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Air Raid, la Bizarre Aventure d’un schéma pas comme les autres

En l’an 2021, voilà 2 décennies que le football américain a été présenté au schéma “Air Raid”. Deux mots qui restent pourtant l’objet de fascination et de méfiances à la fois. Depuis les débuts en fanfare, le style “Air Raid”, malgré de profonds changements opérés à chaque génération, continue de ressembler à l’enfant terrible du football américain. Il serait en revanche hypocrite de nier son profond impact sur le jeu, en constante évolution depuis le début de ce siècle. Ainsi, ceux qui étaient anciennement vus comme des hérétiques sont maintenant reconnus comme les précurseurs d’un jeu débridé et décomplexé. Pour mieux comprendre le mythe et ce qui se cache derrière, petit retour tactique, historique et surtout philosophique sur une famille d’esprits libres et innovants.

Les origines et le projet de jeu, chercher l’air dans un Océan de Pierre

L’aura étrange qui entoure l’Air Raid remonte à ses tout débuts. Dès le départ, l’Air Raid est une idée farfelue. La légende veut que ses deux inventeurs se soient rendues à une présentation sur l’attaque en 2-minute drill, à la fin de laquelle ils ont simplement demandé: “Et pourquoi on ne fait pas ça tout le temps?”. Le 2-minute drill, c’est une situation où, en fin de match, l’attaque enchaine les passes sans huddle entre chaque action pour remonter le terrain le plus vite possible. Malgré la situation peu avantageuse pour l’attaque (souvent sous pression de marquer), c’est bien la défense qui est la plus mise en difficulté du fait du rythme effréné de ces drives. Alors pourquoi ne pas se mettre dans ses conditions pendant l’entièreté du match?

Les deux personnes à l’origine de cette question s’appellent Hal Mumme et Mike Leach. Hal Mumme est alors Head Coach de la minuscule université de Valdosta State et Leach est son coordinateur offensif. De retour chez eux, ils vont faire germer cette idée en un vrai schéma aussi provocateur qu’innovant. Nous sommes en 1992, et les deux compères décident d’installer une attaque centrée sur la passe. Prenant le contrepied de leurs collègues, ils abandonnent la course pour se concentrer sur cette partie alors bien peu exploitée du jeu. Toujours dans cette idée de 2-minute drill continu, ils créent un système simplifié permettant d’appeler les actions à la vitesse de la lumière et d’agresser continuellement l’adversaire.

Leur schéma se veut extrêmement simple à installer: une douzaine de concepts de passe volés à un vieux playbook de BYU (+2 de course), en y ajoutant la condition que tous les joueurs débutaient toujours l’action depuis la même position. Cette condition permettait un apprentissage encore plus rapide des différents tracés (pas de version à gauche, à droite, etc… mais bien une seule version à perfectionner).

La formation universelle de l’attaque de Valdosta en 1992

C’est d’ailleurs un thème récurrent dans la philosophie Air Raid: simplifier au maximum la théorie pour perfectionner la pratique. Si le playbook ne contient pas beaucoup d’actions, c’est pour qu’à l’entraînement celles-ci soient répétées à outrance et connues sur le bout des doigts par chaque joueur. Le succès est immédiat et après avoir ridiculisé les anciens records de Valdosta State, la paire est embauchée dans l’université du Kentucky en 1997.

Les premiers concepts

Bien plus grande que Valdosta State, Kentucky est en revanche en difficulté dans sa conférence SEC (l’élite du foobtall universitaire). Avec un recrutement moins performant que leurs rivaux, les Wildcats vont cependant réussir à performer grâce à leur nouveau style de jeu. La SEC découvre notamment “Mesh”, un concept devenu iconique de l’Air Raid:

Il existe plusieurs version de Mesh, mais le concept se définie par les deux tracés qui s’entrecroisent au milieu du terrain. Les deux receveurs doivent se rapprocher au maximum jusqu’à pouvoir se toucher les mains. Le but est de créer du trafic qui va forcer les défenseurs en couverture à adapter leur course et ainsi perdre quelques pas par rapport à leur receveur. Le QB cherche donc à passer vers ces receveurs dans la course afin qu’ils gagnent ensuite du terrain balle en main. Cette action, dévastatrice face à la couverture sur l’homme, permet aussi aux receveurs d’adapter leur course contre la zone pour se placer dans les endroits non couverts du terrain. En cela, elle est très représentatrice du schéma par la liberté d’ajustement qu’elle donne aux receveurs. Elle répond à une consigne à la fois simple et étrange que les coaches de l’Air Raid continuent de marteler à leurs joueurs: “Get Open”. Comme si ce n’était pas le but premier de chaque receveur. Sauf que dans l’Air Raid, on veut également faire appel à l’instinct de chaque joueur et à sa créativité. On ne lui donne plus des consignes, mais des responsabilités.

Un autre concept se démarque dans le playbook de Kentucky: Y-Cross. Avec sa jumelle Y-Sail, elles permettent à Hal Mumme d’attaquer les défenses en zone en jouant le surnombre sur des côtés du terrain.

Y-Cross est un des concepts clés de l’Air Raid, surtout parce qu’à cette époque, c’est celui qui permet d’être le plus agressif. A ses débuts, l’Air Raid use beaucoup de passes courtes et rapides, tant et si bien que ses détracteurs la qualifie de “Dink & Dunk”. Y-Cross et Y-Sail permettent d’attaquer des portions plus profondes du terrain. Elles créent naturellement des “lectures triangles” avec trois joueurs qui se retrouve dans le champs de vision du QB afin de faciliter ses progressions. Avec Y-Cross, le QB peut voir la route verticale du X, la route intermédiaire du Y et la option-route courte du H très rapidement. En plus de créer un surnombre dans cette partie du terrain, elle donne au QB une vision claire du terrain. Le constat est le même avec Y-Sail puisqu’il y a juste le tracé de Y (et le côté du terrain qu’on vise) qui change réellement.

Mesh et Y-Cross sont parmi les actions indissociables de l’Air Raid et en sont encore aujourd’hui des piliers. D’autres concepts ayant vu le jour à l’époque Kentucky continuent de faire des ravages, mais je reviendrai dessus plus tard. Le style Air Raid, reconnaissable entre mille, permet à Kentucky de rivaliser avec le top niveau universitaire et propulse Tim Couch, leur Quarterback de l’époque, comme futur choix numéro 1 de la draft 1999.

Mike Leach et l’éclosion de 4Verts, la Croisade dans les Etoiles

En 1999, la paire Mumme-Leach se sépare lorsque ce dernier est embauché pour être le coordinateur offensif de la très grosse université d’Oklahoma. Un an seulement plus tard, il déménage à nouveau dans ce qui sera sa maison pendant 9 saisons: Texas Tech.

Si l’Air Raid était une série de film, mon choix pour le personnage principal se porterait sur Mike Leach, et les précédents chapitres seraient une Origin Story. Avec son imagination débordante et son caractère excentrique, qui de mieux en effet pour représenter l’histoire de l’Air Raid que lui? S’il fait partie de ses inventeurs, Leach est surtout celui qui a popularisé le schéma à grande échelle. Ses deux premières saisons à Tech sont prometteuses, avec des stats tout à fait correctes pour Kliff Kingsbury, le QB de l’époque (3400 yards et 23 TD en moyenne), mais Leach va opérer sa propre révolution en 2002 avec une seule action: 4-verticals (ou “6” dans son propre jargon). Les statistiques de Kingsbury cette année: 4500 yards et 41 TD.

Entre les débuts à Kentucky et son passage à Texas Tech, Leach a commencé à installer un changement majeur dans son schéma en enlevant un RB pour le remplacer par un receveur. Ainsi, le H n’est plus au côté du QB au début de l’action, mais en tant que slot receveur. Pendant ses premières années à Tech, Leach va coacher un certain Wes Welker qui le convaincra de garder ce slot receveur à temps plein. Dans la théorie de l’Air Raid, dans laquelle on demande aux receveurs de “trouver l’herbe” (sous-entendu les espaces libres), Welker réussit mieux que quiconque. Leach garde donc un schéma inamovible de 4×1, et avec décide de valoriser ses 4 receveurs en mettant en avant le potentiel vertical de cette formation.

