Stratégie

RPO: Tout savoir sur le “Pick & Roll” sauce NFL

L’idée de cet article, comme pas mal de mes idées, remonte à une soirée un peu arrosée. Entre deux discussions, je me retrouve avec un ami fan de NBA et nous décidons de comparer nos sports américains respectifs. Friand de vidéos sur Madden, il me questionne sur une action très utilisée dans laquelle le joueur peut à la fois courir et lancer et qui serait pratiquement indéfendable. Rapidement, je comprends qu’il parle de la Run Pass Option, ou RPO. Pour lui réexpliquer le concept, je prends l’exemple du Pick & Roll en NBA, cet enchaînement qui vise à mettre la défense dans l’embarras et profiter du dilemme posé. Si les deux idées se ressemblent, la RPO et le Pick & Roll diffèrent en un point majeur: leur popularité. Le P&R est, à l’heure actuelle, une composante, si ce n’est LA composante majeure du jeu offensif au basket, alors que sa cousine du ballon ovale reste reléguée au second plan et garde une image plutôt expérimentale. Alors qu’elles commencent à creuser leur trou, retour sur les trois lettres que vous risquez d’entendre de longues années.

La RPO: Un concept

Avant toute chose, il convient de définir que la RPO n’est pas une action isolée. C’est un concept, à partir duquel on peut imaginer une infinité d’actions. Ce concept est le suivant: l’attaque va, dans le même temps, exécuter une course et une passe. En se basant sur la formation de la défense ou sur la réaction d’un défenseur prédéfini, le QB devra décider de diriger le ballon vers l’option course ou passe. Le principe est donc d’aller chercher une situation avantageuse quelque soit l’opposition.

Plus concrètement, l’attaque se divise en deux groupes: ceux qui exécutent une course, et… ceux qui exécutent une passe. Pour la course, la ligne offensive va bloquer pour le RB selon un schéma classique (très souvent en outside ou inside zone). Les schémas à la passe sont beaucoup plus diverses (passe écran, passe courte, passe longue, etc,…) et dépendent vraiment des goûts du coordinateur offensif. Je reviendrai plus en détail sur les différentes options plus tard. Entre ces deux groupes, se trouve le QB qui doit décider de quel groupe est le plus avantagé numériquement. Comme dit plus haut, ce choix sera fait par analyse de la défense.

Passons à la pratique avec Lamar Jackson en professeur de TP:

L’action des Ravens se divise en une course faite pour avancer sur la gauche, alors que sur la droite le slot receveur court un tracé Slant derrière le Linebacker (n° 55). On remarque que ce LB n’est pas bloqué: c’est volontaire! Car s’il vient défendre la course, il libèrera un espace pour une passe entre le QB et son receveur. S’il ne veut pas libérer cet espace, il n’arrivera pas à temps pour défendre la course, et se bloquera lui-même. Sur l’action, il décide de suivre la course. Le QB des Ravens le voit et choisit donc la passe facile pour un gain de15 yards.

La RPO possède de nombreuses formes, mais celle-ci est une des plus communes: analyser la réaction instantannée d’un joueur précis pour qu’il ait tort quoi qu’il fasse.

Des bancs de la fac au monde professionnelle, l’évolution

Comme dans pour les autres sports US, le monde universitaire correspond à une antichambre du monde professionnelle, autant pour l’apparition de jeunes talents que d’idées de jeu. Il n’est donc pas rare de trouver la modernité chez les étudiants plutôt que dans l’élite. Comme pour beaucoup d’innovations, la RPO y trouve ses racines, bien que ses origines soient floues, puisque revendiquées par plusieurs coaches. La première forme de RPO semble remonter à Purdue en 2000, où le QB (un certain Drew Brees) devait lire la position du Outside LB avant le snap. Si celui-ci était à l’intérieur par rapport au slot receveur, Brees lançait une passe écran. S’il était à l’extérieur du slot receveur, le meneur donnait le ballon à son RB.

Bien plus au sud des Etats-Unis, dans l’Utah, en 2003: un nouveau coach du nom d’Urban Meyer découvre par hasard un nouveau type d’action à l’entrainement grâce son QB de l’époque, Alex Smith, et une erreur d’un receveur freshman. Ce receveur devait bloquer pour une course mais comprend mal les instructions et se prépare à recevoir une passe courte. Balle en main, Smith voit un défenseur laissé seul lui foncer dessus et par réflexe, lance la gonfle au receveur qui s’était démarqué par erreur. Estomaqué de voir un receveur autant oublié par la défense, Meyer vient de mettre la main sur une action qui sera la base de son plan de jeu pendant des années.

Ainsi, la Run Pass Option se démocratise pour devenir l’arme en vogue en université. Et au fur et à mesure qu’elle gagne en popularité, elle se diversifie. A Baylor par exemple, Art Briles en fait une machine de guerre dont le but n’est plus de gratter des yards faciles mais bien de bombarder les défenses en profondeur, faisant de l’éternet loser du Texas une armada crainte.

Il faut cependant attendre une grosse décennie avant que la RPO devienne une vraie considération en NFL. Après quelques tâtonnements, le vrai premier pas est fait en 2015 par les Eagles de Philadelphia. Lors des playoffs, ils incorporent ces schémas de jeu à un plan général plus classique. Ils raflent ainsi le premier Super Bowl de leur histoire avec une forme simple de RPO (similaire à celle que j’ai présenté au dessus) leur permettant de gagner des yards de manière sûre dans les situations les plus importantes.

L’ascension continuera en 2019 avec les Chiefs de Kansas City qui entourent leur prodige Patrick Mahomes d’une armada de playmakers et usent de la RPO pour leur fournir le ballon. L’attaque des Chiefs devient inarrêtable et Mahomes décroche le premier titre de KC depuis 50 ans. La RPO ne peut plus être ignorée chez les pros. Elle reste pourtant encore loin de faire l’unanimité, avec une majorité d’équipes qui ne l’intègrent que timidement dans leur plan de jeu.

Des idées novatrices au service d’une philosophie inchangée

Loin du sport brutal voire bourrin du siècle précédent, le football US progresse inexorablement vers un style plus rapide et aérien. Il est donc intuitif de penser que chaque nouveauté instaurée dans le jeu porte cette philosophie d’accélération du jeu et d’abandon du côté physique pourtant si cher à certains. C’est faux. Derrière une volonté de toujours créer et chercher de l’espace, les coaches actuels ont les mêmes motivations que leur prédécesseurs: maîtriser le match par la course. La course, c’est l’aspect physique du jeu. Ce sont les joueurs de ligne qui se défoulent sur les défenseurs, c’est un RB de 100 kg lancé à pleine vitesse sur des pauvres Safeties. L’usure physique et mentale de la défense reste le principal objectif de chaque attaque, aussi exotique soit-elle. Chip Kelly, Urban Meyer et maintenant Steve Sarkisian s’égosillent pour le faire comprendre: nouveauté ou pas, les attaques 2.0 restent encrées dans la philosophie 0.0 du foot US.

Aussi, bien que la RPO soit un concept nouveau (et donc souvent associé à la passe), chaque coach commence de la même manière lorsqu’il faut l’expliquer: idéalement, l’action sera une course.

Pour illustrer notre propos, regardons cette RPO utilisée par Alabama cette année:

Image 1: Alabama possède 6 bloqueurs face à 6 défenseurs dans la boîte: c’est un avantage pour l’attaque car tous les défenseurs sont bloqués, SAUF si le défenseur encadré en violet s’insère également pour défendre la course. S’il le fait, l’avantage numérique passera à la situation de passe! C’est donc ce défenseur que le QB va devoir “lire”.

Image 2: Le défenseur campe sur sa position. Il protège ainsi la potentielle passe écran préparée en haut par les receveurs, mais ne défend pas la course. On voit le QB observer sa réaction.

Image 3: Le QB prend la bonne décision et laisse la balle dans les mains du RB avec un schéma de bloc qui se développe bien. La suite, c’est un TD de 40 yards pour Najee Harris!

A vitesse réelle, ça donne ça:

La ligne offensive a donc volontairement délaissé l’un des défenseurs, mais pour le reste il s’agit d’une action de course comme une autre! Dans une présentation, le coordinateur offensif Jake Moreland (Western Michigan) résumait très simplement: “Je dis à mes Linemen que c’est une course! Ne réfléchissez pas, faîtes comme si c’était une course normale, c’est au QB de décider quoi faire, concentrez vous juste sur la course.” Bien sûr, le même constat peut être fait pour les receveurs, qui courent leur tracé en s’attendant à recevoir le ballon. Tant que le QB n’a pas pris sa décision, tout peut arriver, et c’est bien ce qui pause autant de problèmes à la défense.

Il est également aisé de comprendre l’intérêt de ce schéma lorsqu’un coach souhaite assoir son jeu au sol. La RPO permet de bloquer un joueur en moins, donc de créer un avantage numérique entre les bloqueurs et le reste des “bloqués”. Et si la défense refuse à tout prix de perdre la bataille au sol, elle s’expose à une humiliation par les airs.

