La Superligue est morte dans l’œuf, le football a gagné, vive le foot ! Si seulement cette phrase était complètement vraie. Il y a des victoires qui laissent des goûts amers. Oui la Superligue n’a vécu plus de quelques jours, mais non le football et ses instances n’en sortent pas grandies. Car dans le même temps, la réforme controversée de la Ligue des Champions pour 2024 a bien été validée par l’UEFA, qui travaille déjà sur des revenus associés encore plus élevés. Mais comment en est-on arrivé là ? Comment, alors qu’elle va fêter ses 30 ans, la Ligue des Champions est-elle devenue la Ligue semi-fermées des clubs riches ?
Dans cette première partie, retour sur l’origine de la Ligue des Champions et ses règlements jusqu’en 2018.
La Coupe des Clubs Champions devient la LDC
La Coupe des Clubs Champions européens trouve son origine fin 1954 lorsque le rédacteur en chef de l’Equipe, Gabriel Hanot, propose d’organiser un championnat européen des clubs. La 1ère édition se déroule en 1955 avec 16 clubs, mais seulement 7 champions. C’est un franc succès pour cette première, remportée par le Real Madrid (quoique cette victoire est maintenant comptabilisée comme victoire en Superligue…) face au Stade Reims.

Fort de ce succès, l’UEFA invite de nouveaux pays et demande à tous les participants d’envoyer son champion national, en plus du tenant du titre de la compétition. Si les anglais feront de la résistance pendant un temps (Manchester United y participe de son proche chef en 1956), la coupe des clubs champions européens va devenir la compétition de référence en Europe. Son format est simple : en fonction du nombre de participants, un tour préliminaire est organisé pour obtenir 16 ou 32 équipes qui s’affronteront en matches aller-retour avant une finale en match simple.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’indice UEFA des clubs et championnat est instauré dès la deuxième année de la compétition afin de classer les pays les plus performants dans le temps. Si pendant quelques temps, les équipes devant participer au tour préliminaire sont tirées au sort (quel scandale cela produirait aujourd’hui), cet indice UEFA est très vite utilisé pour rétablir une forme de justice.

La compétition connaît une première mini-révolution à partir de la saison 1991-1992. Les Quarts de finale sont remplacés par une phase à 2 groupes de 4 équipes qui s’affronteront chacune 2 fois. Les premiers de chaque poule s’affrontent en finale. L’intérêt est économique : le nombre de matches augmente drastiquement pendant la phase finale. Pour rappel, à cette époque, seul le champion national et le tenant du titre son invités. L’année suivante, la Coupe des Clubs Champions européens devient la Ligue des Champions et son premier vainqueur est bien connu : l’Olympique de Marseille.

L’arrêt Bosman, le déclencheur
En 1990, ce cher Jean-Marc Bosman ne s’imagine pas que son contentieux avec le RFC Liège va changer le monde du football à tout jamais. Le belge, en fin de contrat, souhaite rejoindre Dunkerque en division 2 française, mais il se voit refuser son transfert par son club qui demande une compensation financière à Dunkerque. Saisie par Bosman, la Cour de justice des Communautés européennes lui donne raison le 15 Décembre 1995, c’est l’arrêt Bosman.

Les conséquences sont énormes : limité à 3 en 1995, le quota de joueurs européens dans un même club disparaît. Il n’est plus possible pour un club de demander des indemnités pour un joueur en fin de contrat. Le quota des joueurs dits extra-communautaires est conservé, mais est à la main des fédérations nationales. Pour résumer, tout est en place pour l’arrivée du foot business.
La Ligue des Champions ne tarde pas à commencer sa métamorphose en compétition semi-fermée et subit de nombreux changements à la fin des années 90. L’apparition d’une phase de groupes à 16 équipes avant les Quarts de finale en 1994-1995 augmente une nouvelle fois le nombre de matches. Surtout, à partir de la saison 1997-1998 et pour la première fois de son histoire, la compétition accueille les seconds des 8 meilleurs championnats nationaux.

Exemptés de 1er tour préliminaire, ils participent au 2nd tour préliminaire. En 1997-1998 tous les seconds de championnat se qualifient pour la phase de groupes à 24 où les petits pays viennent de perdre 8 places. A l’exemption de Metz, le scénario est identique l’année suivante. En 1998-1999, Manchester United est le premier vainqueur de la Ligue des Champions sans être tenant du titre ou champion national. D’ailleurs, son adversaire en finale, le Bayern Munich, était également passé par le tour préliminaire.

