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EURO 2020 : République Tchèque : il y a du foot aussi, hockey ?

La statistique peut surprendre : depuis son indépendance en 1993, la République Tchèque a participé aux 7 éditions suivantes de l’Euro, atteignant notamment la finale de son 1er Euro en 1996. Les tchèques ont connu des hauts et des bas, terminant notamment dernière de son groupe en 2016 avant de manquer la Coupe du monde 2018. Cet Euro 2021 est l’occasion pour la République Tchèque de renouer avec ses succès passés, seule ou accompagnée de la Slovaquie. Retour sur un jeune pays qui ne jure que par le hockey sur glace puis le football, et dont l’épicentre de sa culture du ballon rond se situe au sein de sa capitale : Prague.

Un marqueur de l’histoire tchèque

Le football est un marqueur de l’histoire de nombreux pays, et la République Tchèque ne déroge pas à la règle. Son territoire actuel était connu sous le nom de Bohême ou Bohême-Moravie, une province de l’Empire austro-hongrois, où le football apparaît entre 1890 et 1900. Après la création de la Fédération bohémo-morave de football en 1901, sa première équipe voit le jour en 1903 dans les alentours de Prague.

Après la Première Guerre Mondiale, la Bohème intègre la Tchécoslovaquie qui joue son 1er match lors des JO 1920. Elle atteindra d’ailleurs la finale qu’elle abandonnera après la 39ème minute face à l’hôte belge à la suite d’une bagarre, convaincu que l’arbitrage était biaisé. Le pays est finalement disqualifié pour sa 1ère compétition internationale malgré une très belle compétition. Les premiers clubs professionnels de Tchécoslovaquie sont tchèques. L’engouement suit, les résultats également, avec notamment une finale perdue lors de la Coupe du Monde 1934.

La Tchécoslovaquie, dont le gardien est ici ko, atteint la finale des JO 1920 (Crédit : Wikipédia)

Pendant l’occupation allemande de la Seconde Guerre Mondiale, un Protectorat de Bohême-Moravie est créé, et aura sa propre équipe de football qui participa à… 3 rencontres. Une fois la Tchécoslovaquie reconstituée après la guerre, cette dernière rayonnera pendant plus de 30 ans : finale de coupe du monde en 1962, vainqueur de l’Euro 1976 et troisième des Euro 1960 et 1980, médaillé d’Argent aux JO 1964 puis d’Or en 1980.

Pelé et Garrincha mettent fin au parcours tchécoslovaque en finale lors de la CdM 1962, une autre époque (Crédit : FIFA)

Un pays entre ballon et palet

Suite à l’éclatement de la Tchécoslovaquie, la République Tchèque devient indépendante en 1993 et joue son 1er match le 23 février 1994 contre la Turquie. Si les tchèques ne se qualifient qu’une fois pour la coupe du monde (en 2006), ils obtiennent des résultats plus qu’honorables lors des Euros. Finaliste de leur premier Euro en 1996, ils iront également en demi-finale en 2004. Néanmoins, depuis 2012, ils ne sont plus sortis des poules d’une compétition internationale, signe d’une difficulté grandissante à se maintenir au très haut niveau.

En finale de l’Euro 1996, le supersub allemand Olivier Bierhoff inscrit le but en Or qui met fin au rêve tchèque pour son 1er Euro (Crédit : 90MIN)

En Tchéquie (l’autre nom controversé du pays, car excluant les régions de la Moravie et de la Silésie), le majeur reste le hockey sur glace. La raison est simple : depuis la création du classement IIHF des équipes nationales de hockey, les tchèques ont toujours fait partie du top 6. Ils ont déjà remporté 2 médailles aux JO (dont l’Or en 1998) et 12 médailles aux mondiaux (dont 6 titres) même si la dernière médaille internationale remonte à 2012. Dans une compétition internationale, la République Tchèque n’a jamais fait moins bien que 7ème.

A Nagano en 1998, les hockeyeurs tchèques remportent leur première médaille d’Or olympique (crédit : Hockey Archives)

Aujourd’hui, on dénombre près de 72 000 joueurs de hockey en République Tchèque, soit près d’1% de la population du pays, évaluée à 10 millions d’habitants fin 2019. Parmi eux, deux noms légendaires émergent. Tout d’abord Jaromir Jagr, toujours en activité à 49 ans et deuxième pointeur de l’histoire de la NHL. Ensuite Dominik Hasek, parmi les meilleurs gardiens de l’histoire de hockey sur glace, héros des JO 1998 où la Tchéquie remporte l’or et recordman du nombre de trophées Vézina (meilleur gardien de Ligue Nationale de Hockey) avec 6 victoires. Dur pour le football de tenir la comparaison.

Prague, épicentre et théâtre d’un derby centenaire

La République Tchèque est composée de 14 régions dont une attitrée à la capitale : Prague. Si la gestion du pays est difficilement passée en quelques décennies d’une gouvernance centralisée à une plus décentralisée, ce n’est pas vraiment le cas du football. Bien que 15 des 18 clubs du championnat cette année n’y soient pas basés, Prague recueille la majorité des titres nationaux via le Slavia Prague et le Sparta Prague. Ces derniers ont remporté 18 des 27 éditions du championnat national, 6 pour le Slavia et 12 pour le Sparta.

Prague possède 18 des 27 titres déjà décernés en République Tchèque

Les quelques miettes laissées par les deux monstres de la capitale vont aux autres grandes villes du pays. A Plzen où Viktoria a remporté ses 5 titres lors de la dernière décennie, devenant le concurrent principal de Prague. Mais aussi à Liberec où le Slovan possède 3 titres et à Ostrava où le Banik a remporté son unique titre en 2004.

