D’un côté un belge, de l’autre un hollandais. Cela pourrait être l’incipit d’une blague plus que douteuse mais ce n’est pas le rire qui vient en premier lieu lorsque sont évoquées les performances loin d’être insipides des deux golgoths dont nous allons parler. Nés tous deux dans la province d’Anvers en Belgique au milieu des années nonante et séparés d’une quarantaine de kilomètres à peine à leur naissance, les deux grands champions que sont déjà Wout Van Aert et Mathieu Van der Poel – tant leur palmarès est étoffé pour leur âge – ne furent départagés qu’à l’hectomètre près deux décennies plus tard lors du Ronde 2020 de leurs Flandres natales. Rivaux insatiables depuis leurs débuts, notamment en cyclo-cross, il n’est pas rare qu’ils se soient retrouvés dans des situations similaires en compagnie l’un de l’autre sur la photo-finish. Et si l’on se penche sur les différentes épreuves auxquelles ils ont participé, il est encore moins singulier de voir chacun d’eux apparaître dans la liste des vainqueurs. Ainsi, à travers un Patrick chassé-croisé entre leurs carrières, leurs profils et leurs objectifs respectifs cette saison, plongeons-nous aujourd’hui dans un état des lieux comparatif de ces deux monstres du cyclisme mondial.
Je te tiens, tu me tiens par le palmarès
Au jeu du chat et de la souris, les deux flamands de naissance aiment bien inverser les roses rôles. Il n’y a qu’à regarder du côté de leurs nombreux titres mondiaux en cyclo-cross pour en avoir une parfaite illustration. VDP champion du monde chez les juniors en 2012 et 2013 ? Ok, WVA le sera chez les espoirs l’année suivante… Après un premier titre élite de VDP en 2015, WVA garde le maillot arc-en-ciel sur terre trois années de suite ? Pas de problème, VDP réalise lui aussi la passe de trois pour en être triple tenant du titre depuis janvier dernier… Et il en va de même depuis les débuts sur route des deux lascars. En plus du très prisé Tour du Limbourg remporté en 2014 et 2018 par le néerlandais et en 2015 par le belge, ils ont en commun plusieurs classiques de renom. D’une part, une Amstel fantastique pour VDP en 2019 (que tout le monde a en mémoire) et WVA trinque en retour cette saison même si un jeune et pur houblon britannique fut très proche de lui faire échapper sa pinte. De l’autre, WVA claque avec la manière les Strade Bianche 2020 et VDP lui répond avec non moins de brio avec celles de cette année.
Mais il demeure tout de même d’irréductibles courses qui échappent de près ou de loin à l’un ou à l’autre des deux artistes. Si WVA a gagné Gent-Wevelgem cette saison, son compère s’y est “arrêté” au pied du podium en 2019 et dans le top 10 l’année suivante. De même, VDP a accroché la Flèche brabançonne et A travers la Flandre à son arbre à trophée en 2019 quand son adversaire de toujours s’est cassé les dents sur la première en se faisant battre au sprint par le rookie Tom Pidcock et n’a jamais participé à la deuxième. Enfin et surtout, les deux possèdent un monument depuis la saison dernière. VDP le Ronde au nez et à la barbe de son rival et WVA la Primavera où le néerlandais a établi sa meilleure marque cette année avec un top 5. Un partout pavé au centre.
Des objectifs qui s’entremêlent
Une première partie de route ensemble
Si les deux énergumènes ont participé à la saison de cyclo-cross comme chaque année, ils n’ont pas forcément pris part aux mêmes courses d’un calendrier quelque peu chamboulé par la situation sanitaire. Mais malgré certaines différences dans leurs choix de course respectifs avec notamment une coupure plus longue pour le belge, l’objectif de l’hiver était le même dans les deux écuries : aller décrocher une quatrième couronne mondiale. Et sur un parcours très spectaculaire et télégénique à Ostende en Belgique – avec de longs passages sur le sable en bord de mer et une brève mais terrible rampe avoisinant les 20% – c’est le néerlandais qui fut le plus costaud malgré un beau soleil par dessus sa machine en début de course même si le belge fut victime d’une crevaison alors qu’il était en tête à mi-parcours sous un temps très belge lui aussi.

Concernant leur reprise sur la route, le champion des Pays-Bas fut le premier à lancer sa saison, et de quelle manière, sur l’UAE Tour. Victoire et prise du maillot de leader dès la première étape suite à des bordures foudroyantes qui permirent à VDP de régler un groupe de quelques survivants. Mais la joie fut de courte durée puisque son équipe et lui durent se retirer de la course pour cause de Covid. Et nous voilà déjà aux fameuses Strade Bianche, course de rentrée pour WVA et qui fut remportée par un VDP des grands jours. A partir de là, on peut clairement établir que l’objectif des deux flamands était de préparer Milan-San Remo et les classiques flandriennes et pavées avec en point d’orgue le Ronde et Paris-Roubaix, qui n’avait pas encore été reporté à l’automne à ce moment-là. Pour se faire, les deux prirent donc la décision de courir le Tirreno tout en sachant que WVA avait annoncé vouloir jouer le général des courses d’une semaine cette année. 4 victoires à eux deux plus tard – sur 7 possibles dont un sprint et un chrono pour le belge et une étape en puncheur et un baroud de l’espace du hollandais qui voulait rentrer plus vite au chaud selon ses propres dires – les voilà fin prêt pour la campagne flandrienne.

En forme trop tôt les gamins ? Assurément non tant ils ont été forts sur toutes leurs courses. Mais souvent des excès de confiance les ont conduits à se faire régler au sprint par des adversaires censés être un peu moins rapide qu’eux, même si un sprint en petit comité après une course usante reste toujours très ouvert. Et à la fin, on fait les comptes : de belles victoires pour WVA, des podiums pour VDP, du spectacle pour tout le monde mais aucun monument si l’on reste cartésien tant ils ont les capacités et le potentiel pour tout exploser. Pour finir, une équipe lors des classiques ne leur aurait pas fait de mal, quand on voit comment Ineos et Quick Step ont su parfaitement jouer de leur nombre pour aller chercher des victoires de prestige.
Des chemins qui se séparent
Si WVA a poussé sa saison printanière jusqu’à l’Amstel qu’il a remportée d’un rien, VDP a stoppé sa saison route sur sa défaite au sprint face à Jimmy Kasper Asgreen sur le Ronde. En effet, si le belge a bien mérité de recharger les batteries avant de préparer le Tour en passant par un Dauphiné gratiné et ses championnats nationaux, le néerlandais a lui un tout autre objectif. Cela serait tellement incroyable de reprendre la séquence de Fast and Furious “it’s been a long day without you my friend” avec les deux rivaux au volant de chacune des voitures. Malheureusement cela n’a pas encore été fait mais vous comprenez l’idée, tant les courses auxquelles ils participent tous les deux sont toujours pleines de rebondissements, d’inattendu, de tout ce qui nous fait vibrer devant notre télé en somme.
Mais revenons à nos moutons. Nous étions donc sur les objectifs de ce cher VDP, bourreau de Nino Schurter sur les quelques courses qu’il avait effectuées au cours de la saison VTT Cross-Country d’il y a presque deux ans maintenant. Il y avait notamment obtenu le titre de champion d’Europe en coiffant tous les spécialistes du circuit. Et que décide-t-on lorsqu’on domine autant une discipline sans énormément d’expérience sur le circuit élite ? De viser la victoire aux J.O bien entendu. Le néerlandais est déjà à l’entraînement comme il le montrait sur ses réseaux sociaux en amont du J-100 avant les Jeux de Tokyo, où il était visible en forêt avec un des ses coéquipiers chez Alpecin-Fénix.

Telle la mode vestimentaire, Mathieu Van der Poel change ses collections à toutes les saisons. Cyclo-cross l’hiver, spring road, vt’été… Plus que le BMX en automne et la grande boucle sera bouclée. Quel que soit le vélo, le fils d’Adrie est toujours tête dans le guidon et bien souvent sur le haut de la boite. Il serait d’ailleurs loin d’être improbable d’imaginer les deux meilleurs ennemis sur le podium des prochains championnats du monde sur route, l’arrivée étant celle de la Flèche Brabançonne, gagnée par le hollandais en 2019.
Finalement, si l’un est tout terrain sur n’importe quel vélo (même dans un numéro de monocycle je prends les paris), on peut dire de l’autre qu’il est tout terrain sur vélo route (par sprint, par chrono, par monts et par vaux). Et en dépit de leurs qualités spécifiques qui s’entremêlent et se recoupent perpétuellement au fur et à mesure de leurs multiples et innombrables confrontations plus mythiques les unes que les autres : qu’importe le temps. Oui, qu’il pleuve, neige, vente ou grêle ; sur le sable, la terre, l’herbe ou le bitume : les deux rivaux ont vu, voient, et verront à jamais leurs destins liés.