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Comment la Ligue des Champions s’est refermée depuis 2018 ?

La Superligue est morte dans l’œuf, le football a gagné, vive le foot ! Si seulement cette phrase était complètement vraie. Il y a des victoires qui laissent des goûts amers. Oui la Superligue n’a vécu plus de quelques jours, mais non le football et ses instances n’en sortent pas grandies. Car dans le même temps, la réforme controversée de la Ligue des Champions pour 2024 a bien été validée par l’UEFA, qui travaille déjà sur des revenus associés encore plus élevés. Mais comment en est-on arrivé là ? Comment, alors qu’elle va fêter ses 30 ans, la Ligue des Champions est-elle devenue la Ligue semi-fermées des clubs riches ?
Dans cette seconde partie, nous analysons le système actuel de la Ligue des Champions, bien plus complexe qu’il n’y paraît. La première partie sur l’histoire de la compétition jusqu’en 2018 se trouve ici.

En 2018, la Ligue des Champions est déjà une ligue assez fermée. Comme le rappelle le schéma ci-dessous, le top 3 des pays à l’indice UEFA envoie directement 3 clubs en phase de groupes, un 4ème pouvant se qualifier via la Voie de la Ligue, attribuant 5 places. Les petits championnats, au delà de la 15ème place à l’indice UEFA, se battent dans la Voie des Champions qui octroie 5 places pour 40 champions. Et finalement, tout le monde s’y habitue.

Éligibilité des clubs à la LDC en fonction de l’indice UEFA de 2009 à 2018

Mais pour la saison 2018-2019, l’UEFA assène un nouveau coup de massue auprès des clubs et pays modestes. Dès lors, les 4 meilleurs nations à l’indice UEFA (l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie) peuvent envoyer directement 4 clubs en phase de groupes : la moitié des qualifiés (16 sur 32) ne provient que de 4 pays. Pour compenser, le nombre de champions directement qualifiés passe de 13 à 10 (éventuellement 11 si le tenant du titre est déjà qualifié par son championnat), et les places disponibles en tours préliminaires passent de 10 à 6 : 4 pour la voie des champions, 2 pour la voie de la Ligue. La mainmise du Big 4 européen est quasiment totale.

Éligibilité des clubs à la LDC en fonction de l’indice UEFA de 2018 à 2021

Si la répartition des places attribuées en phase de groupes de ligue des champions semble injuste, elle n’est qu’une partie d’un système plus global où tout est fait pour maintenir l’ordre établi.

L’indice UEFA : comment faire compliqué pour mieux régner

Quelques mots sur l’indice UEFA tout d’abord. Existant depuis les débuts de la Coupe des Clubs Champions, il représente pour un pays la moyenne des points acquis par ses clubs sur les 5 dernières saisons. On somme ainsi pour les 5 dernières années le coefficient UEFA obtenu sur une saison. Ce coefficient est égal au nombre de points obtenus par les clubs divisé par le nombre de clubs engagés par ce même pays. C’est en partie pour cette raison que cette année, la France, qui a marqué plus de points que l’Ecosse (47,5 contre 34) a un coefficient UEFA plus faible que cette dernière : le total de la France est divisé par 6 alors que celui de l’Ecosse par 4, nombre de clubs envoyés par ces pays en Coupes d’Europe en 2020-2021.

Explication du calcul de cet obscur indice UEFA (valeurs tirées d’eurotopteams )

Pour marquer des points UEFA, rien de plus simple, en théorie : la victoire donne 2 points, le match nul 1 point. Ces valeurs sont divisées par deux pour les tours préliminaires, pour ne pas défavoriser les clubs déjà qualifiés en phase de groupes. On compte aussi des bonus de points pour l’accession à certaines phases des compétitions. On note un bonus d’1 point par club qualifié en quart de finale, demi-finale et finale de la Ligue des Champions et de l’Europa League.

Mais surtout, et c’est là que le bât blesse, chaque club accédant à la phase de groupes (directement ou non) de la Ligue des champions, uniquement, obtient un bonus 4 points. Cela veut dire que l’Angleterre, par exemple, avec 4 clubs qualifiés d’office, commence l’année avec 16 points UEFA, quand l’Écosse commence à 0 point. Et les points acquis en qualifications par les clubs écossais ne compensent pas. De même, chaque club qualifié en 8ème de finale marque un bonus énorme de 5 points, supérieur aux points bonus alloués au vainqueur de l’Europa League par exemple.

Des chapeaux en guise de protection

On en vient au second outil trouvé par l’UEFA pour favoriser les grands clubs : les chapeaux. Avec ce système, à l’exception d’un voire deux groupes, les grands clubs sont le plus souvent au nombre de deux dans une même poule, deux comme le nombre de places par groupe en 8ème de finale.

Analyse des performances des clubs en fonction de leur chapeau de départ

Les statistiques depuis la saison 2006-2007 sont sans appel : si une équipe n’appartient pas au chapeau 1 ou 2, elle n’a que 20% de chances de passer la phase de groupes. En revanche, ces équipes (des chapeaux 3 t 4) ont 10% de chances d’atteindre la finale. Cela s’explique principalement car la présence certains clubs avec moins d’historique récent dans la compétition, tels que Tottenham ou Leipzig. Plus de deux tiers des finalistes de la Ligue des Champions sont issus du chapeau 1. Aucun vainqueur de la compétition ne provient de chapeau

Au fil des années, l’UEFA a également ajouté des règles pour éviter au maximum les rencontres entre gros avant la fin de la compétition. Si la règle interdisant 2 clubs d’un même pays à être placé dans la même poule semble logique, celle qui les empêche également de s’affronter en 8ème de finale l’est beaucoup moins. En 2020-2021, 14 des 16 clubs qualifiés en 8ème de finale provenaient du top 4 européen.

Des dotations à l’avantage des gros

Enfin, la répartition des dotations permet d’accentuer l’écart entre les gros historiques. Jusqu’en 2018-2019, la part des droits télés (négociés par les diffuseurs de chaque pays) reversés au club était de 40%, en fonction de la notoriété du club et de ses performances en ligue des champions. Depuis 2018-2019, cette part est passée à 15% et la différence dans la dotation aux clubs a été remplacée par un critère dénommé « coefficient » et se basant sur les résultats des clubs sur les 10 dernières années. Par exemple, ce critère a permis au Barca de toucher 34,3M€ en 2018-2019 contre 15,5M€ pour Tottenham. Ces chiffres sont disponibles sur le site de l’UEFA.

Répartition des dotations financières lors de la Ligue des Champions 2018-2019 (Crédit : UEFA.com)

Ces deux critères font que pour un parcours similaire (élimination en 8ème de finale), l’AS Rome a touché au global 57,7M€ alors que l’Atletico Madrid 85,6M€, près de 30M€ de différence. De même, l’Ajax et le FC Barcelone ont réalisé le même parcours (élimination en demi-finales) mais ont respectivement touchés 78,5M€ et 117,7M€ de dotation, soit 50% de plus pour les espagnols.

Lorsqu’on compare aux dotations de la seconde coupe européenne, la Ligue Europa, les écarts sont abyssaux. Les répartitions sont identiques, mais les montants de base bien plus bas et toujours disponibles sur la page de l’UEFA. La Ligue Europa, compétition des “petits pays”, a une dotation globale de 500M€ en 2018-2019 pour 48 clubs, quand la Ligue des Champions a 2 milliards d’euros pour 32 clubs.

Répartition des dotations financières lors de la Ligue Europa 2018-2019 (Crédit : UEFA.com)

Par exemple, Chelsea et Arsenal, les deux finalistes de l’édition 2018-2019, ont touché 46M€ et 39M€, moins que n’importe quel huitième de finaliste de la Ligue des Champions. En dehors du Big 4 européen, Rennes est le club avec le plus de retombées financières avec 19M€ en Ligue Europa pour son élimination en 8ème de finale. C’est moins de la moitié des revenus de n’importe quel club du Big 4 engagé en Ligue des Champions (hors Hoffenheim), peu importe son parcours.

Des statistiques toujours plus accablantes

Les statistiques suivantes s’attachent à comparer la nationalité des clubs présents à différentes phases de la Ligue de Champions, en fonction des règlements de la compétition (1999-2003 ; 2003-2009 ; 2009-2018 et 2018-2021). Les pays sont découpés en 3 groupes : le Big 4 européen, ses 3 poursuivants (France, Portugal, Russie) et les autres. Graphiques à lire de droite à gauche.

Pays des clubs qualifiés en phase de groupes de LDC par période

Ce graphique montre plusieurs choses. Tout d’abord, que le règlement de l’UEFA ont entraîné une sur-représentation des clubs du top 4 européen dès la fin des années 90. Au nombre de 4 avant 1997 (voire 5 avec le tenant du titre), les clubs venus d’Allemagne, Italie, Espagne et Angleterre sont au nombre de 14 depuis 1999. Depuis le dernier changement en 2018-2019, le nombre est même figé à 16. Si les pays moyens (France, Portugal et Russie) tirent leurs épingles du jeu avec 6 équipes par compétition en moyenne, c’est du côté des petits que la chute est vertigineuse. On comptait près de 13 clubs issues des “autres” pays en 1999-2003, ils sont moins de 9 depuis 2018-2019. Et la plupart font malheureusement de la figuration en phase de groupes, faute de moyens.

Pays des clubs qualifiés en 8ème de finale de LDC par période

Quand on s’intéresse aux qualifiés en 8ème de finale, cela devient encore plus criant. Sur 16 équipes, on comptait en moyenne 10 représentants issus du top 4 européen sur la période 1999-2003. Ils sont à présent 13 de moyenne sur 16 sur la période 2018-2019. Pour rappel, ils n’étaient que 4 avant 1997, soit plus de trois fois moins.

La mise en place du règlement 2018-2019 a bien accentué le phénomène. Alors que les pays moyens (France, Portugal, Russie) arrivent à placer entre 2 et 3 clubs en 8ème de finale (en général le PSG, Porto et un troisième club), pour les petits pays, l’addition est salée. En fait, l’Ajax Amsterdam est le seul club hors d’un hors top 6 à l’indice UEFA à s’être qualifié en 8ème de finale.

La Ligue des Champions est une compétition qui s’est fermée au fur et à mesure des années autour des clubs du top 4 européen (Angleterre, Allemagne, Espagne et Italie). L’UEFA a réussi à créer un cercle vertueux pour ces pays et vicieux pour tous les autres à l’aide de différents outils : l’éligibilité des clubs à la compétition, l’indice UEFA (aussi obscur qu’injuste), les chapeaux au tirage au sort et enfin les dotations. Si la France tire son épingle du jeu, c’est au prix d’investissements massif du PSG et des bonnes performances lyonnaises. Pour les autres pays, la Ligue des Champions est une compétition à oublier. D’autant plus que l’UEFA a voté son nouveau règlement 2021-2024, fermant encore plus une compétition déjà verrouillée à double tour, où seuls l’OM en 1993 et Porto en 2004 ont chipé le trophée au top 4 européen.

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