En Juillet prochain, la France se rendra en Australie pour réaliser une courte mais intense tournée d’été. C’est effectivement 3 matchs en 10 jours que les Bleus devront réaliser. Rajoutez à cela la longue liste de joueurs blessés en cette fin de saison ainsi que les (nombreux) Toulousains et Rochelais non sélectionnables, qui auraient pu figurer dans la liste de Fabien Galthié et vous obtenez une équipe de France jeune, très jeune et sans grande expérience internationale. Cependant, le constat est le même pour les adversaires des bleus. Néanmoins, en Australie, les causes sont plus profondes et furent un temps préoccupantes. Une nouvelle génération de joueurs émerge sur la plus grande île du Monde. Une jeunesse décomplexée qui voudra commencer à montrer qu’elle aussi peut espérer tutoyer les sommets.
Le creux générationnel
En 2015, l’Australie devient vice-championne du monde. Dans le groupe cette année-là, impossible de passer à côté des Stephen Moore (96 sélections), Sekope Kepu (56 sélections), James Slipper (66 sélections), Michael Hooper (45 sélections), David Pocock (50 sélections), Will Genia (59 sélections), Kurtley Beale (52 sélections), Matt Giteau (95 sélections), Drew Mitchell (65 sélections) et bien sûr Adam Ashley-Cooper (108 sélections). Bref, vous l’aurez compris, l’expérience était de mise avec un groupe aussi talentueux que déjà sur le début de la fin de carrière.
Mais un problème apparaissait alors, qui prendrait la relève de cette génération dorée ? Hormis, Michael Hooper, Bernard Foley, Israel Folau et Tevita Kuridrani, la génération suivante ne semblait tout simplement pas au niveau de leurs anciens. La Coupe du Monde 2019 est à l’époque un révélateur de ces maux que l’on osait imaginer 4 ans plus tôt. L’Australie sort de poule par la petite porte, deuxième, maltraitée par des fidjiens pendant 60min mais surtout perdante d’un défi tactique et de roublardise contre le Pays de Galles dans cette finale pour la Poule D. En 2015, l’Australie avait su gagné un match comme celui-là, contre l’Ecosse. Une fessée en quart de finale contre l’Angleterre met un terme à la compétition pour les Aussies, presque dans un oubli est un soulagement général.
Durant cet exercice, Slipper, Hooper, Pocock, Genia, Beale et Ashley-Cooper étaient encore là et tous titulaires pour la plupart. Foley et Kuridrani ne jouaient qu’un match, tandis que Folau était banni de la sélection avant la compétition. Les hommes responsables de faire ce lien entre 2015 et 2019 n’ont jamais pu remplir leur rôle. L’Australie se retrouvait donc avec une équipe à deux vitesses. S’appuyant sur des (trop) anciens, forts de leur glorieux passé, d’un côté, et sur des jeunes pas vraiment prêts bien que très talentueux, de l’autre. Exemple parfait de cette mauvaise gestion, Jordan Petaia, le trois-quart classieux et puant le rugby, sans aucune sélection et blessé toute la saison avant cette Coupe du Monde, repartait avec trois titularisations lors de cet événement à tout juste 19 ans.
L’Australie n’a pas eu les joueurs qu’il lui fallait pour permettre cette transition douce entre deux générations. Elle a aussi très mal géré ce relais lors des différents rassemblements nationaux. Aujourd’hui, en 2021, après une année 2020 amputée par le COVID, le passage de témoin est dans l’obligation de se faire violemment. Lors de ces tests d’été 2021, c’est une Australie inexpérimentée qui va se présenter face aux bleus. La construction d’un groupe est en place, avec des jeunes aux dents longues et un essor des talents aussies. Les bases d’une Australie 2023 conquérante vont être posées cet été.
Les nouveaux délégués de classe
Pour amener cette classe de baby-boomers verts et or, il est indispensable de présenter les éléments forts, ceux qui seront leurs fers de lance pour les années futures
Rob Valetini

A 22 ans, 1m93 et 113 kg, Rob Valetini est déjà un ministre de la défense. « C’est un roc, c’est un cap, c’est une péninsule » s’exclament ses adversaires à chaque fois qu’ils se présentent face à ce numéro 6 de formation. Car en effet, dur sur l’homme et sensationnel sur la défense au porteur, Valetini a le physique et la technique pour se développer comme un troisième ligne « côté aveugle » d’exception. Sa puissance est sa qualité principale et il sait parfaitement l’utiliser sur phase défensive, de son propre avis, son jeu est imprégné par l’aura de ses deux joueurs préférés Sébastien Chabal et Jerry Collins. Il coffre ses adversaires hauts, renvoie les attaquants dans leur propre camp et empêche la libération rapide des ballons. Grâce à cela, Robert facilite grandement le travail pour ces coéquipiers. Il occupe majoritairement ce rôle de troisième défenseur extérieur au ruck, celui en transition entre avants et arrières. Un conseil, mieux vaut éviter cette zone pour les attaques.
Les axes de progression existent encore chez Rob Valetini. Sa discipline et sa technique sont perfectibles. Le joueur australien est si fort sur l’homme qu’il peut plaquer parfois un peu haut et se voir sanctionner de cartons jaunes bien dispensables (comme lors de la finale du Super Rugby AU). La technique fondamentale du plaquage en dessous de la ligne des épaules devrait être parfois plus utilisée.
Si l’aspect défensif de son jeu est toujours prôné par spectateurs et médias, la dimension qu’a pris Valetini en attaque cette année est souvent laissée de côté. Pourtant, le jeune joueur des Brumbies a su s’épanouir aussi dans un rôle de 8 perforateur durant la fin de saison. Ces performances convaincantes ont mis en lumière des aptitudes de porteur de ballon sous-utilisées. Il reste encore du travail dans les attitudes offensives au contact (offload, libération) mais les bases physiques sont solides et ouvrent des perspectives d’avenir intéressantes sur l’utilisation total du joueur sur la 3ème ligne.
Tate McDermott

