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EURO 2020 : Pologne, championne d’Europe du hooliganisme

« Si le football nous intéressait, nous serions devenus footballeurs » est une phrase que l’on retrouve sur beaucoup de communications des ultras et hooligans polonais. Comme un rappel que, s’ils participent aux matchs de football dans les tribunes, ce n’est pas ce sport qui est leur passion première.

Complètement anti-système

En Pologne, les supporters sont souvent contre leurs régimes. Ainsi, pendant la seconde guerre mondiale, le derby de Cracovie a continué malgré l’interdiction de matchs de football. Dans des lieux et dates tenus secrets, il attirait pourtant des milliers de supporters bravant les ordres des envahisseurs allemands aux périls de leurs vies.

Par la suite, ils sont devenus anti-communistes quand la Pologne appartenait au bloc de l’Est. Les supporters ayant eu l’impact le plus important sur le régime sont certainement ceux du Lechia Gdańsk. En effet, c’est dans cette ville qu’est né Solidarność (solidarité en français) mené par Lech Wałęsa. Il s’agissait d’un syndicat opposé au régime qui a été créé suite aux accords de Gdansk le 31 août 1980. Ces accords faisaient suite à une grève générale sur le chantier naval de la ville.

Bien rapidement, le stade municipal de la ville est devenu un lieu d’expression de la population locale. Le pic du rapport de force s’est déroulé le 28 septembre 1983. Ce jour-là, le leader du mouvement d’opposition s’est montré dans les tribunes à la mi-temps d’un match de coupe des vainqueurs de coupe opposant le club Polonais à la Juventus de Turin. Alors que les tribunes scandent des « Solidarność ! » lors de son apparition, le gouvernement perd le contrôle. Sachant la retransmission internationale, il coupe le son pendant toute la seconde mi-temps.

Lech Valeza au cours du match Lechia Gdańsk-Juventus le 28/09/1983

Pendant toute la période avant la chute de l’Union Soviétique, les jours de match étaient craints de la police locale. En effet, face aux milliers de supporters, ils ne faisaient pas le poids et ne pouvaient les empêcher de scander leurs slogans anti-régime.

Mais la chute de l’URSS n’a pas changé la position des hooligans polonais vis-à-vis de leur pouvoir. Tout d’abord ravis de la démocratie, le peuple déchante rapidement quand il fait face à la pauvreté et au chômage. La violence se met alors à flamber.

De nos jours, ils sont très nationalistes et gardent un côté anti-communiste très marqué à cause de leur passé. Ils voient d’un mauvais œil le rapprochement avec l’Europe. Ils votent principalement extrême-droite. Mais pour l’instant les tentatives de récupération politique du parti Law and Justice (PiS) ont toutes échouées. En effet, les supporters pencheraient encore plus à droite que le parti qui les met en avant pour leur nationalisme.

La professionnalisation du hooliganisme

Ce qui était principalement des rivalités avec la police et le Wisla Krakow (Wisla Cracovie) pendant la période soviétique se transforme peu à peu en mouvement hooligan basé sur l’exemple des hooligans anglais avec la naissance de rivalités. Pendant l’ère soviétique, la police aux bottes du gouvernement fait les frais des supporters. Concernant le Wisla, le club était celui du gouvernement soviétique. Ses supporters étaient surnommés les chiens comme pouvaient l’être les policiers à l’époque. Il avait donc à peu près l’ensemble des tribunes des autres clubs contre lui.

Lors de la chute de l’URSS, le phénomène s’accélère avec l’augmentation globale de la violence dans le pays. Les années 90 sont le point d’orgue du hooliganisme polonais avec des incidents réguliers et une police incapable de gérer la situation. La police reste d’ailleurs souvent liée aux heurts avec les supporters. En effet, celle-ci reste particulièrement violente et se retrouve souvent sur le chemin de polonais désireux de se battre.

Mais rapidement, chacun va pourtant vouloir montrer qu’il est meilleur combattant que le club voisin. En Pologne les choses s’organisent. Les différentes firmes de hooligans, qui regroupent des personnes issues de toutes les tranches de la population, commencent à s’entrainer pour être plus fortes que celles concurrentes. De nos jours, celles-ci vont jusqu’à faire des entrainements, voir camps d’entrainement, faisant du hooliganisme un véritable mode de vie visant à être les plus forts.

