À travers le temps, le Tour de France a donné au cyclisme de nombreux grands récits. Chaque période a ses particularités, ses belles histoires, ses exploits, ses héros. Aujourd’hui, plongeons nous dans les années 1980, une décennie faite de nouveautés, de changements et d’évolutions importantes dans le paysage de la petite reine.
Le péril des vieilles nations
A l’aube du début des années 1980, le cyclisme mondial appartient encore aux nations historiques du continent européen. L’ère Merckx terminée contraint au plat pays de trouver une relève à ce monstre sacré. L’autre grand coureur de l’époque Lucien Van Impe est aussi proche de la fin de sa carrière. Si certains coureurs belges ont pu triompher sur les courses de trois semaines, la question de pose d’un successeur au grimpeur Van Impe au palmarès du Tour de France.
D’autant qu’une domination est en marche, celle des tricolores. Thévenet a fait chuter le roi Merckx et un jeune breton pétri de talent arrive à toute allure pour marquer dans son emprunte la petite reine. Un certain Bernard Hinault. Vainqueur du Tour en 1978 et 1979, le français semble prêt à entamer un nouveau règne sur la Grande Boucle, après celui d’Anquetil et de Merckx.

Un autre pays de la vieille Europe fait partie du gratin du cyclisme mondial, les Pays-Bas, emmené par le régulier et vieillissant Joop Zoetemelk. L’Espagne et l’Italie sont aussi des nations phares qui continuent de triompher abondamment dans leurs tours nationaux respectifs.
Un basculement au cœur de la décennie
Au début des années 1980, les nations historiques ont encore les reins solides. Avec l’abandon d’Hinault sur le Tour, Zoetemelk remporte enfin le graal, lui qui avait déjà réalisé 5 deuxième place sur la Grande Boucle. C’est son compatriote Hennie Kuiper qui termine second. Le pays des tulipse voit la vie en rose…euh, en jaune ! Zoetemelk appartient alors à l’équipe Ti – Raleigh, une équipe néerlandaise historique qui en huit participations au Tour de France a glané pas moins de 56 succès d’étapes (!) sur la Grande Boucle. L’équipe disparaît à la fin de la saison 1983.
Le professeur et le blaireau. Non, ce n’est pas une fable de la fontaine, mais bien ce qui va embellir la première moitié de la décennie 1980. Hinault reprend son trône dès 1981 et 1982, ne laissant aucune chance à la concurrence. Une tendinite au genou droit le contraint à ne pas prendre le départ de l’édition 1983. C’est alors que le directeur sportif de Renault de l’époque, Cyrille Guimard, va sortir sa nouvelle pépite : Laurent Fignon. Pour son premier grand tour, Fignon triomphe. La relève est en marche.

En 1984, Hinault file chez l’équipe La Vie Clair de Bernard Tapie. Le Tour de France 1984 est un duel de style, de mentalité, de caractère. Fignon matte Hinault, bien aidé par une équipe solide composée notamment de Pascal Jules, Vincent Barteau (12 jours en jaune sur cet édition) et d’un jeune coureur américain, Greg LeMond. Cette victoire de Fignon est un mini tremblement de terre. Pour la première fois, Hinault ne gagne pas un grand Tour qu’il finit, lui qui a déjà à son palmarès 4 Tour, 2 Giro et 2 Vuelta. L’année 1985 sonne la révolte du blaireau qui réussit le doublé Giro – Tour. Depuis, aucun de ces trois grands pays (France, Pays-Bas, Belgique) n’a réussi à regagner le Tour de France. Inimaginable à l’époque !
Phil Anderson, une première dans l’histoire
Au cœur des années Hinault, un événement important s’est déroulé sur le Tour de France. Pour la première fois sur la Grande Boucle, lors de l’édition 1981, un coureur non européen a porté la tunique jaune. C’est l’Australien Phil Anderson qui a chopé le gros lot, une petite journée. L’année suivante, il a reporté le maillot jaune, 10 jours cette fois-ci, profitant de la popularité de la plus célèbre des tuniques du cyclisme mondial. Bien avant les Robbie McEwen ou Cadel Evans, le pays des kangourous a sauté sur la Grande Boucle.
La conquête des escarabajos
La Colombie est un pays qui respire le cyclisme, qui se passionne pour ses héros. Avant les Uran, Quintana, Bernal, bien des coureurs ont essuyé les plâtres d’un cyclisme européen qui n’étaient pas ouverts aux grimpeurs de la cordillère. Dès le début des années 50, la Colombie organise des courses qui ont forgé à créer des premières légendes. Le Tour de Colombie est créé en 1951. Le Clasico RCN arrive dix ans plus tard.
Ramon Hoyos, Martin Emilio Rodriguez ou encore Rafael Antonio Nino. Ces noms ne vous disent probablement rien. Et pourtant, ce sont eux les grimpeurs hors pairs qui ont participé à l’essor du cyclisme colombien et électrisé les foules tout le long des cols les plus dantesques du pays. Il a fallu attendre 1975 pour qu’un Colombien participe au Tour. “Cochise” Rodriguez roule alors sous les couleurs de la Bianchi au service de l’immense Felice Gimondi.
Le tournant en 1980. Les patrons du Tour de l’Avenir cherche à redonner ses lettres de noblesse à leur course. C’est alors que cette épreuve va s’ouvrir jusqu’à l’autre côté de l’Atlantique. Les coureurs colombiens font de plus en plus de bruit sur le vieux continent. On les dit courageux, vaillants et bourrés de talent. La sélection colombienne est alors invitée dans cette édition. Les idoles d’un pays débarquent dans la cour des grands.
A la fin de la course, la surprise est immense. La Colombie remporte le Tour de l’Avenir par l’intermédiaire d’Alfonso Florez. Ce coureur de Medellin a profité d’une échappée pour prendre de l’avance, et la star amateur russe Sergueï Soukhoroutchenkov – vainqueur en 1978 et 1979 – n’a jamais pu rattraper son retard. Ce succès de Florez chamboule l’ordre établi et le classicisme des organisateurs de courses européennes.
Trois ans plus tard, là voilà la récompense ultime. L’équipe amateure colombienne Varta-Colombia est invitée sur le Tour de France. Un immense pas dans la progression du cyclisme colombien. Dès l’année suivante, l’hexagone découvre Lucho. Luis Alberto Herrera Herrera. Devenu l’idole de tout un pays. Le gamin de Fusagasuga n’a que 23 ans lorsqu’il remporte la première victoire d’étape colombienne de l’histoire du Tour lors de l’édition 1984.
Le Colombien réalise un exploit rentré dans la légende du Tour. Sur les pentes mythiques de l’Alpe d’Huez, il lâche Hinault et Fignon et s’envole vers la victoire. Lucho, c’était un grand, un immense, un talent énorme grimpant les cols comme un seigneur. Durant sa carrière, il gagne les maillots de meilleur grimpeur sur les trois grands tours et le Tour d’Espagne 1987.

Derrière Lucho, un autre grimpeur colombien a ouvert des portes, Fabio Parra. Plus vieux qu’Herrera, il remporte le maillot blanc lors de sa première participation en 1985. Faisant preuve d’une grande régularité dès que la route s’élève, il est souvent placé, mais jamais vainqueur. Il devient le premier colombien à monter sur le podium du Tour de France en 1988 (troisième derrière Rooks et Delgado) et passe à 35 secondes d’une victoire sur le Tour d’Espagne 1989.
LeMond, le rêve américain
Quand on pense à LeMond, on pense nécessairement à ce Tour de France 1989, devenu mythique par sa dramaturgie et son dénouement. Mais LeMond, c’est bien plus que ça. C’est l’ouverture à un pays au rapport unique avec le sport. L’Amérique à la conquête du Tour.
Dès 1984, le natif de Lakewood découvre le Tour et finit troisième derrière son leader Fignon. En 1985, il rejoint l’équipe d’Hinault et aide le blaireau à remporter son cinquième et dernier Tour. Dès l’année suivante, le français lui rend la pareille. Greg LeMond gagne le Tour de France 1986. Un triomphe pour l’histoire puisqu’il devient le premier coureur non européen à gagner la plus grande course du monde.

La suite, connue de tous, relève du miracle. Un accident de chasse lui fait frôler la mort. Il s’accroche, revient petit à petit à la compétition. Sortant d’un Giro 1989 où il a fini deuxième du dernier contre-la-montre, il débarque sur le Tour de France trois ans après sa victoire. Sans être cité comme favori, il surprend tous les spécialistes et remporte le Tour. L’année suivante, il récidive. Trois succès sur le Tour. Il laisse la place sur le trône en 1991 au roi Indurain.
Le trèfle du bonheur
Deux noms suffisent à résumer la décennie 1980 du cyclisme Irlandais : Sean Kelly et Stephen Roche. Ces deux talents de l’île verte vont accroître considérablement la popularité de la petite reine dans leur pays natal. Sean Kelly est un coureur qui passe partout, un peu à l’ancienne, dans un cyclisme qui s’est depuis de plus en plus axé sur la spécialisation des coureurs.
Capable de gagner Milan-San Remo, Paris-Roubaix, Liège Bastogne Liège, le Tour de Lombardie. Capable de gagner 7 Paris-Nice d’affilés de 1982 à 1987. Et surtout capable d’être maillot vert sur le Tour et de remporter la Vuelta. The great Kelly !

1987 est une année gravée dans la roche pour Stephen. Il y remporte ses plus grands succès en signant un doublé Giro – Tour et un titre de champion du monde sur route. Un ovni des îles qui après ses victoires sur ces courses n’a plus jamais été en mesure de jouer la gagne sur un grand tour.
L’aube d’une nouvelle ère
La fin des années 1980 et le début des années 1990 sonnent comme l’apparition d’une nouvelle ère, d’un nouveau cyclisme. L’usine à cyclistes polyvalents est remplacée par une pratique qui se spécialise. Sauf cas exceptionnel, le grimpeur reste grimpeur, le puncheur reste puncheur et le sprinteur reste sprinteur.
Des nations réapparaissent au premier plan du Tour de France après quelques années en retrait. C’est le cas de l’Espagne et de son équipe Reynolds, devenue Banesto. Après la victoire de Pedro Delgado en 1987, un mutant va sortir de sa mue. Miguel Indurain. Coureur de courses à étapes hors pair, qui écrase littéralement ses adversaires lors des épreuves chronométrées.

Ses grands rivaux sont les italiens qui reviennent en force sur les routes françaises. Gianni Bugno et Claudio Chiappucci se sont cassé les dents sur la machine espagnole. Il a fallu attendre 1998 et l’année Pantani pour voir la nation transalpine retrouver le succès, 33 ans après Felice Gimondi.
1990 est aussi l’apparition de nouvelles nations européennes qui jouent les premiers rôles sur le Tour, le Danemark avec Bjarn Riis et l’Allemagne avec le prodige Jan Ullrich. Après une période faste dans les années 1950, la Suisse a fait son retour parmi les cadors avec Tony Rominger et Alex Zülle.
Les années 1980 marquent une période inédite dans l’histoire du Tour de France. Entre ouverture vers de nouvelles contrées et transition vers un cyclisme spécialisé, elle est une décennie à part dans le passé de la petite reine. Une décennie qui a agrandi le champ des possibles et donné aux gamins du monde entier le rêve de pouvoir briller sur la plus grande course du monde.
Un beau résumé … peu polémique. En ce moment le silence s’impose. Si certains ont envie de se répandre, qu’ils attendent plus tard. Personne, n’est jamais tout blanc ou tout noir. Mais en ce moment de deuil, nous, les belges, nous respectons le moment et l’individu. Après, vous en ferez ce que vous voudrez.