4-verts est un concept vieux comme le monde dans le jeu de passe, on ne peut pas faire plus simple. C’est également un concept qui est présent dans le playbook Air Raid depuis le début. Mais c’était aussi un concept assez inexploité, assez simpliste. Le 4-verts à la sauce Leach est différent des autres. Les receveurs (alignés de manière la plus étirée possible, pour allonger la défense horizontalement) ont pour consigne de courir verticalement jusqu’à environ 10 yards. A partir de cette marque, ils doivent chercher à trouver un espace libre (s’installer dans une zone ou continuer à courir si c’est en man) et regarder le QB pour se préparer à recevoir une passe qui peut être déclenchée à tout moment.

C’est en ce point que ce concept se démarque des autres 4-verts, et en réalité de n’importe quel autre concept. Le receveur en NFL doit normalement courir un tracé et se tourner vers son QB à la fin de sa route. Ici, Leach abolie cette règle en demandant à ses receveurs d’attendre une passe même en plein milieu de leur tracé. Et s’ils ne se retournent pas alors que le QB leur lance la gonfle, ce sont eux les fautifs. Pour illustrer cela, qui de mieux que B.J Symons qui succéda à Kingsbury? Selon les termes de Leach:

“B.J. s’en foutait totalement. Il lançait un laser sur le casque de son receveur et si celui-ci n’était pas prêt, tant pis pour lui”.

Irresponsable? Et pourtant, Symons fit encore mieux que son aîné avec 52TD en une saison et une prestigieuse victoire contre le Ole Miss d’Eli Manning.

“6” est né de la volonté de Leach d’ajouter un vrai élément d’agressivité dans son attaque. C’est également un jeu qui le définit mieux que tout autre chose: excentrique, presque incompréhensible, mais terriblement dangereux. Avec sa version désormais complète de l’Air Raid, Leach va réécrire tous les livres de records des Red Raiders jusqu’en 2009, où un scandale le forcera à s’écarter du programme.

Kliff Kingsbury et Lincoln Riley, le Vent Doré

L’empreinte laissée par Leach dans l’histoire de l’Air Raid est énorme. Non seulement pour ce qu’il a offert aux fans de Texas Tech, mais aussi pour tout l’arbre généalogique qu’il a entamé. A Tech, Leach a dirigé un coaching staff qui incluait Dana Holgersen, Sonny Dykes, Robert Anae ou encore Bill Bedenbaugh. A l’heure actuelle, tous sont encore coaches ou OC dans des grands programmes universitaires, pendant que Leach a pu emmener son style à Washington State et maintenant Mississipi State. Si leurs années à Texas Tech ont été rempli de succès, les chemins de chacun ensuite ont permis de démocratiser l’Air Raid comme non seulement un schéma viable, mais une référence du College Football.

Mais Leach a aussi trouvé des disciples chez les joueurs qu’il a entrainé. Parmi tous les QB qu’il a coaché, beaucoup ont adéré au système Air Raid et l’ont utilisé à leur sauce une fois devenu coaches eux-même. En 2000, Leach arrive à Tech et aide le QB de l’époque, Kliff Kingsbury, à atteindre un niveau qu’il n’avait jamais connu. Ce que Leach ne sait pas à l’époque, c’est qu’en Kingsbury et son backup Lincoln Riley, il est en train de former les deux futurs coaches les plus influents du style Air Raid.

En 2002, Kingsbury est drafté au 6e tour par les New England Patriots. Il restera en NFL 4 saisons en tant que remplaçant et raccrochera les crampons pour se diriger vers une carrière de coach en allant à Houston où il y retrouvera son mentor Dana Holgersen. Riley, lui, est resté à Texas Tech en tant qu’assistant dans le staff de Leach. Revenons maintenant à 2020, où les deux anciens coéquipiers sont désormais Head Coach. Dans l’une des 5 meilleures universités à Oklahoma pour Riley, en NFL chez les Arizona Cardinals pour Kingsbury. Oui, en NFL. Au sortir d’une période faste à Texas Tech où, malgré un nombre de victoire assez faible, il a pu faire éclore le talent de QB comme un certain Patrick Mahomes, Kingsbury est choisi par Arizona pour raviver la flamme d’une attaque moribonde.

