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EURO 2020 : Zagreb, épicentre d’un football croate malade

Le 18 mars dernier, le Dinamo Zagreb a réussi l’exploit d’éliminer les Spurs de Tottenham en huitième de finale d’Europa League. Vainqueur du match retour sur le score de 3-0, l’équipe championne de Croatie était pourtant mal embarquée. Défaite 2-0 en Angleterre, elle a surtout vu son entraîneur, Zoran Mamic, démissionner de ses fonctions de coach et de directeur sportif entre les deux confrontations. La raison en est que la Cour suprême croate a confirmé une peine de prison, de quatre ans et huit mois, datant de 2018 pour fraude fiscale, entre autre. Un imbroglio qui symbolise bien la réalité d’un football Croate, certes auréolé d’un titre de vice-champion du monde mais qui n’est que la partie immergée d’un iceberg bien sombre. Focus dans un pays où Luka Modric n’est pas une idole.

Le Dinamo Zagreb n’est pas le seul club de football professionnel de Zagreb, mais il est le plus imposant. Celui qui a gagné 21 championnats croates, 4 championnats yougoslaves et 22 coupes (7 en Yougoslavie, 15 en Croatie). Celui qui rassemble puissants, riches, ouvriers et pauvres, musulmans, orthodoxes, non croyants, Serbes, et bien d’autres pans d’une société croate pourtant peu homogène. Toutefois depuis plus d’une décennie, la ferveur n’est plus au rendez-vous. Si le club a réalisé son meilleur parcours européen depuis l’effondrement de l’ex-Yougoslavie, en atteignant les quarts de finale de l’Europa League cette saison (défaite 0-1 puis 1-2 contre Villarreal), ses supporters sont tiraillés entre leur appartenance sans faille et l’écœurement face au fonctionnement de leur club et du football croate en général, dont il est le symbole identitaire et culturel.

Zagreb : Entre symbole et identité

Il faut dire qu’à Zagreb, football et identité ont toujours été indissociables. Dès leur création, les clubs de la ville se revendiquent d’une appartenance sociale ou politique. Ainsi, le HASK Zagreb, créé en 1903, revendique une forte identité croate (la région fait, à ce moment là, partie de l’Empire Austro-Hongrois). Le Concordia, lui, est rapidement apprivoisé par les ouvriers. En 1908, le NK Zagred fait son apparition, puis c’est au tour du Gradjanski dont l’appellation fait référence au terme « les citoyens », orienté contre le pouvoir local hongrois. Le club devient en quelques années un des poids lourds du football zagrébois. L’engouement pour le football dans la ville ne se dément pas et les rivalités dépassent alors le cadre du football, comme en témoignent les rapports des émeutes fréquentes sur le terrain et dans les tribunes. La fin de la Première Guerre mondiale et la création du Royaume de Yougoslavie font de Zagreb un des berceaux du football yougoslave.

La ville devient le centre de la ligue nationale jusqu’à la fin des années 1920 et les meilleurs clubs du nouvel état viennent de la région. Les trois plus populaires se disputent les titres de champion du Royaume de Yougoslavie, le Gradjanski en remporte notamment 5 et peu à peu, une féroce rivalité avec le BSK Belgrade et l’Hajduk Split s’installe. Ces rivalités disparaissent après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les communistes restructurent l’ensemble des organismes sportifs. Les clubs de Zagreb sont démantelés en 1945 pour en créer un central, le Dinamo, qui aura vocation d’identité républicaine, de la même manière que le Dynamo Kiev en Union soviétique, par exemple. Le nouveau club reprend dès lors les couleurs Bleu du Gradjanski, tout comme sa fan base et ses joueurs, sans pour autant établir un réel héritage entre les deux entités. Par la suite, les clubs dépendent entièrement des fonds publics et des liens avec le Parti communiste. En Croatie, le Dinamo et l’Hajduk sont dans ce cas.

