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L’anonymat : par Hirschi la sortie

Marc Hirschi était un coureur – relativement – anonyme jusqu’à il n’y a pas si longtemps. Constat pas tout à fait exact, il avait quand même fait parler de lui. Mais pas tout à fait faux non plus, son nom n’avait pas encore transpercé les parois épaisses qui séparent du grand public. Balayant d’un revers de roue l’esprit de neutralité qui fait la fierté de sa nation, il a pourtant en 2020, sur une saison ramassée en 5 mois, décoché flèche sur flèche pour s’installer dans le panorama cycliste international. Entre bilan et projection, prenons la roue de l’Helvète pour une petite sortie plaisir.

Marc Hirschi alors chez Team Sunweb devant Julian Alaphilippe lors de la seconde étape du Tour de France 2020 – 30 Août 2020. (Photo by ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP via Getty Images)

Jeunesse Arc-en-Ciel

Pour bien comprendre les succès majeurs que nous évoquerons dans quelques instants, énumérons d’abord rapidement ses principaux faits d’arme dans les catégories amateurs.

Commençons par les championnats nationaux. Hirschi est champion de Suisse sur route sur ses deux années juniors en 2015 et 2016. Bon rouleur il joue également placé sur le contre-la montre en se classant 7ème en 2015. À l’échelon européen, le jeune Suisse performe aussi. Sur route, 5ème chez les juniors en 2015. Puis sur la boîte, médaillé de bronze, en 2017 chez les espoirs. En contre-la-montre ? Pas timide non plus. 7ème en 2015 puis en argent en 2016 chez les juniors. Chez les espoirs, il continue sur les mêmes bases : 8ème en 2017, 5ème en 2018.

Si on dézoome encore un peu, pour intégrer l’ensemble du globe et tout ce qu’il compte de talents, la tendance se confirme. Au niveau mondial, chez les juniors, le jeune Marc accroche ainsi des top 10. En 2015, 9ème sur route. Et en 2016, 8ème sur l’épreuve chronométrée. Fort de cette récurrence encourageante et prometteuse dans les premières places des championnats, c’est en 2018 qu’il finira par « faire péter » le titre. Il devient en effet champion du monde sur route à Innsbruck, en Autriche. La même année, toujours sur route, il devient également champion d’Europe. Il est le premier à cumuler les deux titres.

Marc Hirschi, champion du monde sur route U23 en 2018 à Bregen, Norvège (Source : Velo101.com)

On pourrait encore ajouter d’autres références – comme une 3ème place sur le Gand Wevelgem juniors en 2016 par exemple. Tout ça pour dire qu’en bon Suisse, précis comme une horloge, il est à l’heure pour passer pro. Son talent n’est plus un secret pour personne et les équipes de l’élite font évidemment les yeux doux à ce jeune prospect plein de promesses.

Maturation express

C’est finalement la Sunweb qui finira par rafler la timbale. Une timbale made in Berne, fraîchement moulue, de tout juste 20 ans. Leurs espoirs étaient à n’en point douter immenses. Mais si vite ? Si haut ? Pas sûr qu’ils avaient même osé l’espérer…

Marc Hirschi lors de sa victoire à Sarran sur le dernier Tour de France, le 10 septembre 2020. (Photo by Michael Steele/Getty Images)

En 2019 il ouvre donc le chapitre de sa vie de cycliste professionnel. Il ne traînera pas à prendre ce virage qui, parfois, nécessite un temps d’adaptation tant on change de monde. Mais pas Hirschi. Finalement rien ne change. Un vélo. Ses jambes. Des adversaires. Et la tête de course comme terrain de jeu. C’est le propre des plus grands que d’entretenir l’illusion que tout est simple. La dynamique des échelons amateurs n’est ainsi par entamée plus que ça par le virage professionnel. Il finit second du championnat national contre-la-montre. Battu par le seul, et expérimenté, Stefan Küng. Encore mieux, il montera sur la boîte à la Clasica San Sebastian. Battu par Remco – autre ovni de l’époque contemporaine – et Van Avermaet. Mais devant des Izagirre, Mollema, Woods ou Valverde. Avec une place de 5ème au BinckBank Tour et 10ème au Grand Prix E3, sa saison de rookie est largement validée.

Pourtant, comme toujours, il faudra confirmer. Le haut niveau. Cet éternel recommencement. Cette remise en question permanente. Les affres de la pandémie n’allaient alors pas tarder à frapper le monde, et par voie de conséquence le cyclisme. Ils n’eurent pourtant pour seul effet que de retarder l’éclosion définitive du phénomène. Car confirmer, Hirschi l’a fait. Et avec la manière encore. Dans un calendrier remanié, il va profiter d’une séquence inhabituelle pour faire briller le nom Hirschi, en moins d’un mois, sur quatre courses parmi les plus glorieuses. Dans l’ordre : Tour de France, Championnat du Monde, Flèche Wallonne et Liège. Entre victoires et places d’honneur. Certains y passeront une vie, il a mis précisément 24 jours.

24 jours qui séparent sa première victoire professionnelle, le 10 septembre sur le Tour de France à Sarran, de sa deuxième place sur la Doyenne derrière Primoz Roglic le 04 octobre – et n’oublions pas que sans un sprint rendu houleux par notre Julian national, il avait de très grandes chances d’empocher le monument ardennais tant il paraissait fort. 24 jours au cours desquels il aura aussi fini médaillé de bronze aux mondiaux d’Imola derrière Alaphilippe et Wout Van Aert. Et vainqueur au sommet du Mur de Huy, 3 jours plus tard, sur la Flèche Wallonne. Se payant, en vrac, et à la pédale, les Woods, Martin, Kwiatko ou Pogacar. Wow !

30 Septembre 2020, Huy, Belgique : Le coureur Suisse Marc Hirschi (Team Sunweb) s’impose au sommet du célèbre mûr épilogue de la Flèche Wallonne devant Benoît Cosnefroy (AG2R La Mondiale) et Michael Woods (EF Pro Cycling) – (Photo par Bas Czerwinski/Getty Images)

Une séquence pour sa légende. Trois petites semaines pour être propulsé dans une autre galaxie. La galaxie des grands coureurs. Ces coureurs qui se trimballent avec la pancarte, à chaque départ de course. Qu’on attend. Qu’on redoute. Ces coureurs qui gagnent, tout simplement. Pour la saison 2021, Hirschi n’est plus un espoir. Il a désormais un statut. Qu’il faudra assumer. La formation UAE Emirates ne s’y est pas trompé, elle qui a sorti le chéquier pour s’offrir les services du jeune premier. Nouveau cap et nouvelle réalité qu’il va falloir apprendre à gérer. Une autre vie commence.

Profil et objectifs

Nous voilà donc maintenant de retour dans le présent immédiat. Dans l’inconnue des accomplissements en cours d’écriture. Avec une question qui nous brûle les lèvres : et maintenant, que nous réserve 2021 ?

Calella, Espagne – 22 Mars : Marc Hirschi sur le podium de départ de la 1ère étape du Tour de Catalogne avec deux coéquipiers de sa nouvelle équipe, la UAE Emirates. (Photo par David Ramos/Getty Images)

Si on s’attarde sur son profil d’abord, on trouve un coureur très polyvalent. Un coureur qui, si on devait s’aventurer à le comparer à l’un de ses aînés, se retrouverait naturellement en balance avec un cador. Un Alaphilippe par exemple qui en paraît le plus proche. Pas un hasard si on les a vus si souvent ensemble l’an dernier. Au coude à coude. À la bagarre. À se faire la guerre sur ces mêmes terrains que tous deux affectionnent. Un coureur à l’aise quand ça monte, donc. Bon rouleur contre-la-montre, aussi. Avec un démarrage incisif. Une belle pointe de vitesse. Et virtuose en descente. Il ne reste pas beaucoup de place pour les faiblesses. Son jeune âge peut-être, qui subsiste ? Mais ça ne dure jamais longtemps. Et il semble avoir déjà évacué le sujet. Drôle de cheveu sur la soupe des ambitions adverses.

