Pour la troisième fois de sa carrière, Pierre Gasly prendra part ce week-end à son Grand Prix national au volant d’une Formule 1. Mais contrairement à 2018 et 2019, le pilote normand s’avance sur ce GP avec bien plus de certitudes et surtout bien plus de références. Fort d’une victoire et de trois podiums (dont le dernier acquis lors de la dernière course, à Baku, il y a deux semaines) en moins de trois saisons, l’ex pilote Red Bull est désormais une des figures fortes du plateau. Retour sur l’une des plus belles transformations de ces dernières années en F1.
La genèse d’un talent brut
Né le 7 février 1996, à Rouen, le jeune Pierre Gasly est tout de suite plongé dans les sports mécaniques. En effet, issue d’une famille de grands passionnés (ses grands-parents ainsi que son père et deux de ses frères ont été champion régional de Karting), Gasly fait ses premières courses de Kart à l’âge de huit ans. Son coup de volant est déjà impressionnant et deux ans plus tard, en 2006, il devient à son tour champion de Normandie, en catégorie minime. En 2009, c’est cette fois à l’échelon national qu’il devient champion après avoir intégré la FFSA (Fédération Française du Sport Automobile), la même année il termine également vice-champion d’Europe de Karting, le jeune pilote normand enchaîne les belles performances.
Deux ans plus tard, en 2011, sous l’impulsion de la FFSA, Pierre Gasly se lance dans le grand bain de la monoplace et débute sa “nouvelle” carrière en Formule 4 française. Tapant rapidement dans l’oeil de Red Bull, le Normand redouble d’efforts entre 2012 et 2014 pour intégrer la préstigieuse Red Bull Junior Team Academy. Chose faite après sa victoire en 2013, en Eurocup Formula Renault 2.0 (il devient au passage, le plus jeune vainqueur de l’histoire de ce championnat). Entre 2014 et 2017, Pierre Gasly gravit les échelons un à un en devenant vice-champion de Formula Renault 3.5 Series en 2014, puis champion de GP2 Series (aujourd’hui Formule 2) trois ans plus tard. Le règlement ne permettant pas au vainqueur du GP2 de rester dans la catégorie la saison suivante, et alors qu’aucun baquet ne se libère en Formule 1, Pierre Gasly prend alors part au championnat de Super Formula au Japon où il terminera second à un demi-point du premier. En parallèle il dispute deux courses de Formule E pour l’écurie française DAMS (avec laquelle il avait déjà couru lors de sa première saison en GP2).

Finalement, Gasly profite de la brouille entre Daniil Kvyat et Red Bull pour faire ses débuts en Formule 1 chez Toro Rosso, lors de la fin de saison 2017. Initialement prévu pour faire une pige de deux courses, le Normand dispute l’intégralité des cinq dernières courses et est même officialisé comme pilote titulaire pour la saison suivante au côté de Brendon Hartley.
Red Bull ne donne plus d’ailes ?