Graffiti à Zagreb commémorant la victoire du Dinamo lors de la Coupe des villes de foire face à Leeds United en 1967 (source : wikipédia)

À l’indépendance du pays, le nom du Dinamo est de nouveau changé en « HASK Gradjanski », pour le symbole pré-communiste que la Yougoslavie avait détruite. Le président de l’époque, Tudjman, va plus loin et un an et demi plus tard, le club est renommé « Croatia » pour établir un symbole nationaliste. Cependant, les Bad Blue Bloys (mouvance ultra du Dinamo) et la majorité des supporters n’adhèrent pas et en 2000 le retour du nom « Dinamo » est effectif. Ce dernier reste soutenu et subventionné par le pouvoir en place, ce qui n’est pas le cas des autres clubs de la ville. Dès lors, le NK Zagred (champion en 2002) repart dans les divisions inférieures et si le Lokomotiv est aujourd’hui en 1ère division aux côtés du Dinamo, aucune rivalité n’anime les deux clubs, puisque le premier est le satellite du second et n’attire personne pour ses matchs. Pour le reste, quelques clubs de quartier rencontrent un succès populaire, certe restreint, comme le NK Rudes, le NK Zagreb 041 ou le Futsal Dinamo. Dans les deux derniers cas, ce sont des projets de fans rebelles qui ont été créés récemment et en opposition au système.

Dinamo Zagreb : Entre hégémonie et influence tentaculaire

Car depuis l’indépendance de la Croatie, la plupart des clubs vivent dans une grande pauvreté. En cause, l’accumulation des dettes et une mauvaise organisation. En ce qui concerne les infrastructures, le seul club qui a entièrement rénové ou construit son stade lors des trente dernières années est Istra. Le problème concerne également l’équipe nationale, qui a joué plus souvent à Londres qu’à Split au cours de la dernière décennie, faute d’un stade aux normes internationales. De manière globale, peu de clubs ont pu mettre de l’argent dans les académies et certaines, très performantes auparavant, se sont dégradées (comme Osijek). La plupart des clubs capitalisent encore sur des structures du passé, toujours plus obsolètes. Sans compter que leur économie est toujours contrôlée par des influences extérieures (Rijeka, Osijek), ou dominée par les transactions suspectes et l’instabilité financière. Et ce ne sont pas les misérables droits TV de la Prva liga qui peuvent leur garantir un modèle stable et vertueux.

Les changements incessants au sein des hautes instances et les aspirations irréalistes des dirigeants ont fait perdre des clubs historiques ou à fort potentiel tels que Varaždin, Slavonski Brod, ou Dubrovnik. Le championnat est peu attractif, la fréquentation moyenne des stades en 2016 étant de seulement 3.193 personnes. Rijeka, seul club a avoir gratté un titre depuis 2006 (en 2017), s’impose comme le rival le plus sérieux du Dinamo et relance quelque peu l’intérêt du championnat croate. Pour autant, les autres clubs restent marginaux et ne peuvent faire le poids en particulier à cause de la taille de leurs structures.

Le stade vétuste du HNK Rijeka (source : Ostadium.com)

La réalité de la Croatie se lit à travers le monopole du Dinamo : un seul contre tous dont on connaît depuis longtemps les contours (corruption massive, ingérence visible dans les affaires de la Fédération croate de football…). Résultat, durant plusieurs années, la sélection nationale était devenue un relais d’influence du géant national. Le sélectionneur y plaçait alors les meilleurs jeunes du Dinamo afin qu’ils soient rapidement repérés par les clubs plus huppés en Europe, profitant d’un système de formation quasi inexistant dans les autres clubs du pays.

L’idée d’un travail de fond sur le développement du foot national a été tué dans l’œuf il y a quelques années, le porteur du projet, Romeo Jozak, ayant été licencier avant de présenter son projet aux dirigeants de la Fédération. Et pourtant, la Croatie a un vivier de talent incroyable. S’ils ne sont pas performants en équipe de jeunes, ils sont intrinsèquement très bons. En Russie, l’équipe croate avait beaucoup de joueurs formés localement, et 14 joueurs de la sélection ont été formé au Dinamo. Mais le football étant considéré comme un véritable enjeu « national » et une vitrine diplomatique et identitaire que la 3ème place à la Coupe du monde 1998 a institutionnalisé en plaçant le petit pays sur la carte, la politique officielle se construit autour du Dinamo Zagreb.

Zdravko Mamić : Le bourreau du football croate

Cette injustice porte un visage, celui de Zdravko Mamić, ancien président du Dinamo, ancien vice-président de la Fédération croate de football et, depuis 2015, au centre d’enquêtes pour fraude fiscale (1,5 millions d’euros), corruption et détournements de fonds (15 millions d’euros). Pour cela et au même titre que son frère Zoran, il est condamné à six ans et demi de prison. Le fait qu’il ait dû quitter ses postes à la suite des accusations, pour fuir en Bosnie, ne l’empêche pas de continuer à tirer les ficelles en arrière-plan. Mamić reste le numéro un du football croate.

