Le 14 février 1992, naît le miraculé Christian Eriksen. Quatre mois plus tard, ses compatriotes talentueux soulèvent le Graal européen, sans son leader technique Michael Laudrup. Contrairement à Eriksen, il est écarté des terrains pour des raisons bien moins tragiques. Néanmoins, comme en 1992, le Danemark est orphelin de son meilleur joueur. Malgré cela, les joueurs ont su se transcender pour arracher leur qualification pour les 1/8e de finale. Cette belle aventure humaine et sportive nous pousse nécessairement à raconter le succès incroyable de leurs ainés, 29 ans plus tôt. Retour en Suède pour un voyage enivrant.
Notre histoire commence le 16 décembre 1988, lorsque la Suède est choisie par l’UEFA pour organiser le prochain Championnat d’Europe de football en 1992. Un sacré coup du destin tout de même. Les éliminatoires débutent un an et demi plus tard, en mai 1990, en octobre pour les Danois. Les groupes sont constitués de cinq sélections, à l’exception des groupes 5 et 7 qui n’en comptent que quatre. Seuls les premiers se qualifient pour la phase finale rejoignant la Suède, hôte de la compétition. Les frères Laudrup et leurs coéquipiers tombent dans le groupe 4, où se trouvent la Yougoslavie, l’Irlande du Nord, l’Autriche et les Iles Féroé.
Des éliminatoires au dénouement extraordinaire
Durant l’été, Richard Møller Nielsen est nommé comme nouveau sélectionneur et malgré le fait qu’il n’est pas le premier choix, sa mission est d’emmener son pays à l’Euro 1992. Il était jusqu’alors l’adjoint de Sepp Piontek, mais également le sélectionneur des Espoirs. L’objectif s’annonce difficile, mais pas impossible, malgré la présence de la Yougoslavie – pourvue à l’époque d’excellents joueurs. Huit rencontres l’attendent et la première débute le 10 octobre 1990 avec la réception des Iles Féroé à Copenhague. Celle-ci se termine par une victoire 4-1 des locaux, mais sept jours plus tard, les Danois sont accrochés 1-1 en Irlande du Nord. L’aventure se corse davantage lorsqu’en novembre, Michael Laudrup perdent à domicile 2-0 contre la Yougoslavie et la qualification est déjà compromise.
C’est alors que Michael Laudrup, Brian Laudrup et Jan Heintze décident de se retirer de la sélection, car les choix du coach leur déplaisent profondément. En effet, Richard Møller Nielsen prône un jeu défensif qui ne convient pas du tout aux atouts des trois joueurs. Michael Laudrup qui connaît une certaine idée du football grâce à sa situation en club et la tactique offensive déployée par Johan Cruyff au FC Barcelone, estime qu’il n’est pas utilisé efficacement. Cette décision semble légitime lorsqu’on regarde les résultats du Danemark. Les trois joueurs sont des éléments majeurs. Michael Laudrup joue donc au Barça, son cadet Brian vient d’être transféré au Bayern Munich et Heintze est un incontournable du PSV Eindhoven en étant l’un des meilleurs latéraux danois de l’époque.
À la surprise générale, cet événement produit un effet inattendu : les Danois remportent les cinq matchs restants de mai à novembre 1991. On retient notamment la revanche obtenue face aux Yougoslaves le 1er mai à Belgrade 2 à 1. Finalement, avec un bilan de six victoires, un match nul et une défaite, les hommes de Møller Nielsen échouent à 13 points, un point derrière la Yougoslavie (la victoire valait 2 points à ce moment-là). C’est donc cette dernière qui se qualifie à la régulière pour l’Euro 1992.
En novembre 1991, les Danois sont éliminés. Mais dans le même temps, des rumeurs surviennent : la Youglosavie pourrait se voir disqualifier au vu du contexte politique très compliqué. En effet, une guerre a éclaté depuis quelques mois dans le pays voyant des luttes armées naître notamment dans l’actuelle Slovénie et l’actuelle Croatie. Il est question d’indépendance et les Serbes et les Monténégrins ne sont pas du même avis. Des exactions sont commises et des sanctions économiques sont alors prises par l’ONU dès septembre. La menace plane sur le sport yougoslave.
En avril, une première nouvelle tombe : Brian Laudrup accepte de revenir en sélection. Et un mois plus tard, le 30 mai 1992, l’ONU annonce des sanctions encore plus sévères à l’encontre de la Yougoslavie. Celle-ci se voit interdire de participer à des échanges sportifs et culturels. Par conséquent, l’UEFA l’exclut et intègre le Danemark à l’Euro 92 en guise de remplaçant. Nous sommes à dix jours du début du tournoi et Richard Møller Nielsen et ses joueurs doivent alors se préparer pour jouer l’Angleterre, la Suède et la France. La compétition s’annonce très difficile, mais dénuée de pression.