La machine est en marche. Deux ans plus tard, en 1999-2000, la phase de groupes est étendue à 32 équipes, rajoutant encore des matches. Les 16 meilleurs équipes se qualifient ensuite pour une seconde phase de groupes, où les 2 premiers de chaque groupe atteignent finalement les Quarts de finale. Il faut alors au moins 17 matches pour remporter la Ligue des Champions.
Surtout, les 6 meilleures nations à l’indice UEFA envoient directement les deux premiers de leur championnat en phase de groupes, quand les troisièmes accèdent au 3ème tour préliminaire (directement bien sûr). Mieux, les 3 meilleurs nations à l’indice UEFA pourront même envoyer le quatrième du championnat au 3ème tour préliminaire. En seulement 3 ans, un pays comme l’Italie est passé d’une place à trois voire quatre. Pour les petits pays c’est l’inverse, au delà de la 10ème place à l’indice UEFA, ils n’ont plus de place assurée en phase de groupes.

Si les petits championnats (au-delà du top 6 européen) ont alors déjà perdu une bataille (ils ne comptent plus qu’une douzaine de clubs sur 32), une compétition a perdu la guerre : la C2 ou Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe. Très réputée pendant le XXème siècle, elle est une victime collatérale de la nouvelle formule de la LDC, qui lui prend ses meilleurs clubs. Sa dernière édition a lieu en 1998-1999.

La machine s’emballe
Ce système va durer jusqu’à la saison 2008-2009 incluse, avec une modification, positive cette fois, en 2003-2004 : la seconde phase de groupes, opposant les 16 meilleurs de la 1ère phase de groupes, est remplacée par des 8ème de finale. Le nombre est alors réduit, mais les 8ème de finale attirent plus les foules qu’une seconde phase de groupes.
Lors de la saison 2009-2010, l’UEFA décide d’enfoncer la porte entre-ouverte 10 ans plus tôt. Les trois meilleurs pays à l’indice UEFA (l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie, tiens donc, les pays des clubs de la Superligue) ne qualifient plus directement 2, mais 3 équipes en phase de groupes. Le 4ème est toujours convié au dernier tour préliminaire. Petite concession : les pays classés de la 7ème à la 15ème place envoient à présent leur second de championnat en tours préliminaires.

Ainsi, 22 équipes sont qualifiées directement en phase de groupes, en provenance de 13 pays différents. Seuls 13 champions sont directement qualifiés. Les 40 champions des autres nations (au nombre de 53 à l’UEFA) doivent se battre pour… 5 places. Pourquoi pas 10 ? Tout simplement car l’UEFA met en place 2 voies de qualifications : la voie des champions pour ces derniers, et la « Voie de la Ligue » qui accorde 5 places aux non-champions, pratique non ?
Des statistiques qui ne trompent pas
Les conséquences de ces règlements toujours plus à l’avantage des tops clubs sont terribles pour les autres pays de football. Les statistiques présentées Cahiers du football sont twitter parlent pour elles-même : entre 1985 et 1996, 60% des demi-finalistes de la LDC ne venaient pas du top 4 européen. Ce chiffre descend à 15% sur la période 1997-2006 puis à 2,5% sur la période 2007-2016.

Les conclusions sont semblables lorsqu’on regarde les statistiques de qualifications en Quarts de Finale, bien que l’écart soit moins grand. Entre les périodes 1970-1992 et 1993-2015, la diversité des clubs et pays représentées en Quarts a été divisée par 3.

Les petits ont pris un coup sur la tête en ce début de XXIème siècle et le retour en arrière n’est plus possible. Entre temps, la montée en flèche des droits TV et le libre-échange de joueurs ont créé des écarts abyssaux entre les tops clubs et le reste de l’Europe. Quand les clubs modestes accèdent à la phase de groupes de la LDC, c’est après 2, 3 voire 4 tours préliminaires entamés dès juillet. Ils sont alors cantonnés à des rôles de figurants, où glaner un match nul ou la 3ème place du groupe, synonyme d’Europa League, est un exploit. Mais le pire est à venir : à partir de 2018-2019, la Ligue des Champions devient quasiment fermée, perfectionnant un système aussi ingénieux que complexe. Mais ça, c’est pour le second épisode.