« Des groupes de fans allemands disent que la règle des ’50 +1′ pourrait aider les clubs de Premier League », « Le gouvernement britannique veut s’inspirer du modèle allemand, où les propriétaires ne peuvent pas contrôler plus de 49 % du capital d’un club », « Super League européenne : comment la règle des 50 + 1 de l’Allemagne a bloqué le Bayern Munich et le Borussia Dortmund », « Le modèle 50 + 1 expliqué alors que les troubles entre fans de Liverpool et FSG se développent après l’effondrement de la Super League ». Depuis ce week-end, elle défraye les chroniques Outre-Manche, mais qu’est-ce vraiment que la règle du 50+1 présente dans le foot Allemand ?
C’est quoi, le 50+1 ?
Instauré en 1998, le 50+1 stipule qu’un investisseur ne peut être propriétaire que de 49% des parts d’un club de 1. ou 2. Bundesliga, les parts restantes étant celles des supporters. Ainsi, les membres des clubs, mitglieder en Allemand, ont un droit de vote sur un certain nombre de points concernant leur club, notamment lors de l’élection des présidents. Avec une majorité de 50% + 1 voix, ils ont un pouvoir de décision et permettent aux clubs de rester relativement proches de leurs fans et surtout accessibles avec notamment des prix de billets attractifs. C’est l’une des raisons des stades pleins et des ambiances proposées chaque week-end dans les stades outre-Rhin.
« Le spectateur allemand a traditionnellement des liens étroits avec son club. Et s’il a le sentiment qu’il n’est plus considéré comme un fan mais plutôt comme un client, nous aurons un problème. »
Hanz-Joachim Watzke, directeur général du Borussia Dortmund
Cette règle est très certainement l’une des raisons pour lesquelles les deux clubs Allemands que sont le Bayern Munich et le Borussia Dortmund n’ont pas rejoint l’appel des 12 dissidents pour la création de la Super-League. En effet, les fans sont propriétaires à 100% de leur club à Dortmund et à 75% à Munich (Audi, Adidas et Allianz se partagent les 25% restants avec 8.33% chacun). Il aurait été très difficile pour eux de les convaincre de voter de façon favorable à cette Super-League. En effet, leurs membres sont très virulents contre cette idée de Super League, tout comme la réforme de la Ligue des Champions 2024, et le font savoir de très longue date.

En effet, depuis des années, les fans allemands se battent contre les dérives de leur championnat. Ils ont pour dernière victime en date les matchs du lundi soir. Contre les matchs en semaine car ils ne pouvaient pas s’y déplacer facilement, ils ont fini par se faire entendre de leurs dirigeants et des diffuseurs et il n’y aura plus de matchs le lundi soir pour les années 2021 à 2025. Après des années de boycott, d’interruptions de match, de chants hostiles au diffuseur, le match Hoffenheim-Leverkusen du lundi 12 avril 2021 était le dernier diffusé un lundi soir pour au moins 4 ans.
Autre exemple du pouvoir des membres sur leur club, c’est à la suite d’une demande de ceux-ci en assemblée générale que le Borussia Dortmund a décidé de lancer son équipe féminine. Afin de connaître le modèle voulu par ses supporters, le club a lancé une grande consultation à leur intention. Suite à celle-ci, il a été décidé que l’équipe commencerait Kreisliga B, le plus faible échelon national, et ne fusionnerait pas ou ne rachèterait pas un club local dans une meilleure division.
Les grandes exceptions
Malgré tout, des exceptions peuvent être données après plus de 20 ans à avoir investi dans le club sans le quitter. Cette mesure de protection permet de s’assurer qu’il y a un projet long terme et d’éviter les reventes par des investisseurs cherchant uniquement le profit à court terme. Trois clubs ont bénéficié de cette exception.
Tout d’abord, on trouve les deux clubs « entreprises » : le Bayer Leverkusen et le VfL Wolfsburg. Ces clubs sont des anciens clubs d’entreprise : du géant pharmaceutique et chimique Bayer pour Leverkusen et de l’entreprise automobile Volkswagen pour Wolfsburg. Ces deux exceptions ne font pas trop de bruit, les deux entreprises étant liées à l’histoire du club depuis leur création. A titre de comparaison, ce serait comme si Peugeot avait eu une exception pour être propriétaire de toutes les parts de Sochaux en France.

Troisième exception : le TSG Hoffenheim, dont le mécène Dietmar Hopp est l’une des plus grosses fortunes d’Allemagne. Investisseur du club depuis qu’il est en 8ème division, il a bénéficié d’une exception en 2015 et a 96% des voix. Très régulièrement cible des critiques des supporters voir des dirigeants des autres clubs depuis la montée du club en 2. Bundesliga en 2007, il a défrayé la chronique au printemps dernier. En effet, insulté par les supporters bavarois, il a réussi à faire arrêter le match Hoffenheim-Bayern grâce au protocole anti-discrimination de l’UEFA.
Le RasenBallsport Leipzig, ou RB Leipzig comme il aime se faire appeler, est la propriété de Red-Bull depuis le rachat du club amateur SSV Markanstädt en 2009. La Ligue Allemande a fermé les yeux sur le prix des adhésions pour devenir membre du club ainsi que sur le nombre de membres. En effet, les adhésions sont d’environ 1000€/an, quand elles sont plutôt autour de 50€ dans les autres clubs, et sont donc achetées par des membres du conseil d’administration de Red-Bull. Depuis, le club est régulièrement boycotté par les fans (pas de déplacement, minutes de silence en début de match, etc, voir par les clubs refusant de mettre leur logo sur les écrans d’affichage ou prenant un malin plaisir à écrire leur nom complet sur toutes leurs communications).