Possédant le premier choix de la draft à ce moment, les Cardinals décident de choisir le QB Kyler Murray qui vient de gagner le Heisman Trophy à… Oklahoma. Direction l’Arizona donc pour celui qui succède à Baker Mayfield (également d’Oklahoma) en tant que Number 1 Overall. Un avant-goût de la capacité de Riley à fournir des QB, mais également du talent offensif, à toute la NFL.

Les schémas de Riley et Kingsbury gardent les mêmes concepts de passes que leurs aînés de l’époque Kentucky. Ils continuent de terroriser les défenses avec Mesh, Y-Cross ou encore H-Stick.

H-Stick

H-Stick est un autre concept clé de l’Air Raid, qu’on voit une demi-douzaine de fois par match. Comme Y-Cross et Y-Sail, elle repose sur une lecture triangle, où la première lecture du QB (le receveur X) se retrouve dans le même champs que la deuxième (le H). En réalité, l’action se trouve entre la combinaison de la Stick route du H et de la Swing route du F. Le but est de forcer la défense à suivre la route du F pour créer suffisamment d’espace au receveur H. S’il se retrouve en véritable 1 contre 1, son tracé est presque indéfendable. Si la défense joue en zone, il peut facilement trouver l’espace tant que la défense suit le F. Et si le F est laissé libre, le tracé couru par X aura permis de dégager cette zone pour créer une passe facile avec beaucoup d’espace balle en main.

C’est un concept simple pour le QB qui continue d’être très populaire le Samedi à Oklahoma et le Dimanche à Arizona. En NFL, la protection à 5 du système Air Raid est risqué avec le talent des lignes défensives adverses. Ce genre de concept permet au QB de lâcher rapidement le ballon et ainsi d’atténuer ce problème. Allié au tempo toujours très rapide que veut le système Air Raid, cela crée de vrais problèmes, même en NFL. D’une manière générale, Kingsbury et Riley ont gardé l’ossature du schéma de passes de Texas Tech, et ont opéré des changements sur d’autres compartiments du jeu. Il n’est donc pas surprenant de voit Kyler Murray compléter une passe sur une Mesh en 2019:

4th down dans le 4ème quart-temps contre Alabama: situation critique. Riley sort donc sa carte maîtresse

Avec un talent nettement supérieur à la concurrence, Riley s’est attelé à profiter du talent de ses coureurs pour instaurer un jeu de course plus développé. Il a ainsi pu allier les schémas de passes de Leach à de la play-action, rendant le schéma encore plus vertical qu’il ne l’avait jamais été.

De son côté, Kingsbury a choisi d’exploiter les passes écran qui sont un autre élément de base de l’Air Raid dont je n’avais pas parlé jusqu’à maintenant. Un des éléments fondateurs de la philosophie Air Raid est de distribuer le ballon à tous les joueurs afin de forcer la défense à respecter chaque option. Les tunnel screens sont un des moyens favoris de cette attaque pour fournir des opportunités à chacun, et Kingsbury s’est démarqué par sa créativité dans sa capacité à distribuer. Ce n’est pas un screen, mais prenons cette action face aux Seahawks:

On retrouve dans cette action tout ce qui fait le style de Kingsbury: des ajustements sur les formations en direct, une motion du RB qui permet d’observer la réaction de la défense et surtout de créer un avantage sur le côté gauche de l’attaque. Ajoutez un schéma de blocage bien pensé et exécuté, et voila 14 yards que Kingsbury crée pour son RB2.

Si les résultats de Kingsbury a Arizona restent mitigés, on a pu observer que ses schémas jusqu’ici jugés inadaptés pour la NFL fonctionnent bel et bien. En réalité, ce sont des concepts qu’on voit le dimanche depuis une dizaine d’année. Encore une fois, ces concepts ont été empruntés d’un playbook de BYU des années 1970. Leach, Mumme et leur protégés n’ont, pour ainsi dire, rien inventé. En 2021, il est sincèrement très difficile de faire la différence entre une action de passe Air Raid et une action de passe d’un schéma lambda en NFL. Une preuve que la grande ligue a, malgré elle, accepté ce changement depuis longtemps.

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