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Sega di Ala, le nouveau défi

Les lendemains de journées de repos sont toujours des moments particuliers sur les grands tours. Des moments stratégiques où parfois le corps réserve quelques surprises à son propriétaire. Après les enchainements d’étape, s’arrêter soudainement fait gonfler les jambes. Et il est parfois difficile de remettre la machine en route. Ce d’autant plus si les organisateurs vous sortent le grand jeu niveau profil… Et vous savez quoi ? Pour cette 17ème étape, ceux du Giro ont eu de la suite dans les idées. On vous dit tout.

17ème étape de ce Giro 2021 : Canazei-Sega di Ala. Nouvelle arrivée au sommet sur les routes transalpines.

Derrière le repos, la tempête

Ce lundi 25 mai, les coureurs se reposaient, donc. Un repos bien mérité après 2 semaines de course acharnée qui ont vu Egan Bernal éclabousser ce Giro 2021 de tout son talent. 2ème à Ascoli Piceno, vainqueur à Campo Felice, 4ème au Zoncolan (mais vainqueur des meilleurs) et enfin à nouveau victorieux hier pour l’étape reine – malheureusement escamotée de deux de ses montées tant attendues – vers Cortina d’Ampezzo. Il devançait d’une petite trentaine de secondes un Damiano Caruso qui n’en finit plus de nous surprendre et surtout un Romain Bardet retrouvé dans l’ambiance dantesque d’un grand rendez-vous sur un grand tour. Encourageant et de quoi nous remplir d’espoir à l’aube de cette dernière semaine. Même si depuis le chrono de Turin, Bernal prend constamment du temps à ses adversaires. Se construisant un petit matelas. Et une immense confiance. L’ascendant psychologique est pris, pas de doute là-dessus.

Replacé au général en reprenant du temps à tous ses adversaires hors Caruso et Egan, Bardet pointe toutefois à la septième place, à 5’02 du solide leader colombien. Hugh Carthy (3ème) n’a plus qu’une minute et vingt secondes d’avance sur lui. Entre ces deux-là, Vlasov, Yates et Ciccone. Un Bernal impérial donc, mais derrière, un tir relativement groupé pour lequel tout semble encore possible dans le top 10. Car s’il ne reste que 5 jours de course, la route est pourtant encore longue avant de pouvoir raccrocher les vélos à Milan. 3 arrivées à sommet. Et le chrono final dans les rues de la capitale lombarde. Tout commence finalement aujourd’hui, avec un menu tout-compris pour les coureurs.

Route étroite, bon bitume, sur le chemin vers Sega di Ala, la capricieuse petite nouvelle sur ce Giro 2021…

L’étape s’élancera ainsi de Canazei, petite commune du Trentin-Haut-Adige, et déroulera ses 193 kilomètres, plutôt descendants dans un premier temps, avant d’envoyer deux montées violentes dans les 50 dernières bornes qui donneront aux coureurs le terrain idéal pour se faire la guerre, si toutefois telle était leur envie. La première, la montée du Passo di San Valentino avec 14,8 kilomètres à 8% de moyenne (7,8 exactement) et un passage à 14%. Ils basculeront ensuite dans la descente, feront un passage très bref en vallée (moins de 7 kilomètres) avant de découvrir un petit nouveau – mais qui a tout d’un grand – sur le Tour d’Italie : la montée vers Sega di Ala !

Sega di Ala, perle du Trentin

C’est donc la petite nouvelle sur ce Giro 2021. Et vu ses mensurations, on s’en pourlèche les babines. Impatients que l’on est de voir nos héros sur roues en découdre dans ses pentes violentes et intrépides. Car disons-le tout de suite, cette montée a tout pour nous séduire. Et offrir un grand spectacle.

37ème Tour du Trentin 19 avril 2013 : Arco – Sega di Ala. Victoire de Vincenzo Nibali (© FOTO DANIELE MOSNA)

C’est en 2013 que cette dernière fait son apparition dans le paysage cycliste transalpin. Sur le Tour du Trentin précisément – depuis renommé Tour des Alpes. Elle s’offrait alors, après une étape spectaculaire, à un illustre coureur sicilien répondant au doux nom de Vincenzo Nibali. C’est en effet le requin qui, le premier, sut conquérir son cœur, farouche et imprenable. Plus tard cette année-là, il s’en irait gagner le Giro. Évidemment le temps a passé, c’était il y a déjà 8 ans, et on l’imagine mal rééditer cette performance aujourd’hui. Même s’il ne faut jurer de rien, il n’est plus le coureur qu’il fut et la concurrence aura à cœur de ferrailler dru. Elle aura de quoi faire. Car à l’inverse du Squallo de Messine la montée, elle, n’a pas bougé d’un iota. Toujours impressionnante. Figée dans un bloc fascinant. Nichée dans ce Nord-Est italien. Dans ce Trentin dont on sait qu’il regorge, outre les paysages magnifiques, de montées sauvages et autres cols dévastateurs.