Quel est le point commun entre Sebastian Vettel, Max Verstappen, Daniel Ricciardo, Daniil Kvyat, Carlos Sainz Jr, Brendon Hartley, Sébastien Buemi, Alex Albon, Pierre Gasly et Yuki Tsunoda ? Ces dix pilotes sont tous issus de la Red Bull Junior Academy et ont tous fait un passage (plus ou moins long) au sein de l’écurie soeur Toro Rosso / AlphaTauri. Mais finalement, parmi tous ces pilotes, seuls six d’entre eux ont eu la chance de rouler pour Red Bull et seuls Sebastian Vettel, Max Verstappen et dans une moindre mesure Daniel Ricciardo on eu le soutien total de toute l’équipe. On le sait, Red Bull est aujourd’hui une des écurie si ce n’est l’écurie la plus exigeante avec ces pilotes, mais est-ce que ce trop plein d’exigence pour des pilotes, qui pour la plupart n’ont pas encore l’expérience de ce niveau, est totalement justifié ? D’autant que depuis le début de l’ère hybride, RB n’a jamais semblé être en mesure de lutter pour le titre mondial (hormis cette saison)…
« Ça va être une saison d’apprentissage avant tout »
Pierre Gasly, mars 2019
Revenons à nos moutons et évoquons maintenant le passage de Pierre Gasly chez Red Bull. Après une première saison complète en F1 enthousiasmante chez Toro Rosso en 2018, marquée notamment par une superbe 4e place lors du GP de Bahreïn, l’écurie autrichienne prend les devants et décide de faire du pilote français le remplaçant de Daniel Ricciardo, en partance chez Renault. Avant le début de saison 2019, les consignes sont claires : Max Verstappen est le leader, le n°1 et Pierre Gasly sera là pour apprendre du Néerlandais comme il l’indiquait au journal l’Équipe, en mars 2019 : “Avec Max, tout se passe très bien. J’essaie d’apprendre beaucoup de lui, de son expérience dans l’équipe et de sa vitesse. Je n’ai pas pour objectif de le battre nécessairement. Ça va être une saison d’apprentissage avant tout et il est difficile d’avoir des attentes précises sur la saison à venir. Mais le pilote que je suis aujourd’hui n’aura probablement rien à voir avec le pilote que je serais à la fin de la saison.” Une dernière phrase prémonitoire.

Pour tout un tas de raisons (voiture pas assez compétitive, manques de repères et de confiance, un Verstappen cannibalisant toute l’attention, etc), le passage de Pierre Gasly chez Red Bull et un véritable fiasco : 12 courses, 63 points inscrits (soit 118 de moins que son coéquipier), aucun podium et jamais en capacité de challenger les Ferrari et les Mercedes. Après un nouveau GP en demi-teinte en Hongrie (6e et à un tour de son coéquipier), Helmut Marko et Christian Horner, les grands décideurs du côté de chez Red Bull, décident donc de virer sèchement le pilote français. Retour chez Toro Rosso pour le Normand (Alex Albon, lui, fait le chemin inverse) lors du GP suivant à Spa-Francorchamps (Belgique). Un premier déclic s’opère alors dans l’esprit de Gasly.
Le déclic Interlagos
Malheureusement, un drame bien plus terrible va l’affecter lui et tout le monde du sport automobile. La veille de la course, le jeune pilote de Formule 2, Anthoine Hubert, ami d’enfance de Pierre Gasly et Charles Leclerc notamment, décède dans un crash d’une violence inouïe. Un événement qui marquera à jamais Pierre Gasly. En mars dernier, ce dernier est revenu sur cet événement tragique dans une tribune poignante et forte en émotions.

Ce drame va le toucher au plus profond de son être et décupler sa volonté de réussir dans ce milieu. Pour autant, sa nouvelle voiture chez Toro Rosso ne lui permet pas de jouer les premiers rôles, même s’il parvient régulièrement à rentrer dans les points avec notamment une belle 7e place au Japon et une tout aussi belle 8e place à Singapour.
Vient alors l’avant dernière manche de la saison, le GP du Brésil sur le circuit d’Interlagos. Déjà bien “en jambes” durant les qualifications, où le natif de Rouen claque le 7e temps (il sera finalement 6e sur la grille après une pénalité de Charles Leclerc), Gasly va profiter d’une fin de course chaotique pour tirer son épingle du jeu. En effet, après un problème moteur de Valtteri Bottas, entraînant une première “Safety Car”, les deux Ferrari de Charles Leclerc et Sebastian Vettel s’accrochent. Cet accrochage a pour conséquence de voir pour la deuxième fois de la course la voiture de sécurité, à ce moment-là, Pierre Gasly est 3e devant Lewis Hamilton et juste derrière les deux Red Bull de Max Verstappen et d’Alex Albon. Le Français tient là une chance inespérée d’inscrire son premier podium en carrière. Malheureusement dès la relance, le sextuple champion du monde (à l’époque) prend le meilleur sur la Toro Rosso et s’envole loin devant. Mais c’était sans compter sur l’appétit débordant du pilote britannique… quelques virages plus tard Hamilton souhaite prendre le meilleur sur Alex Albon, mais cette fois sa manoeuvre est beaucoup trop précipitée, il envoie le Thaïlandais dans l’herbe et permet à Gasly de repasser devant les deux voitures et de prendre la 2e place.
À l’issue d’un dernier tour haletant, où le pilote français résiste comme il peut au retour de Lewis Hamilton, Pierre Gasly arrache une magnifique 2e place et devient par la même occasion le plus jeune français à monter sur la boîte dans l’histoire de la Formule 1 à 23 ans, 9 mois et 10 jours.
La suite on la connait tous, une saison 2020 exceptionnelle avec en point d’orgue une victoire historique à Monza, le faisant définitivement basculer dans l’histoire de son sport en France.
De Maurice Trintignant à Pierre Gasly, retour sur 65 ans de victoires françaises en Formule 1
Aujourd’hui, Pierre Gasly est LE leader de son écurie (AlphaTauri), celui qui pousse toute une équipe à se surpasser et est probablement le plus grand pilote de l’histoire d’AlphaTauri / Toro Rosso puisque sur les cinq podiums réalisée par la “petite soeur” de Red Bull, trois ont été l’oeuvre de Pierre Gasly. L’AT02 est capable, cette année, de rivaliser sur certain tracé avec les meilleures voitures, comme nous avons pu le constater lors du premier GP de la saison à Bahreïn ou bien lors de la dernière manche, à Baku, où malgré un problème moteur durant la moitié de la course, Pierre Gasly a tout de même décroché un magnifique podium avec notamment une superbe bataille contre Charles Leclerc dans le dernier tour. Toutes les conditions sont donc réunies pour que cette saison 2021 soit encore meilleure que la dernière en terme de régularité et de performances.
Mais une question revient très souvent en jeu ces derniers jours / semaines : quid de 2022 ? On le sait, le contrat de Pierre Gasly est fait de telle sorte qu’à tout moment le pilote AlphaTauri peut rouler pour Red Bull. Il pourrait donc à court ou moyen terme revenir au sein de l’écurie au taureau rouge, mais cette association paraît difficile à imaginer de nouveau, tant les deux parties se sont quittées très froidement il y a de ça presque deux ans et tant Sergio Pérez semble, pour le moment, donner satisfaction. Avec la prolongation d’Esteban Ocon chez Alpine pour trois saisons supplémentaires, l’option Alpine a pris un sérieux plomb dans l’aile et chez Ferrari, Aston Martin et McLaren, il ne devrait pas y avoir de mouvement pour 2022, il ne reste donc que deux options crédibles. La plus probable : rester chez AlphaTauri et continuer de faire grandir l’écurie, d’autant qu’avec la nouvelle réglementation qui arrive avec son lot de changement, la stabilité sera probablement de mise… mais une surprise pourrait bien avoir lieu. Et si cette surprise se nommait Mercedes ?
En effet, au-delà du tweet du compte officiel de Mercedes congratulant Pierre Gasly pour son podium à Baku, le Français ne laisserait pas insensible l’écurie allemande. De là à le voir débarquer du côté de Brackley la saison prochaine, il n’y a qu’un pas… que l’on ne franchira pas. Car même s’il y a peu de chance pour que Valtteri Bottas continue son aventure avec les flèches d’argent après 2021, le baquet semble promis, à l’heure actuelle, à George Russell. Ce dernier ayant fait forte impression lorsqu’il a dû remplacer au pied levé Lewis Hamilton, la saison dernière pour le GP de Sakhir. Le pilote du giron Mercedes attend patiemment son heure du côté de chez Williams depuis plusieurs saisons et devrait selon toute vraisemblance prendre le relais du pilote finlandais pour 2022.
Quoiqu’il en soit, Pierre Gasly est aujourd’hui l’un des pilotes les plus talentueux de sa génération. Sa transformation entre son passage chez Red Bull, où il semblait perdu et en grand manque de confiance et de repères, et son parcours chez AlphaTauri est absolument saisissant. Le jeune pilote sans expérience est devenu un leader d’équipe, avec trois podiums à son actif et est maintenant capable de tirer le maximum de sa monoplace. Un futur très grand, à n’en pas douter !