A l’heure où nous écrivons ces lignes, Daniil Medvedev occupe toujours la place de numéro 2 mondial. Une sacrée performance dans le tennis actuel quand on connaît la densité du circuit ATP en ce moment, avec l’affirmation de la Next Gen, l’éclosion de jeunes talents et la présence indéfectible des trois monstres Djokovic, Nadal et Federer qui occupent encore tous trois le top 10.
Pourtant, l’étau se resserre autour de Medvedev, Tsitsipas et Zverev semblent s’affirmer sur terre battue alors que le natif de Moscou peine à trouver ses marques sur cette surface. Pire encore, le Russe ne semble vraiment pas apprécier cette surface… En atteste ses derniers matchs et son début de saison sur ocre assez médiocre. On ne peut en effet pas dire que Medvedev ait envoyé un message significatif à la concurrence en ce début de saison sur terre battue, et ce ne sont pas les tournois précédents qui infirmeront la tendance. Absent à Barcelone et Monte-Carlo où il avait pourtant atteint la demi-finale en 2019, Daniil Medvedev s’était en revanche aligné aux deux Masters 1000 de Madrid et Rome. Une victoire poussive mais encourageante contre Alejandro Davidovich Fokina au premier tour de Madrid, puis une défaite frustrante au tour suivant contre Christian Garin 6/4, 6/7, 6/1. A Rome, le longiligne Russe n’avait pas bénéficié d’un premier tour facile avec l’affrontement contre son compatriote Aslan Karatsev. S’en est résulté une défaite cinglante 6/2, 6/4 en un peu plus d’une heure de jeu. Le numéro 2 mondial livrant un match symptomatique de son début de saison sur terre battue, sans réelle solution sur la filière longue, beaucoup d’erreurs inhabituelles pour lui, un service moins performant sur la surface et une propension coupable à s’agacer rapidement…

Mais qu’est-ce qui cloche chez le Russe sur terre battue ? Déteste-t-il réellement cette surface ? La question semble trouver sa réponse dans l’attitude du joueur sur le court ces derniers temps où il est apparu frustré sur cette surface, ne trouvant pas les bonnes trajectoires ni le rythme, exprimant sa frustration par de la colère et des signes d’agacement qui ne trompent pas. Contre Aslan Karatsev à Madrid, c’est une véritable commedia dell’arte à laquelle le public espagnol a pu prendre part, avec Medvedev déguisé en Arlequin. Perdant le fil des jeux et le fil rouge du match, le Russe a fini par littéralement dégoupiller et perdre ainsi ses nerfs.
« Comment ne pas m’énerver contre cette surface ? », s’est d’abord emporté le numéro 2 mondial.
Medvedev a poursuivi sur le même ton lors d’un changement de côté : « Vous aimez, vous, être dans la saleté comme un chien ? Je ne juge pas », a-t-il lancé avec l’arrogance qu’on lui connaît. Avant de servir pour rester dans le match, à 5-3 dans le deuxième set, Medvedev s’est tourné vers Gerry Armstrong, le superviseur du tournoi, et lui a demandé une étonnante faveur : le disqualifier. « Ce serait mieux pour tout le monde », a soufflé le Moscovite, visiblement à bout mentalement. Une scène cocasse qui a pu faire sourire mais qui suscite également bien des interrogations.
Paradoxalement, c’est sur cette même surface que Daniil Medvedev avait pour la première fois de sa carrière battu Novak Djokovic… Il y a un peu plus de deux ans de cela, il battait le numéro un mondial 6/3, 4/6, 6/2 dans un match maîtrisé mentalement, avant de finalement s’incliner contre Dusan Lajovic. Mais celui qui occupe actuellement la place de numéro 2 mondial n’a jamais confirmé ses dispositions sur ocre, lui qui avait été plutôt facilement écarté au premier tour du dernier Roland Garros par Marton Fucsovics 6/4, 7/6, 2/6, 6/1. Par la suite, le Russe avait lancé la mise en route et effectué une grosse fin de saison sur dur pour notamment glaner le titre le plus important de sa carrière aujourd’hui avec le tournoi des maîtres remporté en Novembre dernier, avant de remporter le tournoi de Melbourne et s’incliner en finale de l’Open d’Australie face à Djokovic.
C’est bien sur terre battue que semble coincer le moscovite aujourd’hui, alors même que la Next Gen incarnée en ligne de mire par son ami Andrey Rublev, Zverev et Tsitsipas s’affirme encore un peu plus. Si bien qu’une différence notable apparaît avec une plus grande capacité d’adaptation de ces joueurs sur terre battue quand le dernier finaliste de l’Open d’Australie coince véritablement. Même des joueurs de son gabarit tels que Sinner ou Berrettini s’adaptent aujourd’hui sur cette surface et ne pâtissent pas d’un déficit physique ou d’une carence liée à leur longiligne silhouette.