Elle apparaît d’ailleurs dans la liste des « 23 grandes montées du Trentin » en compagnie d’autres de ces semblables. Une montée qui en a surpris – et en surprendra – plus d’un.

Des mensurations vertigineuses

Entrons dans le détail de cette montée, inconnue du plus grand nombre. La montée s’élance ainsi de Sdruzzinà, sur les bords de l’Adige, et s’élève progressivement d’abord, brutalement ensuite, jusqu’à Sega di Ala où sera jugée l’arrivée de cette 17ème étape du Giro. 11,5 kilomètres d’ascension au total. Pour une élévation de 1100 mètres. Délivrant ainsi une pente moyenne de 10,5%.

Simon Yates et ses coéquipiers de la Team BikeExchange dans la montée vers Sega di Ala le 24 avril dernier lors de la reconnaissance de cette 17ème étape du Giro 2021 entre Canazei et Sega di Ala (Copyright foto Remo Mosna)

Le passage le plus extrême interviendra juste après un lieu nommé la Malga Riondera. Là, les coureurs feront face à un mûr. 1,8 kilomètres affichant une moyenne autour des 18% et une pointe qui fera tomber les 25%. On aura alors déjà encaissé 7 kilomètres de montée très difficiles – dont un passage très raide après seulement un kilomètre – et il en restera quatre et demi dont ce passage infernal, avant un final un peu plus doux.

On aura alors probablement dans nos mains et sous nos yeux de nouveaux enseignements précieux sur les états de forme respectifs à l’entrée de cette troisième et dernière semaine. Bernal tiendra-t-il le rythme jusqu’à Milan ? Caruso parviendra-t-il à maintenir le Team Bahrein-Victorious sur le podium, malgré le retrait forcé de Landa ? Bardet confirmera-t-il après sa belle étape vers Cortina d’Ampezzo ? Pour intégrer le top 5 ? Le top 3 ? Et Yates ? A-t-il entamé une chute inexorable vers le bas au classement général ? Ou y trouvera-t-il un terrain propre à se refaire et amorcer un mouvement vers le haut ?

« Pour être honnête, je ne pensais pas que Sega di Ala serait si dure. Il y a des sections vraiment raides, c’est une montée qui peut faire des différences »

Simon Yates au sujet de Sega di Ala – CyclingNews

Il est en tout cas de ceux qui avaient bien anticipé le caractère stratégique de cette ascension. Juste après sa victoire sur le Tour des Alpes, il avait profité de sa présence dans la région pour venir repérer les deux montées de cette étape. À commencer par celle finale vers Sega di Ala. Il en était ressorti impressionné : « Pour être honnête, je ne pensais pas que Sega di Ala serait si dure. Il y a des sections vraiment raides, c’est une montée qui peut faire des différences. L’ascension précédente vers San Valentino devra aussi être abordée avec précaution et ça va peser dans les jambes alors qu’on s’approchera du final ». Avant d’ajouter, déjà projeté vers le Giro : « Je suis très content d’avoir saisi cette chance de venir voir le parcours en personne car cela pourrait être crucial pour l’issue du Giro 2021 »…

Nous étions en avril quand il déclarait cela. Un mois s’est écoulé depuis. Un mois au cours duquel notamment les deux premières semaines du Tour d’Italie ont délivré quelques vérités. Pour autant, rien n’est fait et tout peut encore changer. Équilibre précaire. Les coureurs se présentent aujourd’hui face à ce défi Sega di Ala. Menaçant. Ils arrivent prudents, humbles, mais en même temps conquérants et pleins d’ambition. Avec en prime cette inconnue qui plane après la journée de repos, souvent annonciatrice de revers et défaillances inattendus… Nous attendent des sourires, mais aussi probablement des larmes. C’est D-Day. Le destin frappe à la porte. Laissez entrer les champions !

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