Des qualités qui le destinent a priori, et de manière quasi automatique, vers les courses d’un jour. On l’a bien vu lors de ses deux premières années professionnelles. Des courses d’un jour aux profils vallonnés. Dures. Longues. Exigeantes. Sélectives. Avec des enchaînements incessants. Des pourcentages importants. Et idéalement, une arrivée qui se cambre et qu’il convient de conquérir au bout du chemin. On l’aura compris, les Ardennaises sont celles qui, à l’instant t, lui vont peut-être le mieux. Et celles qu’il se proposera de séduire en premier. Cela tombe bien, ce week-end on ouvre le bal ardennais avec l’Amstel. Avant la Flèche puis Liège. Alors Marc, prêt ? On ne l’a certes pas trop vu cette saison. On ne sait pas vraiment où il en est et un voile de mystère accompagne son arrivée en terre batave. Aperçu furtivement sur les tours de Catalogne et du Pays Basque, on n’a rien pu relever de très probant. Pas encore. Cependant, on le sait, pour l’enfant de Berne la saison commence maintenant. Alors envoyez la musique !

« Je vais me tourner vers Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie. Quand j’aurai appris les bases du métier et développer mon moteur, je me tournerai peut-être vers les courses à étapes, comme le Tour de Suisse ou un grand Tour »

Marc Hirschi détaillant ses objectifs futurs – Ouest France

On en salive par avance et avons hâte de savoir si l’une de ces trois, avant d’autres, portera à nouveau le nom Hirschi. Et concernant ces autres justement, quelles seront elles ? Clasica San Sebastian ? Tour de Lombardie ? Étapes de grands tours ? Cela apparaît comme une évidence. Un destin sur courses à étapes ? Le principal intéressé n’en écarte en tout cas pas l’éventualité. Interrogé l’an dernier par Ouest France après ses premiers coups d’éclat sur la Grande Boucle, il déclarait : « La saison prochaine, je vais me tourner vers Liège-Bastogne-Liège [ndlr : déjà trois semaines plus tard, finalement] et le Tour de Lombardie. Quand j’aurai appris les bases du métier et développer mon moteur, je me tournerai peut-être vers les courses à étapes, comme le Tour de Suisse ou un grand Tour ».

Pour le Nouvelliste, média suisse, il confirmait en ajoutant toutefois une note de prudence probablement salvatrice, bien conscient que face à cette ascension ultra-rapide, lui-même doit garder la tête froide et se donner un peu de temps : «Ce serait mon rêve. Mais je suis ici pour la première fois […] Je suis encore en apprentissage et je dois bien travailler sur mes bases. On verra ensuite ce qu’il se passera. Je ne veux pas me mettre la pression avec un tel objectif ».

Et les Jeux Olympiques ? Forcément, avec ce parcours en Flandre qui lui va bien, elle est dans un coin de sa tête. Le rêve olympique. Celui qui permet d’offrir de l’or à sa nation, et à tout un peuple. Objectif réel, tout cela n’est pourtant pas la priorité immédiate comme il le confessait en conférence de presse en décembre dernier : « C’est un grand objectif. Je ne peux rien faire de plus que d’essayer de me préparer au mieux. Pour être honnête, je ne suis pas vraiment concentré sur ça pour l’instant ». Nul doute qu’elle se rappellera à lui le moment venu. Avec son appétit grandissant, le Suisse n’est pas du genre à sauter un repas.

Marc Hirschi, 22 ans, ressortissant helvète originaire de Berne, a d’ores et déjà fait son trou dans le peloton du cyclisme international. Il fait partie de cette nouvelle génération de coureurs débarquée sans aucun complexe et qui escompte prendre le pouvoir sans attendre. Nouvelle vedette, et le statut qui va avec, il a été la principale animation du mercato hivernal avec un transfert retentissant qui a surpris tout le monde vers la formation UAE Emirates. Celle-là même qui compte déjà dans ses rangs un autre requin aux dents de lait en la personne de Tadej Pogacar. Vainqueur du Tour en titre. De quoi donner des idées au talentueux Suisse. Conseillé en plus par Fabian Cancellara, Spartacus sauce helvète, il a décidément tout pour asseoir un règne qui pourrait se révéler durable. Ça commence aujourd’hui, à Valkenburg !

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