Si l’on regarde l’ensemble de ses résultats sur terre battue, sa demi-finale à Monte-Carlo de 2019 pourraît s’accaparer à une microscopique éclaircie dans un tableau bien sombre… Beaucoup de first pour le Russe sur tournoi engagé sur terre battue, beaucoup trop pour la trempe d’un joueur comme Medvedev. Lequel offre pourtant un des meilleurs palmarès de sa génération avec trois titres en Masters 1000, un titre au Masters, un ATP 500 acquis à Tokyo, et 5 titres en ATP 250. Si l’on y ajoute ses deux finales en Grand Chelem à l’US Open et l’Open d’Australie, on comprend mieux pourquoi Daniil Medvedev reste encore un joueur solidement installé dans le top 10. Plus que solidement même puisque seul Novak Djokovic se trouve actuellement mieux classé que lui. Mais un indicateur ne trompe pas, une similitude à tous ces résultats notables et titres précités est frappante, tous acquis sur dur (indoor et extérieur). De sorte que le joueur Russe semble encore trop peu polyvalent sur les autres surfaces y compris sur gazon où il n’a jamais performé encore. Un talon d’Achille qu’il va devoir s’atteler à combattre pour perdurer dans cette partie du classement.

Allergique à la terre battue, il semblerait bien que oui. Mais s’apitoyer sur son sort et se renfermer sur lui-même ne ressemble pas à un joueur comme Medvedev aussi résilient, solide mentalement lors des moments importants d’un match. C’est bien dans la persévérance et la concentration que Medvedev trouvera les clés, celles-là même qui le sortiront du bourbier terrien actuel dans lequel il s’est fourré tout seul. Habitué aux filières longues et doté d’une excellente régularité en fond de court, le Russe sait manier à sa main n’importe quel adversaire. Pas vraiment habitué aux services volée ni aux variations soudaines, sa faible propension à s’adapter à la terre battue est un mystère aujourd’hui tant il semble avoir le jeu pour pouvoir assoir son jeu et marquer sa domination, a fortiori face aux joueurs inférieurs à lui tennistiquement. La trajectoire différente que prend la balle sur terre, la plus faible intensité des balles sur cette surface le gêne pour l’instant, et cela se traduit souvent avec Medvedev sur le court par de la frustration ou l’agacement, ce qui le fait sortir indéniablement de ses matchs. Son match contre Christian Garin était un autre indicateur de sa faiblesse à évoluer sur terre, lâchant pratiquement le dernier set perdu 6/1 et n’essayant jamais de se remobiliser.
Alors que la concurrence s’étoffe sur le circuit, ce dernier n’a peut-être jamais été aussi dense depuis plusieurs années, la carence de Medvedev sur terre battue interroge et pourrait même à terme redistribuer les cartes. Lui qui paraissait au-dessus des autres joueurs de la Next Gen sur surface rapide, apparaît dépassé sur cette surface si particulière qu’est la terre battue et qu’il ne maîtrise pas.
Daniil Medvedev connaît ses limites actuelles et va devoir redoubler d’effort et de travail pour se mettre à niveau, et enfin performer sur terre battue. C’est même la condition sine qua none pour ne pas connaître le syndrome Andy Roddick et ainsi construire une polyvalence multi-surfaces, un élément déterminant qui devrait départager le futur des Grand Chelem entre lui-même, Tsitsipas, Zverev et Rublev.