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Mondiaux de Hockey 2021 : La controverse face au pouvoir de Loukashenko

Le 19 Mai 2017, l’IIHF (La fédération internationale de hockey sur glace) annonce que les championnats du monde Elite masculin 2021 se tiendront conjointement à Riga en Lettonie et à Minsk en Biélorussie. Ce devait être la 5ème fois depuis 1920  que l’organisation des championnats du monde Elite serait conjointe. Mais ce n’est pas la première fois que l’organisation des championnats du monde de hockey par la Biélorussie pose problème. Retour sur un combat de plusieurs années. (Source Image : Yulia Lyashkevich)

Une première édition déjà controversée

Arrivé dans les années 1920, le hockey sur glace devient très rapidement le sport national en Biélorussie, encore sous couvert de l’URSS. En 2020, elle se classe au 13ème rang mondiale selon l’IIHF : quadruple vainqueur de la Continental Cup (petite coupe d’Europe de hockey) grâce aux clubs du Neman Grodno (1 victoire) et le Yunost Minsk (3 victoires). La Biélorussie compte également une franchise, le Dinamo Minsk dans la puissante KHL. Le Bélarus pour ceux qui préfère la dénomination officielle, fait une entrée fracassante dans le monde du hockey en quart de finale du tournoi Olympique à Salt Lake City, en 2002, alors membre de la division 1A soit le second niveau mondial, les Зубры (Bisons) font tomber un des grands favoris du tournoi : la Suède (4-3). Ce jour-là, le gardien de la Tre Kronor et des Oilers d’Edmonton, Tommy Salo encaisse un but resté mythique, quand à moins de 3 minutes de la fin du temps réglementaire, le défenseur Biélorusse, Vladimir Kopat, lance le palet avant la ligne bleue, qui vient ricocher sur le masque de Salo et rentrer doucement dans le filet Suédois. La Biélorussie termine le tournoi à la 4ème place.

Le but de Vladimir Kopat face à Tommy Salo lors du tournoi Olympique 2002, en version originale

En 2003, la Biélorussie s’installe dans l’élite mondiale avec des résultats corrects. Cette durabilité au plus haut niveau, lui donne le droit de prétendre à l’organisation des mondiaux. C’est chose faite le 8 Mai 2009. Dès l’annonce de l’attribution de l’édition 2014, le sénateur américain Durbin et le représentant Quigley, demandent à l’IIHF d’organiser la compétition ailleurs qu’en Biélorussie invoquant « des inquiétudes quant au régime autoritaire du Président Loukashenko ainsi que les violations des droits de l’homme qui ont donné lieu à de nombreuses sanctions infligés par les Etats-Unis et par l’Union Européenne, au Président Loukashenko ainsi qu’à 157 de ses associés. ».

These drawings were commissioned by the Swiss Section for campaigning around the International Ice Hockey Championship in Belarus in May 2014 – Source : Amnesty International

Durbin et Quigley ont également obtenu le soutien de Peter Štastný, ancien hockeyeur slovaque et membre du Parlement Européen. Selon un rapport publié en 2013 par l’ONG Freedom House, la Biélorussie était le pays le moins démocratique d’Europe à l’époque. Même le Parlement Européen, a demandé à l’IIHF d’organiser les Mondiaux ailleurs, et a également appelé « à la libération des prisonniers politiques comme la condition siné qua non à l’organisation des Mondiaux à Minsk. » Cependant, l’IIHF, fera savoir que « ses statuts ne permettent pas de discriminer pour des motifs politiques ». Les porte-paroles des fédérations Lithuaniennes et Lettonnes (pressenties pour récupérer l’organisation des mondiaux 2014) ont déclarés quant à eux qu’ils ne voulaient pas « mélanger la politique et le sport ». Finalement Minsk organise les Mondiaux 2014, et l’affaire retombe comme un soufflé.

Une co-organisation sur fond de crise démocratique

Depuis, le monde est touché par la crise du coronavirus, l’édition 2020 des championnats du monde est annulée et le monde du hockey international regarde désormais vers 2021 et la co-organisation des Mondiaux par la Lettonie et la Biélorussie. Le 9 Août 2020, se sont tenues les élections présidentielles biélorusse, le président sortant Alexander Loukashenko (qui mène son pays avec une poigne de fer depuis 26 ans) est réélu avec une très large majorité. Cette élection est extrêmement controversée avec l’emprisonnement, durant la campagne électorale, des principaux opposants au pouvoir Sergei Tikhanovski et Viktar Babaryka. La grogne monte aussi en raison de soupçons de fraudes électorales qui déclenchent d’importantes manifestations des partisans de l’opposition, menés par l’épouse de Tikhanovski : Svetlana Tikhanovskaya, réprimée violemment par le pouvoir en place.

26 ans de pouvoir pour Loukashenko – Source : Le Devoir

La dimension culturelle du hockey en Biélorussie implique une implication naturelle, non sans intérêt, du président Loukachenko. En 2020, il nomme à la tête de la Fédération Biélorusse de Hockey, un ami de longue date, Dmitri Baskov qui porte aussi la casquette de vice-président du Comité Olympique Biélorusse. Mais en novembre dernier, la répression des manifestations anti-Loukashenko atteignent un point de non retour. Roman Bondarenko, 31 ans, vétéran de l’armée, professeur d’art pour enfants, décède dans une cellule après avoir été battu par des policiers en civil. Et c’est bien là que tout bascule pour le hockey mondial : Dmitri Baskov est accusé d’avoir participé au lynchage du jeune militant.

Roman Bondarenko, devenu un martyr du régime de Loukachenko – Source : L’Express

Pendant que ces manifestations se déroulent, plusieurs groupes politiques, ainsi que l’Union Européenne et le Premier Ministre Letton Krisjanis Karins demandent que la co-organisation des Mondiaux soit retirée à la Biélorussie. Tout d’abord pour les questions des droits de l’homme, la répression et l’arrestation musclée des manifestants, ainsi que les risques posés par la situation sanitaire en Biélorussie puisque le Président Loukashenko après avoir nié l’existence de cette pandémie, l’utilise à présent pour bloquer les manifestations. La Lettonie réitère ses demandes de retirer à Minsk la co-organisation des mondiaux. Sauf que l’IIHF n’a pas l’intention de priver Minsk du droit d’accueillir les mondiaux.

Baskov & Loukachenko

En Octobre 2020, Dmitri Baskov déclare à l’agence biélorusse de presse (BelTA), à la suite d’une réunion de travail en ligne avec le Président de l’IIHF René Fasel, que la fédération internationale a de nouveau souligné son intention que les mondiaux soient toujours co-organisés par Riga et Minsk, ensemble ils ont également abordé, les mesures sanitaires à préparer afin d’assurer la sécurité des participants et des invités. Il précise également que la Biélorussie sera prête pour organiser les mondiaux, quel que soit les conditions, en collaboration avec ses homologues Lettons, et invite le Président Fasel à Minsk afin de pouvoir évaluer l’état de la préparation biélorusse avant le prochain Congrès de l’IIHF. Le 8 décembre 2020, René Fasel déclare à l’agence russe TASS, que les championnats du monde 2021 ne devraient pas être «  l’otage de jeux politiques ».

Le vent du changement amorcé par les sponsors

Alors que la répression continue avec des résultats dramatiques (au moins 4 morts, des dizaines de blessés, sans compter les centaines de manifestants jetés en prison), le peuple biélorusse est de plus en plus hostile à l’organisation des mondiaux, qui devient à leurs yeux, une légitimisation du pouvoir répressif de Loukashenko. La principale opposante au pouvoir, Svetlana Tikhanovskaya, exilée en Lituanie, est le fer de lance de l’hostilité avec la diaspora biélorusse et de nombreux sportifs de haut niveau, dont certains ont été victimes du système répressif de Loukashenko.

Source :Twitter – traduction « Les athlètes biélorusses et les citoyens ordinaires exhortent à ne pas jouer au hockey sur glace avec un dictateur qui tue des gens. Le Championnat du monde de l’IIHF 2021 devrait avoir lieu à Minsk. Les gens demandent à l’annuler ou à le boycotter. »

Pourtant l’IIHF semble inflexible, jusqu’à la diffusion d’une vidéo montrant René Fasel serrant chaleureusement la main de Loukashenko, lors de sa visite là Minsk, cette vidéo est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et met l’IIHF dans l’embarras. Le premier coup de semonce vient de la marque automobile Tchèque Skoda (partenaire historique de l’IIHF depuis 28 ans) déclarant sur Twitter :

Source: Twitter – traduction: « Nous sommes un fier partenaire du championnat du monde @IIHFHockey depuis 28 ans. Mais nous respectons et promouvons également tous les droits de l’homme. Par conséquent, #SKODA se retirera du parrainage du Championnat du monde de hockey sur glace 2021 de l’IIHF s’il est confirmé que le #Belarus est co-organisateur de l’événement. »

Après cette bombe médiatique, c’est au tour de la marque de soins pour le corps, Nivea Men d’annoncer sur Instagram « Salut à tous, merci pour tous vos commentaires. NIVEA MEN se dresse pour le respect, l’unité et s’oppose contre toutes formes de discrimination et de violence. Au regard de la situation actuelle, nous avons décidés que NIVEA MEN ne sponsorisera pas le Championnat du monde de hockey sur glace 2021 si la co-organisation de la Biélorussie est confirmée. Nous avons déjà informé l’IIHF de notre décision, et nous continueront à suivre de très près, les discussions en cours. »

Source: Instagram Nivea Men

Et la troisième salve vient du fabricant allemand de lubrifiants Liqui-Moly qui annonce sur son site internet ainsi que sur son compte Instagram : « LIQUI MOLY est connu comme un sponsor sportif convaincu ? Nous attendions avec impatience le championnat du monde de hockey 2021. En 2017, La décision de devenir partenaire a été prise. LIQUI MOLY est attachée à l’equité, au respect, à la liberté et à la protection et au vu de la politique du gouvernement, le traitement des manifestants et les violations évidentes des droits de l’homme en Biélorussie, qui sont profondément contraires aux convictions et aux valeurs de LIQUI MOLY. Pour cette raison, LIQUI MOLY va annuler son parrainage du championnat du monde de hockey sur glace si le comité de l’IIHF conserve la décision de garder la compétition en Biélorussie. »

Source: Instagram Liqui Moly

Devant cette levée de boucliers, tant financière que populaire, le comité de l’IIHF décide, le 18 Janvier 2021, de retirer l’organisation des mondiaux à la Biélorussie. Le président de l’IIHF, René Fasel, déclare que « C’est une chose très regrettable de devoir retirer la candidature de la co-organisation Minsk / Riga. Au cours de ce processus, nous avons essayé de promouvoir le fait que le Championnat du monde puisse être utilisé comme un outil de réconciliation pour aider à calmer les problèmes sociopolitiques qui se produisent au Bélarus et à trouver une voie positive à l’avenir. Et bien que le Conseil estime que le Championnat du monde ne devrait pas être utilisé à des fins de promotion politique par aucune des parties, il a reconnu qu’accueillir cet événement à Minsk ne serait pas approprié quand il y a des problèmes plus importants à traiter et la sûreté et la sécurité des équipes, les spectateurs et les officiels doivent donner la priorité. ». Cette décision est saluée par l’opposition.

« C’est une victoire, car il n’y aura pas de vague de répression supplémentaire sous prétexte de « nettoyer » la ville avant le Championnat du monde ».

Source : Svetlana Tikhanovskaya – Compte Telegram

En revanche, cette décision est évidemment mal vécue par l’entourage du Président Loukachenko. Piotr Petrovsky, expert auprès de l’ONG pro-Loukashenko Belaya Rus, dénonce la situation : « Il était clair qu’avec la pression la plus forte exercée depuis le début, sur les différents sponsors du Mondial par certaines forces qui ont exercé une pression maximale sur la communauté sportive et la Fédération internationale de hockey sur glace pour empêcher le championnat du monde de se dérouler en Biélorussie en 2021. En conséquence, nous voyons une décision partiale et politisée de priver la Biélorussie du droit d’accueillir le championnat. À mon avis, cette situation démontre un manque de respect pour la souveraineté et l’indépendance du Belarus et pour la contribution que le pays a apportée au développement du hockey sur glace». La déclaration de Dmitry Baskov est encore plus virulente : « Je voudrais m’adresser personnellement à la soi-disant Fondation biélorusse de solidarité sportive, en particulier aux anciens athlètes professionnels. Aujourd’hui, vous célébrez la victoire en enlevant un événement vraiment spécial au peuple biélorusse. Dorénavant, vous ne pouvez plus être appelé Biélorusse. Vous êtes des traîtres! ». Avant d’ajouter « Bien sûr, nous grandirons par nous-mêmes, mais la« flexibilité politique» des institutions internationales restera dans l’histoire, créant ainsi un précédent pour de futures manipulations ».

2018 IIHF Ice Hockey World Championship. Jean-Gabriel Pageau and Teodors Blugers – Crédit photo: MATT ZAMBONIN / HHOF-IIHF IMAGES

Après des mois de tractations politique, désormais c’est enfin place au jeu, le Vendredi 27 Mai prochain quand la Lettonie affrontera le Canada en match d’ouverture et on reverra enfin du hockey international. Alors avec ou sans joueurs de la LNH, ça reste a déterminer, au vu de la situation sanitaire, mais une chose qui est certaine c’est que ce sera une vraie fête. D’ici là au CCS, on vous prépare une présentation de ces championnats du monde qui s’annoncent d’ores et déjà historiques.

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