Si deux clubs d’une même ville dominent tant un championnat, on imagine forcément leurs confrontations épiques, et Prague ne déroge pas à la règle. Principal derby du pays, on compte déjà 298 affrontements entre Slavia et Sparta, le dernier datant du week-end passé (le 11 avril 2021) où le Slavia a confirmé sa domination en l’emportant 2-0. La 93ème victoire du Slavia, qui tente tant bien que mal de rattraper le Sparta (133 victoires et également 6 titres de champion de plus).

Le derby de Prague donne souvent lieu à de splendides tifos (Crédit : Twitter)

Ce qui rend ce derby si spécial, au-delà de sa longévité, c’est qu’il est un, si ce n’est le, symbole de la lutte des classes. Si le Slavia a été fondé par des étudiants membres d’un club littéraire et oratoire, le Sparta trouve ses origines dans la classe ouvrière de l’époque. La distance entre les deux clubs se mesure également par leur actionnariat. Si le Sparta est propriétaire d’un milliardaire du pays, Daniel Kretinsky, le Slavia est aujourd’hui au cœur d’un jeu politique entre la République Tchèque et la Chine, en ayant notamment changé plusieursfois de propriétaire chinois au cours des dernières années. On peut donc comprendre l’animosité présente à chaque derby de la capitale.

L’autre derby de Prague fait peut-être moins parler à l’étranger, mais est tout autant disputé à chaque rencontre. En effet, le derby de Vršovice oppose le Slavia Prague à la troisième et dernière équipe de la capitale en D1 : les Bohemians 1905, décrit comme le club le plus populaire de la ville. Champion de Tchécoslovaquie en 1983, demi-finale de la coupe de l’UEFA cette même année, le club fait aujourd’hui plus parler par son logo avec un kangourou (hommage aux 2 kangourous ramenés d’une tournée en Australie en 1927) que par ses résultats, à la lutte pour le maintien.

Les supporters de Bohemians sont parmi les plus chauds du pays (Crédit : bohemians.cz)

Ce derby de Vršovice est avant tout un derby du quartier du même nom, les stades des 2 équipes étant séparés de seulement 1400 mètres. Mais c’est aussi et surtout un nouveau reflet de cette société inégale, où le petit Bohemians 1905, sauvé financièrement en 2005 par ses propres supporters, tente de se faire une place face au grand Slavia Prague, où l’argent chinois coule à flot.

Le Dukla Praha, club le plus impopulaire du pays

Le dernier club qu’il est important de mentionner est le Dukla Praha, un autre club de Prague, mais en division 2 tchèque cette fois. Footballski raconte en détail l’histoire de ce club, marqueur de celle du pays mais aujourd’hui détesté. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la Tchécoslovaquie est marquée par le soulèvement de résistants slovaques contre le nazisme dans la ville de Banskà Bystrica. Avec le soutien de l’Armée Rouge, l’opération dénomée Dukla-Presôv permettra une victoire soviétique dans cette ville. En hommage, un club de Prague prend le nom de Dukla Prague.

Ni une ni deux, l’armée tchécoslovaque fait de ce club un passage obligé pour le service militaire des joueurs professionnels du pays. De plus, la règle « Ad Duklam » force les autres clubs à donner au moins un joueur au Dukla, de préférence le meilleur. Enfin, le Dukla Praha accède à la première division sans avoir à gravir les échelons. Si ces deux dernières règles sont critiquables, la première présentait des avantages : pour l’époque, continuer de jouer au foot au lieu de devoir surveiller les frontières était bien perçu, et le Dukla s’est mué en superbe centre de développement de joueurs avant le retour dans le club d’origine.

Le Dukla Praha, ses joueurs levant le bras ici, ont dominé le championnat tchèque pendant de longues décennies (Crédit : Footballski)

Le club atteint le sommet de la hiérarchie tchécoslovaque et remporte 11 titres en moins de 40 ans, tout en atteignant les demi-finales de plusieurs compétitions européennes. Surtout, il a accueilli les deux seuls ballons d’or tchèques : Josef Masopust de 1950-1952 et Pavel Nedved de 1991 à 1992.

Les deux seuls Ballon d’Or tchèques, Pavel Nedved à gauche et Josef Masopust à droite, sont passés par le Dukla Praha (Crédit : Footballski et Le_Corner)

Lors de la fin du régime communiste en 1989, la réputation de ce « club de l’armée » chute, au point qu’il déménage à Přibram en 1996 puis disparaisse en 2000. C’est finalement en 2005 que le phénix renaît, via le changement de nom du Dukla Dejvice en Dukla Praha. Le club remonte en D1 tchèque en 2011 et fait l’ascenseur depuis, entre désamour et curiosité pour un club à l’histoire atypique.

La république tchèque à l’Euro 2021, c’est une chanson qu’on connaît depuis son indépendance en 1993. S’intéresser à ce pays, c’est se replonger dans l’histoire de l’Europe, entre empire Austro-hongrois, Tchécoslovaquie ou encore Seconde Guerre Mondiale, histoire dont on ne peut pas nier le lien avec notre cher ballon rond. C’est aussi et surtout une bonne raison de voyager dans cette capitale magnifique qu’est Prague. Mais subsisterait alors une question : si vous aviez un match à regarder, vous seriez plutôt derby de Prague ou de Vršovice ?

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