C’est dans son adn. L’Allemagne est synonyme de rigueur, de détermination et de travail. En témoigne sa devise Einigkeit und Recht und Freiheit (Unité, Droit et Liberté). Elle peut paraître austère pour nous français qui plaçons la Liberté avant tout. Mais, dans la “Kultur” germanique, la Liberté est une conséquence de l’Unité et du Droit, non une cause. Ce sont ces valeurs qui font de la Nationalmannschaft l’équipe qui répond toujours présent dans les compétitions internationales. La nation que toutes les autres veulent éviter. Celle qui effraie. Ce sont ces valeurs qui permettent à l’Allemagne de toujours répondre présent dans le grand rendez-vous. Toujours ? Et si cette édition 2020(21) de l’Euro était l’exception qui confirme la règle ?

L’Allemagne détient peut-être le plus gros palmarès au monde. 12 médailles mondiales : 4 fois championne du Monde, 4 fois finaliste et 4 fois troisième. 6 médailles européennes : 3 fois champion d’Europe, 3 fois finaliste et 3 fois demi-finaliste. Elle détient le record de participation à l’Euro (12 d’affilés). La Mannschaft est une machine réglée comme une horloge dont la régularité est exemplaire. Certains sont plus titrés (le Brésil a gagné une Coupe du Monde de plus) mais aucune nation ne peut rivaliser en termes de régularité au plus haut niveau.
La fin du cycle Löw
Comme s’il sentait que c’était le bon moment, comme s’il ne voulait pas faire l’année de trop. En ce début d’année 2021, Joachim Löw, sélectionneur de l’Allemagne depuis 2006, a annoncé qu’il quitterait son poste cet été, après l’Euro. Son mandat le conduisait pourtant jusqu’à la coupe du monde 2022 au Qatar. Loin du côté latin sentimental qui pousse certains à continuer une histoire jusqu’au bout (au risque qu’elle se termine mal), Löw sait que son déclin est déjà bien entamé et qu’il vaut mieux ne pas forcer les choses. L’histoire aura été de toute beauté. Adjoint de Jürgen Klinsmann lors de la coupe du monde 2006 à domicile, ils emmèneront l’Allemagne à la 3è place. Löw prend ensuite les rênes de la Mannschaft. Les résultats sont à la hauteur des attentes et l’équipe la plus titrée d’Europe ne fera jamais moins qu’une demi-finale (euros et coupes du monde compris), avec en point d’orgue le sacre mondial en 2014. A ce moment-là, l’Allemagne fait très peur. On se souvient du 7-1 infligé en demi-finale au Brésil, pays hôte de la compétition.

Seulement voilà, depuis ce sacre, les résultats des Aigles sont en baisse. A l’Euro 2016, ils sont battus par une France revancharde et conquérante à domicile, pour la première fois depuis la prise de fonction de Löw, l’Allemagne repart sans médaille. Deux ans plus tard, lors de la coupe du monde en Russie, pour la première de son histoire, la Mannschaft est éliminée dès la phase de groupe. Pire encore, elle finit dernière de son groupe, avec une seule petite victoire arrachée dans les arrêts de jeu contre la Suède, grâce un coup franc d’anthologie de Toni Kroos. Première du classement FIFA avant la compétition, l’Allemagne dégringole à la 15è place. L’humiliation est totale. Depuis, la Mannschaft a du mal à retrouver des couleurs. Efficace contre les nations plus faibles, l’équipe de Löw est à la peine quand l’adversité est au rendez-vous. Son année 2019 en témoigne : 8-0 contre l’Estonie, 6-1 contre l’Irlande du Nord mais une cinglante défaite 4-2 à domicile contre les Pays-Bas. Elle a même semblé toucher le fond en 2020 avec seulement 33% de victoire et une défaite 6-0 (!!!) contre l’Espagne en Ligue des Nations. De l’autre côté du Rhin, nombreux sont ceux qui demandent la tête de Joachim Löw.
A sa décharge, le tacticien a dû faire face à un large changement de génération. Des champions du monde 2014, ils ne sont plus que 4 et seulement 7 joueurs présents à l’euro 2020 ont participé à celui de 2016. Les Lahm, Mertesacker, Schweinsteiger, Klose, Podolski, Özil, Khedira… tous champions du monde et tous retraités ou presque. Plus que des leaders techniques, Löw a perdu ses leaders de vestiaires et tout le talent des jeunes Leroy Sané, Timo Werner ou Kaï Havertz ne peut remplacer une telle expérience et cette force de caractère qui faisait la force de cette Mannschaft championne du monde au Brésil.
Le retour des tontons flingueurs
Après le fiasco de 2018, Joachim Löw avait fait le choix de tourner la page de l’équipe championne du monde en décidant de ne plus sélectionner Thomas Müller, Jérôme Boateng et Mats Hummels. Se faisant, il se prive de l’expérience de 246 sélections cumulées au moment où la jeune génération allemande en avait le plus besoin. Face à cette crise ou pour en éviter une pire, Joachim Löw a dû revenir sur ses positions. Il a en effet décidé de rappeler Hummels et Müller pour l’Euro. Si le premier n’a plus son niveau d’antan, il reste fiable et son leadership ainsi que son mental de compétiteur en font un indispensable lors d’une telle compétition. Et quand on parle de compétiteur, difficile de faire mieux que Thomas Müller. Parfois à la limite de l’arrogance, le meneur de jeu du Bayern dégage une confiance communicative ainsi qu’un esprit combatif qui manque aux aiglons. En témoigne la demi-finale gagnée 7-1 face au Brésil. Tandis que la plupart des joueurs allemands se disaient gênés d’infliger une telle humiliation au pays hôte, Müller en tirait une réelle satisfaction et avait déclaré n’avoir eu aucune pitié pour les brésiliens. Pire encore, il cherchait à enfoncer le clou encore plus. Cette méchanceté, cette hargne, cette pugnacité font cruellement défaut à la Mannschaft version 2021 et Müller ne se gênera pas pour sortir la boîte à gifles si les jeunes manquent de discipline.