Luka Modric lors de son témoignage en 2017 au procès de Zdravko Mamic, soupçonné de corruption. (source : BBC.com)

Au delà du ballon rond, il est tristement célèbre pour ses contacts avec les juges et les politiciens. Il n’a jamais caché ses connections avec le parti (HDZ – Union démocratique croate), assistant à des rassemblements publics ou finançant la campagne électorale de la candidate du parti aux dernières élections, Kolinda Grabar Kitarovic. Lui sont reprochés ses déclarations homophobes et contre les minorités Serbes, ainsi que des contrats de type « esclavagiste » avec des joueurs du Dinamo, que chaque jeune doit signer. De cette manière, Mamić s’assure 20 à 30 % du salaire des ces derniers lorsqu’ils sont transférés à l’étranger, les cas les plus connus sont ceux de Modric (transféré à Tottenham en 2008) et Lovren (parti à Lyon en 2010). C’est pour cette raison qu’une large partie des supporters Croates détestent le Ballon d’Or 2018. Accusé de faux témoignage, il aurait fait cause commune avec l’ancien président du Dinamo.

En plus du Dinamo, Mamić contrôle également le Lokomotiv Zagreb, l’autre club de la capitale qui évolue dans l’élite (composée de dix équipes). Après l’ascension en 2009, dans des circonstances douteuses, le Lokomotiv n’a fait qu’un seul match nul sur les 29 premiers affrontements avec le Dinamo, la première victoire remontant en mars 2018 (bilan depuis de 9 défaites, 3 nuls et 3 victoires). L’influence de Mamić s’étend aux quatre coins du football croate. Il est considéré comme un décideur déterminant dans toutes les affaires de l’équipe nationale, jusqu’à la mise en place privilégiée des joueurs du Dinamo et à la non-prise en compte des athlètes qui se sont opposés à lui dans le passé (l’exemple de l’éviction de Dejan Lovren en 2016 étant le plus notable). Il influence également l’association de la ligue, en ayant favorisé les élections de Vlatko Markovic puis de Davor Suker, et l’association des arbitres. C’est aussi pour ça que les fans en ont marre.

Supporters du Dinamo en 2017, réclamant le départ de Zdravko Mamić (source : Getty Image)

Pourtant, dans le passé, les « Boys » ont tout fait pour se débarrasser de lui. Par pétition, ils ont demandé des élections libres et recueilli 50 000 signatures. Ils n’ont pas réussi jusqu’à l’arrestation de Mamić. Et même depuis, peu de choses ont changé. Jusqu’à l’apparition du Coronavirus, le nombre de spectateurs dans le stade de Maksimir, qui rassemble 40 000 spectateurs, était inférieur à 1 000 (hors soirées européennes), Mamic ayant écarté du stade ses opposants, membres des Bad Blues Boys pour la plupart. Et cela ne changera pas de sitôt, la désaffection pour le football est à un niveau record dans tout le pays. Tout ce que les supporters veulent, c’est un championnat honnête et tous les moyens sont bons, y compris mettre à mal la sélection. En effet, une partie des ultras croates sont devenus des spécialistes des chants racistes. Lors des qualifications pour la coupe du Monde 2014, ces comportements récurrents ont conduit à un match à huis clos disputé à Split contre l’Italie lors duquel une croix nazie était visible sur le terrain. Une manière de mettre en lumière les agissants mafieux autour de la sélection et du championnat.

Ancrée en tant que nation à l’échelle internationale, la Croatie a fondé une partie de son identité dans les parcours glorieux de sa sélection nationale de football lors des Coupes du monde 1998 et 2018. Aujourd’hui, Si une partie du peuple croate ne suivra pas son équipe, ils la soutiendront quand même dans leur cœur puisqu’elle les représente. Toutefois, au delà des questions de lutte politique et identitaire autour d’elle, l’équipe vice-championne du monde devra se rendre à l’Euro avec un groupe vieillissant, avec un Luka Modric âgé de 35 ans en tête de liste, et loin de son niveau du mondial russe. La fin d’un cycle afin d’aborder un renouvellement générationnel et pourquoi pas de son football national ?

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