MMA

L’éternelle résilience de Rose Namajunas

Rose Namajunas a, ce week-end en co-main event de l’UFC 261, récupéré sa ceinture des Poids Pailles en annihilant la tenante du titre Weili Zhang. Victoire en forme d’upset pour beaucoup. Mais qui n’est, en réalité, que l’énième résurrection d’une guerrière ayant, toute sa vie, navigué entre ombres et lumière. N’en finissant pas de disparaître pour à chaque fois mieux renaître.

Brett Okamoto, journaliste star d’ESPN, avait, il y quelques années, écrit sur la championne un papier intitulé Comfort in chaos. Titre qu’on serait presque tenté de reprendre à notre compte, tant il définit parfaitement ce qui émane d’elle. Combattante semblant perpétuellement à deux doigts de sombrer dans les méandres de sa psyché perturbée. Elle qui a, depuis toujours, tant lutté contre les éléments et son propre mal-être que le seul endroit où elle dit trouver un peu de sérénité est, paradoxalement, à l’intérieur d’une cage de MMA. Alors on pourrait, certes, évoquer ses compétences techniques, son QI fight, son imprévisible footwork, son sol de haut niveau ou encore la fluidité de son striking. Mais ce serait passer à côté du coeur de l’équation : cette personnalité borderline qui, à l’instar du Mike Tyson de la grande époque, est à la fois sa pire ennemie et ce qui fait l’essence de son talent.

L’existence n’a, en effet, jamais en rien représenté pour elle long fleuve tranquille. Née au Wisconsin il y a bientôt vingt-neuf ans, elle a grandi dans un environnement toxique, entre un père schizophrène violent et un entourage (familial et de voisinage) ne lui ayant laissé que fort peu de répit. Allant jusqu’à évoquer les nombreux abus sexuels dont elle fut victime et qui, pour toujours, définirent sa vision du monde et ses relations avec les gens. L’Autre s’affichant en tant que menace et danger, potentiel vecteur de domination, souffrance et brutalité. Une profonde angoisse dont elle n’est jamais parvenue à totalement se défaire et qui peut expliquer ce paradoxe permanent qu’elle incarne – elle qui avoue naviguer dans un constant état d’insécurité, paniquée par quasiment chaque aspect de son quotidien, cabossée d’irrémédiable manière par les fantômes du passé, d’une hyper-émotivité flirtant par instants avec l’instabilité mentale (“Une journée durant laquelle je ne pleure pas n’est pas une journée normale” a-t-elle notamment déclaré).

Puisqu’aussi fragile et perdue apparaît-elle, la découverte des sports de combat lui a permis de se sauver (d’elle-même et d’autrui). Lui apprenant bien sûr à se défendre. Mais y trouvant également exutoire à même d’expulser sa rage née des abus passés. Ainsi qu’une pratique ritualisée dont les codes et règles s’imposent en tant que parfaits antidotes au maelström d’une existence dans laquelle elle ne s’est jamais sentie à sa place. Comme un endroit curieusement apaisant, un encadrement sécurisant, un univers sur lequel elle a prise, à contrario des agressions subies qui lui laissent, aujourd’hui encore, tenace sensation d’impuissance absolue.

Le génie de ses coachs (qu’il s’agisse de son mentor-fiancé Pat Barry ou de son entraîneur en chef Trevor Wittman) étant, à ce titre, d’être parvenus à polir ce diamant brut tout en conservant les spécificités qui lui sont propres – et surtout sans chercher à la changer en profondeur ni modifier sa personnalité. Thug Rose, c’est ainsi cette combattante qui est, non seulement, capable de rester elle-même, avec sa bizarrerie, ses innombrables TOC, sa vision pour le moins particulière de ce qui l’entoure. Mais également de se sublimer au sein de cette discipline pourtant d’habitude si peu tendre avec les faibles. Elle qui se voit comme éternelle underdog tout en parvenant à se servir de sa peur, de ses phobies et de son anxiété permanente comme carburants à même d’alimenter son feu intérieur.

À tel point qu’on a l’impression que le statut de championne apparaît comme déplacé, presque antinomique, pour celle qui ne s’épanouit que dans l’adversité. À voir comme elle avait (de son propre aveu) mal vécu la pression consécutive à sa prise de titre, contre Joanna Jedrzejczyk. Et combien la perte de ceinture, consécutive au k.o. subi devant Jessica Andrade, lui était, paradoxalement, apparue comme délivrance. Comme si elle, qui a toujours du lutter pour obtenir les choses et tenir les tourments à l’écart, ne savait pas comment agir lorsque tout va (un peu trop) bien.

Samedi, elle était donnée outsider, comme souvent. Et elle qui apparaît si frêle qu’on a l’impression qu’elle peut rompre à chaque instant, y a puisé nécessaire motivation pour l’emporter, comme souvent aussi. Se trouvant chez elle dans l’oeil du cyclone, seule place où lui appartient une relative maîtrise des évènements (ce qui peut expliquer la troublante dichotomie existant entre son habituel caractère fébrile et la froide et impitoyable allure qu’elle affiche en combat). Non que la ceinture reconquise constitue un but en soi, loin de là. La perdrait-elle à nouveau que ça ne changerait, en fait, pas grand-chose. L’essentiel se situe ailleurs. Il s’agit juste de continuer à avancer, jour après jour, sans jamais se laisser avaler par le gouffre qui, en elle, menace parfois de grandir jusqu’à l’engloutir. De trouver de nouveaux challenges comme autant d’occasions de sortir de soi et s’épanouir. Le simple fait qu’elle soit aujourd’hui en vie pour faire ce qu’elle aime valant triomphe en soi.

On rappellera, pour conclure, ce formidable instantané de vie. Le conseil, peut-être le meilleur qui soit, délivré par Trevor Wittman à l’entame du dernier round du combat revanche contre Joanna Jedrzejczyk (lors de l’UFC 223). À Rose qui lui demandait quoi faire lors des cinq minutes à venir, il avait simplement répondu : “Keep having fun !”. Comme une évidence. Celle muant une championne, aussi attachante qu’atypique. Qui nous montre à travers son parcours que, serait-ce pour un seul instant de grâce, il est parfois possible d’échapper à l’obscurité.

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