui prend le relais et on finit 2e. C’est un super résultat. Pour la dernière course à Estoril au Portugal, je suis de retour en espérant finir la saison sur une bonne note. Nous sommes 3e jusqu’au moment où la chaîne casse et nous ne faisons pas mieux que 6e. La saison 2019-2020 se clôture avec une 5e place au championnat du monde.

Le Covid n’a rien arrangé, comment avez-vous fait ?

Toutes les courses sont à huis-clos et c’est dommage. On a eu une grosse tournée en Asie d’une semaine avec nos partenariats. Il n’y avait aucune convivialité, c’est difficile. C’est pareil en course maintenant. Il n’y a pas de sponsors ni de journalistes dans les box. Il n’y a plus d’invités. Le silence est effroyable sur la ligne droite des stands au départ. C’est comme si un acteur était face à des sièges vides… Le sport on le fait pour nous, mais aussi pour les spectateurs. J’espère bientôt la fin du virus. Économiquement, ca va être très compliqué si ca continue comme ca. On est toujours passionné, mais c’est de plus en plus difficile. Avec les sponsors, c’est aussi de plus en plus délicat. La course n’est pas la priorité, il y a tout ce qu’il y a autour aussi.

Quel regard portez-vous sur le MotoGP, ainsi que la MotoE ? Le monde de l’endurance est différent de celui de la vitesse ?

C’est un autre monde, ce n’est pas le même métier. C’est un laboratoire de technologies, ils ont des prototypes de 300 ch. Alors que nous avons des machines issues du commerce que nous améliorons et modifions. Le mécano en MotoGP ne fait pas le même travail qu’en endurance. De plus, nous avons des budgets bien plus petits. Par exemple, notre ZX-10 monte à 336 km/h, c’est déjà très haut, mais eux vont maintenant jusqu’à plus de 350. On l’a vu avec Johann Zarco. L’élite est présente là-bas, mais il n’y a pas de jalousie ni d’opposition à faire. Je suis très admiratif de ce qu’il se fait en MotoGP.

L’électrique est à la mode et je ne sais pas si c’est une bonne chose en l’état actuel. Il y a encore trop de problématiques à résoudre pour la MotoE. Les batteries sont encore très coûteuses, le lithium contenu dans ces batteries sont difficilement recyclables. Pour les recharger sur les circuits, les teams doivent utiliser deux semi-remorques avec des groupes à électrogène qui fonctionnent avec de l’essence. Les circuits ne sont pas encore équipés et ca complique les choses. C’est le serpent qui se mord la queue en fin de compte.

Comment s’annonce 2021 ?

On retourne sur une année calendaire, je trouve ca plus logique et puis c’est plus simple pour les budgets. Pour ce qui est de la piste, c’est compliqué, car nous n’avons pas eu d’essais avant février. Nous sommes allés à Almeria en Espagne pour tester les pneus Michelin et tenter de faire mieux que lors de la fin de saison dernière. Malheureusement, ca s’est mal passé, on a cassé deux motos et Michelin ne pouvait pas faire mieux pour nous. On a décidé de se tourner vers un autre manufacturier et Dunlop nous a fait une proposition. On n’a pas mis longtemps avant d’accepter. On a été champion du monde en 1996 avec eux. En fait, Dunlop équipait Suzuki, mais ils sont passés chez Bridgestone du coup, on a récupéré le partenariat. Il faut savoir que le YART (ndlr : Yamaha) et Honda sont aussi avec Bridgestone. Tandis que BMW est avec Dunlop.

Une victoire finale en 2019, la prochaine en 2021 ? (motociclismo.it)

Grâce à Dunlop, on a pu aller faire des essais au Mans début mars. La moto a été rapide et constante. Elle a livré de très bonnes performances, nous sommes confiants pour la suite.

Le meme trio de pilote est reconduit, pourquoi ?

C’est le même trio pour la troisième saison de suite. Il y a une très bonne entente. Ils ont différentes personnalités et différents styles de pilotage et du coup, ils sont très complémentaires. Enfin, ils sont tous les trois bien intégrés dans le team. Ca fonctionne très bien comme cela et donc il n’y a pas de raison de changer.

Quels sont vos objectifs pour cette nouvelle saison ?

C’est simple, on veut gagner un maximum de courses. Nous voulons reprendre notre couronne. Quitte à choisir, je préfère gagner et ne pas être champion. Après le but ultime reste le même : gagner chaque manche ET être champion du monde.

Nous vous souhaitons une bonne saison 2021, en espérant que le team SRC atteigne de nouveau les sommets !

(2 commentaires)

  1. Merci Monsieur ! Pour votre passion, votre franc-parler et, cette juste vision de la discipline. Prenez soin de vous.
    Sportivement.

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