Outre cet aspect mental indéniable, c’est dans le jeu que Müller aidera l’Allemagne. Au sommet de son art, le numéro 25 du Bayern Munich sort de deux saisons à plus de 20 passes décisives. Cette saison, en Bundesliga il a même réalisé un double-double avec 11 buts et 18 passes décisives. Peu de joueurs peuvent se targuer d’avoir une science du jeu au-dessus de celle de Müller. Avec ballon, le natif de Weilheim in Oberbayern est un maestro. Sans la balle c’est un véritable chien de garde. Toujours prêt à mordre les mollets des défenseurs adverses. Grâce à sa science du pressing ainsi qu’à un très haut volume de jeu pour un attaquant, il permet à son équipe de presser plus haut, de jouer plus haut et donc d’être plus offensif. Ça ne pourra être que bénéfique dans une formation où les attaquants peinent à être des menaces constantes (aucun ne dépasse les 15 buts en sélection). Cette même inefficacité a poussé Löw à rappeler Kevin Volland. Le buteur de Monaco amène de l’expérience et de la concurrence à un jeune Timo Werner qui, malgré sa récente victoire en Ligue des Champions traverse une saison difficile, marquée par une maladresse inouïe face au but.
Malgré le retour des vieux briscards, la sélection allemande reste très peu expérimentée. Sur les 26 joueurs appelés, 9 d’entre eux n’ont pas 10 sélections alors que seulement 5 en ont plus de 50. Et comme dit précédemment, seulement 4 ont connu le sacre de 2014 et 7 ont déjà participé à des phases finales en compétition internationale. De plus, face aux résultats décevants, Joachim Löw a souvent changé de tactiques et de titulaires, rendant impossible l’imagination d’un onze type pour démarrer l’Euro. Ce manque de continuité et d’expérience collective n’aide pas à améliorer l’alchimie sur le terrain.
L’inconnue tactique
La tactique de Joachim Löw est entourée de mystères. Autant par le dispositif que par les joueurs qui le forment. Le schéma privilégié par le coach allemand est un 4-3-3 classique. Il a aussi testé le 3-4-2-1 en Ligue des Nations mais sans succès. La présence de Müller pourrait pousser le tacticien à opter pour un 4-2-3-1. Ce schéma permettrait de mettre en place le dangereux quintet du Bayern : Kimmich-Goretzka – Sané-Müller-Gnabry. Mais comment se passer de Gundogan qui réalise de loin la meilleure saison de sa carrière (il est le meilleur marqueur de Manchester City, pas mal pour un milieu !). On peut aussi se demander si Kimmich jouera milieu ou latéral droit, tant ce poste pose question vu l’absence de candidat. On pourrait y retrouver Süle qui a donné satisfaction quand il a dépanné à ce poste au Bayern. Quid du positionnement de Müller ? Milieu offensif avec Werner en 9 ? Buteur pour densifier le milieu ou bien mettre le talentueux Havertz milieu offensif ou bien Goretzka au profil moins “flashy” mais plus complet ? Toutes ces questions sur l’organisation offensive se retrouvent aussi en défense. Kimmich, Süle ou un autre latéral droit ? Avec sa très belle saison, Rüdiger semble le seul qui a la certitude de jouer en charnière centrale… Beaucoup d’inconnues planent autour de cette Mannschaft. A l’heure où les cadors comme la France ou la Belgique connaissent leurs compositions à un ou deux joueurs prêt, l’Allemagne semble en retard à ce niveau là.

Oui, l’Allemagne est pleine de doutes et inexpérimentée. Oui, elle traverse sa période la plus délicate depuis bien longtemps. Mais la force de l’histoire et des valeurs allemandes feront toujours de la Nationalmannschaft un concurrent à la victoire finale. Personne n’aime affronter l’Allemagne, qu’elle soit en forme ou non. Moins conquérante, moins écrasante qu’en 2014 par exemple, il n’empêche que l’Allemagne fait toujours peur au moment de l’affronter. D’autant qu’une bête blessée n’a rien à perdre.