Entrainement de hooligans polonais

Et après des années à se battre dans les stades ou se traquer dans les villes, les hooligans décident de se retrouver en dehors. En effet, après des années à être dépassées, les forces de l’ordre reprennent un peu le contrôle de la situation les jours de match à la fin des années 90.

C’est presque un championnat des hooligans qui se met en place en parallèle de l’Ekstraklasa, nom de la 1ère division polonaise. Ces combats appelés ustawki se déroulent loin de la foule, dans des bois. Ils permettent l’affrontement d’une ou plusieurs firmes selon des règles fixées en amont. Dans un entretien à Vice un hooligan disait : « Pour le hooliganisme, le Lech est en tête, ils n’ont perdu qu’une seule fight en 25 ans. » ou encore « Ça sert à quoi de se battre si on n’est pas à nombre égal ? C’est pas comme ça qu’on va déterminer quelle firme est la plus forte. ». Ce discours montre qu’un classement officieux existe.

Une tentative d’assainissement du mouvement

Néanmoins, les heurts sont restés encore longtemps présents dans les stades. En effet, des tentatives pour diminuer les mouvements ont été tentées. Elles se sont toujours heurtées au faible niveau du football polonais. Il est donc difficile d’attirer des spectateurs au match de championnat. Pour un pays de sa taille, la Pologne produit peu de joueurs de haut-niveau. Dans un rapport de l’Observatoire du football CIES datant de 2017, elle était classée 41ème des exportations de joueurs, avec 84 joueurs jouant à l’étranger. Elle se classait alors derrière des pays avec une population bien moins importante comme le Monténégro ou la Suisse, qui ont respectivement 60 et 4 fois moins d’habitants.

De plus, comme dans beaucoup de championnats “mineurs”, ses pépites partent jeunes, ne permettant pas aux spectateurs de les voir évoluer longtemps en Ekstraklasa et au niveau du football national de s’améliorer. Szczęsny a quitté la Pologne à 16 ans, le trio Piszczek, Lewandowski, Błaszczykowski à 22 ans, Milik qui évolue à l’Olympique de Marseille avait quant à lui quitté son pays à 18 ans.

Devant organiser l’Euro 2012 en binôme avec l’Ukraine, la Pologne s’est retrouvée mise en face de ses responsabilités. Les heurts réguliers entre hooligans et avec la police laissaient planer le doute sur une bonne organisation de la compétition. Souvent dépassée, c’est à cette époque qu’elle a commencé à prendre à bras le corps le problème, après bien des pays.

Nouveaux stades modernes construits pour l’occasion, caméra de reconnaissance faciale dans ceux-ci ont fait fuir les derniers hooligans qui se rendaient encore dans les stades pour s’y battre. Ce changement soudain d’attitude vis-à-vis des hooligans tout comme des ultras a eu pour conséquence de les voir s’opposer fortement à l’Euro 2012.

Mais ce calme relatif dans les stades n’a pas éteint le mouvement. Les combats ont juste été délocalisés loin de la police et des stades. Le mouvement est devenu plus caché, mais il reste présent dans de nombreuses villes. Les combats les jours de match ne s’arrêtent pas en semaine. A Cracovie par exemple, il est recommandé de dire que l’on ne s’intéresse pas au foot si on nous pose la question de l’équipe que l’on supporte.

Dans cette ville surnommée la Ville aux couteaux, la violence est partout et elle est particulièrement liée au hooliganisme. Une guerre de territoire est menée dans la ville, comme dans d’autres villes polonaises, avec des blocs d’immeubles sous le contrôle de Wisla Krakow et de ses Wisla Skarks ou du Krakovia et ses anti-Wisla (aussi appelés Jude Gang – Gang juif en français). Il est alors conseillé de connaître les territoires avant d’arborer les couleurs de l’un ou l’autre des clubs pour se balader en ville.

Graffitis en l’honneur du Wisla Krakow et Anti-Wisla (AW et étoile au centre) sur un mur de Cracovie

De nos jours, les hooligans sont régulièrement accusés de trainer dans le crime organisé (drogue, trafics, vols…), parfois même entre firmes rivales. En effet, habitués à se battre et entrainés pour ça, ils font une bonne “main d’œuvre”.

