A l'affiche EURO 2020 Sélections nationales

EURO 2020 : Turquie, le coeur avant les pieds

Nous sommes, chaque année, impressionnés par l’ambiance du derby entre Galatasaray et Fenerbahçe, entre ses supporters fanatiques et son ambiance inégalable. Cependant, cet affrontement est aussi régulièrement marqué par des combats entre fans tournant parfois au drame. À Istanbul, le derby du Bosphore se joue avant tout avec le cœur, avec la rage de vouloir toujours dépasser le voisin situé sur l’autre rive. Entre débats sociétaux, mouvements sociaux et indépendance de la Turquie, retour sur un match aux enjeux multiples.

Genèse d’une rivalité centenaire

Octobre 1905, Istanbul Ali Semi Yen étudie alors au lycée Galatasaray, le lycée français d’Istanbul destiné aux classes favorisées. En parallèle de ses études, il joue régulièrement au football avec ses collègues de classe, et vont décider de créer une véritable équipe pour jouer des matchs plus régulièrement. Après avoir choisi plusieurs noms possibles pour cette équipe, ils décideront d’appeler cette équipe Galatasaray, d’après le nom de leur lycée.

“Galatasaray vient d’un lycée privé, contrairement à la plupart des fans. Cela est problématique, les dirigeants s’éloignent des supporters et nous traite comme des enfants.”

Mehmet Aktop, président de ultrAslan, le plus grand groupe de fan de Galatasaray

Deux ans plus tard, Fenerbahçe fut créé, à la différence que ce club est directement issu des quartiers populaires d’Istanbul. Cependant, cette équipe jouait déjà de manière non-officielle depuis 1899 avec le surnom de “Siyah Çoraplılar” (« Ceux en chaussettes noires »), en référence aux chaussettes qui étaient salies par les joueurs après un match dans la terre. Fenerbahçe eut une telle popularité que la ville d’Istanbul n’a eue d’autres choix que de construire un stade en 1908 pour que tous les supporters puissent assister aux matchs de cette équipe populaire.

D’un point de vue géographique, les installations de Fenerbahçe sont situées sur la rive du côté asiatique d’Istanbul, alors que celles de Galatasaray sont sur la rive européenne. Cela donna à cette rencontre le nom de derby intercontinental, ou encore derby du Bosphore, Istanbul étant situé sur le détroit du Bosphore. La première rencontre entre les deux géants turcs eut lieu en 1909, dans un climat d’amitié qui aurait rendu fier Pierre de Coubertin.

Le premier derby du Bosphore, opposant Galatasaray et Fenerbahçe. (Crédits : Eurosport)

De match amical à affrontement sanglant

Lors de la chute de l’empire ottoman, il y eut une première fracture sociale entre les deux clubs. En effet, Fenerbahçe était perçu par une partie de la population comme le club ayant soutenu l’indépendance de la Turquie, face à Galatasaray qui aurait eu une position plus attentiste. Les deux clubs ont ensuite eu une importance grandissante dans la construction sportive et culturelle dans une Turquie naissante. Néanmoins, ces tensions restèrent discrètes, jusqu’à un triste jour de février 1934.

Le vendredi 23 février 1934 Galatasaray et Fenerbahçe s’affrontent au cours du dernier match de la saison, déterminant pour le titre de champion de Turquie. Alors qu’aucune des deux équipes n’avaient encore marqué, les esprits s’échauffent que ce soit sur le terrain ou dans les tribunes jusqu’à ce qu’une bagarre éclate entre les joueurs créant un chaos à base de coups de poings, cris et autres insultes. L’arbitre n’a alors d’autres choix que d’arrêter le match, et la ligue décidera de surprendre la plupart des joueurs, allant d’une suspension de quelques mois à la radiation à vie. Dès lors, le ‘Kıtalararası Derbi’ (Derby Intercontinental) devint une rencontre à tension, chaque équipe n’oubliant pas cette rencontre violente.

Photo de l’affrontement entre les joueurs. (Crédits : turkfutbolu.net)

Le règne d’Istanbul sur le football turc

Dans les années suivantes, le derby continua d’être aussi tendu, les deux clubs se rencontrant régulièrement en championnat turc amateur. En 1959, est créée la 1.Futbol Ligi, l’actuel Süper Lig, ce championnat d’abord réservé aux villes d’Ankara, Izmir et Istanbul fut le nouveau terrain de jeu pour Fenerbaçhe et Galatasaray. Les deux clubs stambouliotes se sont ainsi partagé les titres de champion de Turquie tout au long des années 60 et 70, avec toujours le derby du Bosphore comme rencontre phare au cours de chaque saison.

“Pour un sympathisant de Fenerbahçe, perdre contre Galatasaray c’est un très grand malheur. Il souhaiterait mourir plutôt que de perdre contre Galatasaray”

Kamel Belgin, correspondant FIFA en Turquie

Après une décennie 1990 et le début des années 2000 dominées majoritairement par Galatasaray dans la Turquie entière, les Canaris Jaunes de Fenerbahçe accueille un nouveau président en la personne de Aziz Yildirim en 1998. Celui-ci construira un nouveau projet et décida d’acheter des joueurs au nom réputés afin de créer une équipe compétitive. Cette mentalité permis au club Stambouliote de revenir dans la lutte face à Galatasaray et de pouvoir participer à la coupe aux grandes oreilles. Ils ont ainsi pu avoir de belles épopées européennes allant jusqu’en quart de finale et en battant notamment le Séville de Dani Alves et Seydou Keita.

Le Fenerbahçe de Roberto Carlos / Crédits : fenerbahce.org

Les fans des deux clubs se sont pourtant réunis ces dernières années lors des manifestations de Gezi en 2013. Ces mouvements sociaux ont eu lieu après qu’un groupe écologiste s’oppose à la destruction d’un parc, et ont mené à une série de défilés contre le pouvoir en place. Les supporters des deux géants turcs se sont alors liés pour protester face au gouvernement Erdogan, et à la répression policière accompagnant ces démarches.

Finalement, comment peut-on évoquer le derby du Bosphore sans parler de son ambiance somptueuse ? Depuis sa création, chaque rencontre est un feu d’artifice, au sens littéral comme figuré. Le combat est autant sur le terrain que dans les gradins, et chaque rencontre allume dans l’oeil du fan de football la flamme de l’émerveillement face à un tel spectacle. Les fans de Galatasaray comme ceux des Canaris jaunes inventent toujours des moyens plus créatifs pour enflammer le stade. On ne parle pas ici d’un match lambda, mais bel et bien du plus grand derby d’Europe.

Ainsi, le derby intercontinental est avant tout une rencontre entre deux peuples prêts à tout pour dominer Istanbul, même si Başakşehir et Beşiktaş viennent régulièrement jouer les trouble-fêtes. Cette formidable célébration du football populaire est souvent synonyme de spectacle pyrotechnique et de chants guerriers, les dérapages restants rares. À Istanbul, le football reste roi entre joueurs de légende et ambiance inégalable.

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :