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Nate Diaz, l’enfant sauvage de Stockton

L’UFC 263, qui se déroule ce week-end, verra le retour de Nate Diaz, un an et demi après sa défaite devant Jorge Masvidal. Une opposition face à Leon Edwards, en forme de quitte ou double, tant un nouveau revers pourrait signifier sa possible fin de carrière. L’occasion de revenir sur le parcours cabossé d’un des combattants les plus appréciés du circuit, mais pas forcément pour les bonnes raisons.

En exagérant un peu, on pourrait presque dire que Nate Diaz est l’homme d’un seul combat. Bien sûr celui l’ayant opposé à Conor McGregor, le 5 mars 2016 en main event de l’UFC 196, qui l’a propulsé dans la galaxie des fighters à la fois riches et célèbres – race encore plus rare à l’UFC que n’importe où ailleurs. Une victoire en forme d’upset qui en a fait une star instantanée, lui permettant d’acquérir une renommée démesurée sur laquelle il surfe encore aujourd’hui. Comme une lumière dans l’obscurité, moment décisif qui a fait basculer son destin, à la manière d’un Rocky Balboa tenant tête à Apollo Creed et faisant dévier le cours de sa vie.

Puisqu’il faut reconnaître qu’avant ça, le cadet de la fratrie Diaz ne s’était pas particulièrement distingué au sein de sa discipline, sa carrière en forme de montagnes russes rendant, plutôt fidèlement, compte du niveau qui est le sien. Celui d’un bon combattant, pouvant éventuellement tutoyer le top 10 de sa division lors de ses périodes de forme. Mais à qui semble hors de portée l’air raréfié au sein duquel évoluent les champions. Il a, bien sûr, enquillé quelques victoires significatives, notamment face à des noms tels que Donald Cerrone, Anthony Pettis ou Michael Johnson (contre qui il a livré ce qui est généralement considérée comme sa meilleure performance). Prestations marquantes qui lui ont permis de faire admirer ses atouts. Principalement son cardio de marathonien, sa boxe en volume, peu orthodoxe (mais qui lui permet de lentement étouffer ses adversaires) et un sol de haut-niveau – digne héritage de la famille Gracie avec qui il a fait ses classes (rien d’étonnant à ce que Kron Gracie, fils du mythique Rickson, soit un de ses proches. Jusqu’à régulièrement se retrouver dans son coin les soirs d’event).

Mais il touche aussi son plafond de verre dès qu’il affronte quelqu’un qui parvient à exploiter les nombreuses failles de sa panoplie, au niveau des kicks notamment, du travail au corps et de la lutte. Comme peuvent en témoigner des Rory MacDonald, Benson Henderson, Rafael Dos Anjos ou Jorge Masvidal, contre qui Nate, trop frustre techniquement et dans l’incapacité de trouver la moindre solution, fut rapidement réduit au rôle de poignant sac de frappe. Ne devant sa survie aussi tardive qu’à un menton en titane qui en fait l’un des athlètes du circuit les plus durs à terminer. Parfois contre son propre bien, vu l’état dans lequel il achève régulièrement ses combats. Étant ainsi permis d’imaginer qu’il en sera, sans doute, de même face à un Leon Edwards qui offre le profil à même de le faire déjouer et lui poser de gros soucis : puissant, prudent, très bon en clinch et dont la versatilité (en striking comme en lutte) fait penser qu’il n’aura peur de défier son adversaire en aucun domaine, ni debout ni au sol.

C’est, néanmoins, bien Diaz qui aura la faveur des fans, samedi soir, en lieu et place d’un Edwards, pourtant légitime contender de la catégorie. Énième paradoxe qui illustre bien la situation de celui devenu célèbre (littéralement) du jour au lendemain, et dont l’aura tient autant (sinon plus) de son image que de ses qualités martiales – réelles mais limitées. Tellement qu’on en viendrait presque à se demander si son entière carrière ne repose pas sur un profond malentendu.

Car bien qu’il soient, fort logiquement, toujours associés dans l’esprit des gens, Nate n’a, en fait, que peu à voir avec son ainé. Ce grand frère idolâtré, guerrier-né, bagarreur depuis son plus jeune âge et qui ne pouvait s’épanouir que dans une cage ou entre les cordes d’un ring. Un Nick dont les rues de Stockton (la bourgade californienne qui a vu naître et grandir les deux frangins) sont le domaine et qui, à l’instar d’un Jorge Masvidal, a toujours déclaré qu’il avait passé sa vie à être payé pour ce qu’il aurait, de toute façon, accompli gratuitement. Nate, en dépit d’une troublante ressemblance physique qui pourrait parfois le faire passer pour son jumeau, affichant mentalité différente, presque opposée. Lui qui semble avoir épousé sans passion particulière la carrière de combattant, sans autre vraie raison que celle de marcher dans les pas de son aîné, modèle avoué, adulé depuis toujours.

À en croire ses intimes et ceux qui ont eu l’opportunité de le côtoyer assez longtemps pour percer (ne serait-ce qu’un peu) sa carapace, l’homme n’aurait, en effet, que peu à voir avec le personnage de cholo vénère (qu’on croirait sorti d’un film de David Ayer) qu’il surjoue en permanence et dont il entretient savamment l’image. Ses proches évoquent ainsi quelqu’un de doux et émotif, presque fragile, dont l’extrême timidité et l’hyper-anxiété flirtent avec la phobie sociale. Et dont les seuls loisirs dans l’existence restent de s’entraîner dans la salle de son frère, traîner avec ses potes, tenir la main de sa petite amie (la même depuis le lycée) et, bien sûr, maintenir sa consommation quotidienne de weed dans des proportions tout à fait déraisonnables.

Tout le reste (les combats, les deals avec l’UFC, le trash-talk, le cinéma constant), on a l’impression qu’il l’enquille par habitude, voire nécessité. Parce qu’il le faut. Car il est dans un business qui exige ce genre de folklore et que c’est ainsi qu’on remplit son assiette. Ayant, depuis sa victoire contre McGregor, très bien compris le fonctionnement de l’organisation et comment monnayer (foooort cher) ses rares apparitions. Multipliant en ce sens les déclarations choc, maniant non-stop insultes et provocations de cour d’école, brandissant à tout-va son étendard d’authenticité héritée de la rue (incessants pseudo-signes de gang à l’appui). Ce qu’il est permis de trouver ironique, quand on connaît la dichotomie existant entre sa personnalité dans le privé et celle, volontiers tapageuse, qu’il peut afficher en public.

Ceci explique ainsi la situation, quelque peu absurde, qui lui vaut d’aujourd’hui se retrouver aux portes d’un title-shot, alors qu’il n’est même pas classé dans les rankings des Welters et que son activité (dix-huit mois depuis son fight contre Masvidal, seulement deux combats depuis 2016 !) s’apparente plus à celle d’un préretraité repu que d’un aspirant affamé. Soit l’enviable situation des têtes de gondole de l’organisation, au pouvoir d’attraction (médiatique autant que financière) proportionnel aux passe-droits accordés, dont la majorité du roster (en permanence en train de tirer la langue) n’oserait même pas rêver.

Et quand il aura estimé avoir suffisamment donné et surtout reçu (peut-être dès ce week-end, tant on ne l’imagine pas repartir au front en cas de nouvelle défaite), il s’éloignera sans doute, sans regret, du tumulte du MMA. Afin de reprendre le cours d’une existence tranquille. Rythmée par les journées passées en compagnie de ses potes et sa petite amie, des entraînements dans la salle de frère. Et, bien sûr, d’une conso de weed, sans aucune mesure, qui dépassera juste l’entendement. Pouvant imaginer qu’il y sera, relativement, en paix. Soit, en fin de compte, le mieux qu’on puisse souhaiter à chacun.

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