Une trêve internationale ?

Pendant des années, l’équipe de Pologne pratiquait un jeu médiocre. Cela contribuait à n’attirer aux matchs de l’équipe nationale que les hooligans désireux d’en découdre et non un public familial cherchant du divertissement. Ses matchs étaient l’occasion pour les hooligans de se battre pendant des heures entre eux en tribune.

Le point d’orgue de cette situation s’est produit au cours d’un match contre l’Angleterre en 1993. Quelques heurts se produisent lors de l’arrivée des hooligans anglais encore très actifs dans les années 90. Mais, pendant le match, ceux-ci sont uniquement témoins de la bagarre générale entre les différentes firmes de hooligans polonais et contre la police. Celle-ci finit même par fuir le stade. C’était la mort d’un hooligan du Pogoń Szczecin tué avant le match d’un coup de couteau par des supporters du Krakowia qui avait mis le feu aux poudres.

Heurts pendant le match Pologne-Angleterre le 29 mai 1993 qualificatif à la coupe du monde 1994.

Cette situation durera pendant plus d’une décennie, malgré des tentatives ratées de rapprochement des différents groupes.

C’est dans le début des années 2000 que la situation évolue. En effet, le niveau de l’équipe nationale s’améliore. Celle-ci est qualifiée pour la coupe du monde 2002 et 2006, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de 10 ans. Les Aigles Blancs se qualifient également pour le premier euro de leur histoire en 2008. Ces succès attirent un nouveau public dans les stades. Celui-ci plus familial et moins violent va peu à peu pousser les hooligans hors des stades.

Cet effet s’intensifie à la fin des années 2000 et dans les années 2010 avec l’arrivée dans l’équipe nationale du duo Robert Lewandowski, Jakub Błaszczykowski. Faisant les beaux jours du Borussia Dortmund jusqu’en 2014, ils ont largement contribué à l’augmentation de l’intérêt pour leur sélection, et cela malgré des résultats inconstants.

Robert Lewandowski et Jakub Błaszczykowski, accompagnés de Lukasz Piszczek sur la photo, sont les joueurs les plus capés de l’équipe de Pologne et ont fait les beaux jours de leur sélection (Kuba Atys / Agencja Gazeta)

Leur meilleur résultat depuis des années se déroule avec les deux joueurs dans leur rang. En 2016, ils atteignent les ¼ de finale de l’Euro avant de s’incliner aux tirs au but face au Portugal (1-1 à la fin des prolongations), futur vainqueur de la compétition. Leur parcours avait d’ailleurs été un franc succès : phase de qualification terminée à la 2ème place à 1 point de l’Allemagne, 2ème de la phase de poule à égalité de points avec l’Allemagne, victoire aux tirs au but face à la Suisse (1-1 à la fin de la prolongation).

Sur la même période, les hooligans du pays signent l’ « accord de Poznan » en 2004. Le traité vise à cadrer les différents mouvements de hooligans du pays. Il interdit par exemple l’usage des armes blanches et définie les conditions de combat. Seuls les deux clubs de Cracovie ne sont pas signataires de celui-ci. Dans cet accord est également présent la notion de trêve lors des matchs de l’équipe nationale. Cela permet à chacun d’en profiter en paix. Néanmoins, les hooligans ne se déplacent pas en groupe pour soutenir leur équipe nationale. La plupart sont contre les dérives associées à l’équipe nationale : augmentation du prix des places depuis la construction d’un stade qui accueille les matchs de la sélection en 2012. Ceux qui y assistent sont souvent issus de firmes de petites tailles ou des personnes s’y rendant en famille. Il peut encore arriver qu’ils posent problème mais les phénomènes sont rares.

Malgré leur sacrée réputation, il y a peu de chance que les hooligans polonais terrorisent l’Euro cet été. Peu intéressés par la compétition, ils ne leur arrivent que très rarement d’être du déplacement en groupe pour se battre. Ainsi, il y aura plus de chance de voir des buts Robert Lewandowski que des combats dans toute l’Europe, même si le risque zéro n’existe jamais les concernant. Néanmoins, ceux-ci continueront d’affronter les clubs rivaux pour prouver que malgré la réputation des Russes, en Europe, ce sont bien eux les n°1.

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