Si Leipzig a réussi à avoir une telle exception, le choix est pour partie politique. Situé en ex Allemagne de l’Est, zone la plus pauvre d’Allemagne, avec des clubs faisant régulièrement faillite, il permettait à un club de cette région d’accéder à la Bundesliga. Et si le résultat sportif est probant, celui vis-à-vis des fans du secteur l’est beaucoup moins. En effet, avec sa démarche marketing, on ne pourrait faire plus éloigné de la mentalité de la région particulièrement pauvre et dont une partie des habitants subissent « l’Ostalgie ». Ce n’est certainement pas dans les travées de la Red-Bull Arena que résonneront les « Ost-Ost-Ost Deutschland » scandés par les ultras du Dynamo Dresden, ou les « Qui ne se laisse pas acheter par l’Ouest ? » de l’Union Berlin, club historique de Berlin Est ayant obtenu sa montée en Bundesliga en 2019.
Des oppositions régulières au modèle
« J’espère que la ligue va libérer les clubs de cette règle. Chaque club devrait pouvoir décider de l’ouverture à de nouveaux investisseurs, sous quelle forme ou de le refuser. »
Karl-Heinz Rummenigge, directeur général du Bayern Munich
Des clubs s’opposent régulièrement au 50+1. La dernière « attaque » s’est déroulée en 2018. A l’époque, le Bayern Munich faisait partie des quatre clubs qui avaient voté en faveur d’une suppression du 50+1 aux côtés du RB Leipzig, Heidenheim et Greuther Fürth. Alors que le modèle était vivement critiqué même par le président de la ligue, il est ressorti plus puissant après que les clubs aient décidé sous l’égide du FC Sankt Pauli de vérifier la viabilité juridique de leur modèle pour qu’il ne puisse pas être attaqué en justice.
Dernièrement le modèle a été vivement critiqué par Lars Windhorst, propriétaire à 49% des parts du Hertha Berlin depuis 2019, qui s’y plie malgré tout. Quelques années plus tôt, c’était Martin Kind, propriétaire de 49% des parts de Hannover 96, qui avait lancé les hostilités en demandant une exception pour devenir propriétaire de la totalité du club. Il a en conséquence perdu la présidence du club lors des élections de 2019.
Une règle ralentissant le développement, vraiment ?
En Allemagne, comme dans tous les pays, il y a des clubs bien gérés et des clubs mal gérés. On peut penser à Schalke 04 récemment relégué, endetté et qui respecte les critères du 50+1. Mais il faut rappeler que le RasenBallsport Leipzig était fortement déficitaire la saison dernière. Et grâce à son financement Red Bull et une manœuvre peu claire, il a pu rembourser à peu près 100 millions d’euros de déficit liés à la période covid l’été dernier. En 3. Liga, le KFC Uerdingen qui, tout en respectant la règle du 50+1, était fortement dépendant d’un investisseur unique vient de subir une procédure d’insolvabilité suite au retrait de cet investisseur.
Et malgré son opposition à ce système par moment, le Bayern Munich est certainement l’un, si ce n’est, le club le mieux géré au monde sur le plan économique, mais aussi sportif. En terme de gestion, le Borussia Dortmund ne fait pas non plus exception. Le club, qui était en quasi faillite au début du siècle, s’est redressé sous l’égide de Hanz-Joachim Watzke. Dernièrement, ses dirigeants clament qu’il n’y aura pas besoin de vendre Haaland ou Sancho cet été, même si le club ne se qualifie pas en Ligue des Champions, car il n’était pas endetté avant le début de la crise sanitaire.
Et ne pas avoir les parts et le pouvoir décisionnel sur un club n’empêche pas d’investir dans celui-ci, même si cela peut être repoussant pour les investisseurs étrangers. Lars Windhorst, propriétaire de 49% des parts du Hertha, a par la suite fait un second apport au club dans l’espoir de le voir devenir un « gros » du pays. D’ailleurs plusieurs clubs de division inférieure sont parfois dépendant d’un unique investisseur.
Si la règle du 50+1 a été régulièrement bousculée dans son histoire, et alors qu’elle aurait certainement été dans la tourmente après les annonces d’allégement du fair-play financier, nul doute que ses fervents défenseurs en Allemagne ressortent plus forts que jamais des événements du week-end dernier.
Photo titre : « Le 50 + 1 doit rester » Supporters du Borussia Mönchengladbach manifestant pour le maintien de la règle du 50+1 (crédits : Thomas Starke/ Bongarts/Getty Images)