Une myriade de possibilités

J’insiste sur ce mot depuis le début de l’article: la RPO n’est pas une action, c’est un concept. Il existe de nombreuses actions particulières qui répondent aux critères de la RPO. Car c’est, au fond, une idée très simple. Une lecture (avant ou pendant l’action) qui amène à une décision du QB. Tout comme la play-action est un concept encré dans la ligue mais qui se décline sous une infinité de formes, la RPO peut être cuisinée à toutes les sauces. Pour essayer d’en englober la majorité, nous allons nous concentrer sur deux facteurs clés: le moment de la lecture, et la cible de la lecture.

  • Le moment de la lecture

Comme évoqué en introduction de ce paragraphe, la lecture qui définira la décision du QB peut être faite avant ou après le “snap”, c’est à dire avant ou pendant l’action. Si c’est une lecture avant le snap, le QB va devoir observer la formation défensive en face de lui. Typiquement, le nombre de S qui gère la profondeur du terrain est un facteur clé. Un rapide calcul permet d’affirmer ceci: si 2 Safeties sont alignés en profondeur, il y aura suffisamment de OLinemen pour bloquer tous les défenseurs dans la boîte, ce qui est un gros désavantage contre la course. En revanche, si un seul Safety a la responsabilité de la profondeur, cela laisse des espaces pour la passe. La RPO permet de jouer sur ces contraintes et de cibler les endroits du terrains que la défense délaisse.

De nombreuses RPO se basent également sur une lecture post-snap. Juste après l’engagement de l’action, le QB doit faire sa lecture en une demi-seconde et prendre rapidement sa décision. Pour cela, il ne devra ici pas observer la défense entière mais un seul joueur. Les deux RPOs présentées au-dessus sont un bon exemple. L’attaque choisit une cible et agit selon sa réaction. En cela, on revient à l’inévitable comparaison au Pick & Roll. Le but est d’attaquer un défenseur isolé en le forçant à défendre deux actions en même temps.

  • Ce que le QB doit lire

Jake Moreland, coordinateur offensif à Western Michigan, séparait la présentation de ses RPO en deux catégories: 2nd level read et 3rd level read. Concrètement, plaçons nous dans un scénario de lecture post-snap. On a déjà vu que ce scénario impliquait de lire un défenseur en particulier. La question est maintenant de savoir lequel. Pour cela, il faut regarder quelles positions ont des responsabilités contre la course ET contre la passe. Un CB, par exemple, ne se soucie que de son receveur, difficile donc de le mettre face à un dilemme. Il y a donc deux positions défensives qui seront visées par la RPO: les Linebackers (2nd level) et les Safeties (3rd level). La lecture sera la même: observer si le défenseur se précipite pour défendre la course où s’il préfère défendre sa zone contre la passe. La différence sera le niveau d’agressivité dans l’action appelée.

Vous avez besoin d’un 1st down à tout prix et/ou souhaitez offrir des passes faciles pour mettre votre QB en confiance? Une 2nd level RPO permet d’enchaîner des gains aisés bien que plus faible et va appliquer un stress grandissant sur la défense. Une succession de courses de 5 yards et de slants de 8 yards peut assurer la continuité du drive et peser psychologiquement.

Vous voulez gonfler les pectoraux et montrer faire peur? Une RPO sur le 3rd level vous permettra de faire payer un FS qui s’avance un peu trop en voyant une course. Comme on aime lâcher les bombes sur une play action, il n’est pas rare de se retrouver avec un 1 contre 1 avantageux en profondeur. Il est également important de noter que même si ce n’est pas une passe longue, à partir du moment où le Safety a été sorti de l’action, le WR est à un plaquage raté prêt du Touchdown.

La RPO se base donc sur des lectures diverses mais finalement toujours simples pour le QB et, bien que l’objectif premier reste d’assurer une dominance au sol, a pour but d’aider le passeur. Les fenêtres de tir sont plus grandes, les matchups avantageux plus faciles à trouver, et une fois que la machine est lancée, elle devient de plus en plus dure à arrêter.

Les Browns de Freddie Kitchens l’ont montré en 2019, monter une attaque entière autour de la RPO est difficile en NFL. Il semble cependant impossible de stopper l’ascension au pouvoir de ce concept si efficace. Les Chiefs, jamais les derniers pour piocher dans les jeux les plus innovants, ont prouvé que ce schéma marchait pour peu qu’il restait diversifié. Sur le tableau noir, la RPO est un schéma gagnant, et il n’existe pas de réelle réponse pour les défenses, plutôt des concessions à faire. A partir de là, la menace même de la RPO est le prochain effet levier dont devront profiter les esprits offensifs de la NFL. Les coaches défensifs sauront s’adapter à leur tour, et ainsi continuera l’éternel jeu du chat et de la souris entre les deux camps. Mais la RPO semble de ces idées qui survivront à ce perpétuel changement pour s’inscrire dans les nouvelles références du jeu.

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