Tate McDermott est une graine de champion. L’Australie le peint comme une deuxième version encore plus talentueuse de Will Genia. Avant d’arrivée à 110 sélections, comme son prédécesseur, le demi-de-mêlée a encore du chemin à parcourir. Trop peu souvent dans la gestion et pas encore assez fin pour comprendre les temps forts et faibles d’une équipe, le jeune joueur de 22 ans est insouciant. Cette inexpérience, qui sera gommée avec le temps et les sélections, peut lui jouer des tours sur certaines phases de jeu. Cette fougue reste néanmoins la force principale de Tate.
En effet, s’il ne comprend pas encore totalement le rythme d’un match, McDermott a un instinct, une vista, surdimensionné. Il flaire absolument tous les bons coups, décèle chaque petites ouvertures et s’y engouffre avec un tel appétit qu’il en devient souvent inarrêtable. Tate McDermott est un dynamiteur, un homme qui vous emballe une rencontre en un claquement de doigt, pour qui le match entier est un temps fort et qui a les capacités de vitesse et d’endurance nécessaire à ce style de jeu.
Son style de jeu, Tate l’a façonné aussi au Rugby à 7. Il a participé à des rencontres sur le circuit international et a acquis grâce à cela des capacités techniques en un contre un, souvent létales à XV. Dans son jeu, le demi-de-mêlée à aussi gardé cette propension à porter le ballon en sortie de ruck, à peser sur la ligne d’avantage avec ses jambes. Cette attitude est considérée comme une capacité « high risk, hig reward » par les anglo-saxons. Il faut comprendre par cela qu’elle peut être à double tranchant. Le 9 en portant le ballon peut observer la défense plus longuement et y trouver des failles mais aussi s’enfermer dans la nasse des premiers défenseurs et permettre des montées agressives sur les extérieurs. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui le « reward » apparaît bien plus élevé que le « risk » quand on voit McDermott jouait de cette manière.
« J’adore sa façon de jouer à l’instinct, il a ce bon équilibre avec ce style d’attaque agressif. Il voit les intervalles et anticipe parfaitement pour avancer, que ce soit par sa course ou avec une passe dans l’espace. J’adore le regarder jouer en un contre un. »
Will Genia à propos de McDermott pour Rugby.com.au
Noah Lolesio

Noah Lolesio a une différence vis-à-vis de ses autres camarades, il a déjà eu la chance d’être titularisé en équipe nationale. C’était lors de la première journée du Tri-nations, le 31 Octobre 2020, face à la Nouvelle-Zélande. On ne peut pas dire que cette première expérience en tant que partant a été une franche réussite, avec une défaite 5-43, et ce malgré l’essai de Noah pour sauver l’honneur.
Depuis cette rencontre, la situation a bien changé. Le demi-d’ouverture de 21 ans a passé son année à être le 10 titulaire des Brumbies, il a donc engrangé une belle expérience et a pu parfaire tous les aspects de son jeu. Son pied notamment est devenu plus régulier, face aux perches le joueur a eu une réussite de 88%. Dans le jeu le constat est semblable, l’utilisation du pied est bienvenue, posée et appliquée. Techniquement, il n’y a pas grand-chose à redire dans le jeu bien complet de Lolesio.
Aux Brumbies, cette saison, le paquet d’avants a dominé, outrageusement dominé. Lolesio derrière ce pack jouait dans un fauteuil. Avec du temps, de l’avancée et des défenses un peu dépassées, il est plus facile de développer les schémas offensifs et autres lancements. On ne peut pas blâmer Lolesio pour cela, mais, des interrogations existent et les quelques fois ou les « gros » ont été mis en difficulté c’est un Noah dans le même état que l’on a retrouvé. Sitôt qu’il joue sous pression, là où les décisions doivent être rapides et tranchantes Lolesio cafouille son rugby. Un défaut qu’il va falloir gommer pour exister au plus haut niveau, avec des nations bien plus puissantes sur la conquête et le combat physique que l’Australie (pour le moment). Pour résumer, Lolesio applique fidèlement le plan de jeu, comme un rouage bien huilé d’un mécanisme. Mais dès que la machine s’enraye, le numéro 10 n’est pas encore capable d’être une roue de secours, une soupape de sécurité, fiable.
Après avoir passé une période difficile, le rugby australien essaye de renaître efficacement. Avec un an de perdu en 2020, les tests matchs de cet été seront charnières. Valetini, McDermott et Lolesio devront s’y illustrer pour amener une nouvelle génération de Wallabies vers la Coupe du Monde 2023 dans leur sillage. Après l’ombre l’Australie est prête à revenir dans la lumière par leur prisme.