Une entrée discrète, une sortie en fanfare
Le Danemark est pessimiste, la poule est relevée, et le groupe va devoir se passer de Michael Laudrup qui n’a pas voulu revenir en sélection pour la compétition. Il a pourtant été sollicité par Richard Møller Nielsen, mais estimant que son pays n’avait que peu de chances de se qualifier, l’ainé des Laudrup a préféré rester en vacances. Il faut savoir que l’équipe du Danemark est habituée à disputer de grandes compétitions internationales. Les dernières en date sont l’Euro 88, la Coupe du monde 86 et l’Euro 84. Seule une qualification a été ratée : celle pour la Coupe du monde 1990. La participation du Danemark à cet Euro 92 est footballistiquement logique, seul le contexte l’a rendu extraordinaire.
Il s’agit maintenant de déconstruire un mythe tenace, celui d’un Danemark non-préparé pour la compétition, qui serait arrivé les doigts de pied en éventail. Le 3 juin, soit trois jours après l’annonce de l’intégration de leur équipe, le sélectionneur et ses joueurs disputent un match contre la CEI (Communauté des Etats indépendants). C’est une bannière neutre fondée en 1992 afin de permettre aux joueurs soviétiques de prendre part aux compétitions majeures, en l’occurrence de football, malgré la chute de l’URSS. Ce match entre les deux sélections se solde par un match nul 1-1. Les Danois sont peu préparés, mais sont préparés. Ce qui est vu à l’époque comme de la désinvolture est en fait très danois. Les joueurs sont surnommés “Crazy Danes” par les observateurs de l’époque, car ils avaient tout d’un groupe peu ordinaire. Ils buvaient quelques bières après les matchs, faisaient du mini-golf, de la natation (pour sauter des plongeoirs) et pouvaient même aller au McDo ! C’est le capitaine Lars Olsen lui-même qui a témoigné des années après. Ils donnaient l’impression d’être des touristes, mais croyaient largement en eux, même si le début fut laborieux.
Avant d’entrer dans les détails de la compétition, il faut rappeler quels noms danois étaient présents en ce mois de juin 1992 en Suède. Les plus connus sont indubitablement le célèbre gardien de but mancunien Peter Schmeichel et Brian Laudrup alors tout récent joueur du Bayern Munich. Leurs coéquipiers ne sont pas restés dans la postérité, hormis quelques noms dont seuls les plus grands connaisseurs du football se souviennent comme Lars Elstrup, John Jensen ou encore Kim Vilfort. Néanmoins, la défense est expérimentée et mérite d’être saluée : Kent Nielsen, John Sivebæk – passé par Saint-Etienne et Monaco notamment -, et le capitaine Lars Olsen. Avec une moyenne d’âge de 26,9 ans, l’effectif danois est un mélange d’expérience et de jeunesse, en témoigne la moyenne du nombre de sélections. Seuls sept joueurs ont, en ce début juin 1992, plus de 40 capes. De plus, seuls sept joueurs, également, évoluent hors du pays qu’ils représentent.
“Soyons clairs, nous allons en Suède pour gagner la compétition.”
Richard Møller Nielsen avant le début du tournoi.
Cette phrase, qui aurait été prononcée par le sélectionneur, est révélatrice de l’ambition insoupçonnée des Danois. Les joueurs ont mis du temps à y croire, mais le déclic est arrivé lors de la phase de poule. Le premier match se joue à l’Idrottsplats à Malmö, l’enceinte du club phare de la ville (remplacé par le Swedbank Stadion en 2009). Le Danemark commence son Euro en défiant l’Angleterre. Sur le papier, cette dernière est largement favorite, mais le match est bien plus équilibré et à l’arrivée, les deux formations se séparent sur un match nul 0 à 0. Les hommes de Møller Nielsen ont touché les montants à plusieurs reprises et se sont procuré beaucoup d’occasions. L’optimisme est de mise avant d’affronter son rival, chez lui à Stockholm dans le Råsunda (l’ancien stade de l’AIK). 29 000 spectateurs sont présents pour assister à un derby, qui n’est pas inédit dans l’histoire des tournois majeurs. En 1948, les deux nations se jouent en demi-finale du tournoi olympique et c’est la Suède qui sort victorieuse sur le score de 4 à 2. C’est l’occasion pour le Danemark de prendre sa revanche.
Malheureusement, le score final tourne à l’avantage des locaux, grâce à un unique but de Tomas Brolin à la 58e minute. À ce moment-là, l’heure n’est évident pas à la fête et tout le monde se dit que le Danemark vient de voir ses chances de qualifications s’envoler. Surtout lorsqu’on sait que c’est la France qui attend les Danois, de nouveau à Malmö, le 17 juin. Mais c’est alors que l’Euro devient incroyable, car le miracle a lieu. Les Rouges et Blancs ouvrent le score à la 8e minute par Henrik Larsen. Jean-Pierre Papin égalise à l’heure de jeu, puis Lars Elstrup redonne l’avantage aux siens 18 minutes plus tard ! Les héros sont Danois, ils viennent d’éliminer des Français pourtant invaincus depuis trois ans. Dans le même temps, leurs rivaux suédois battent l’Angleterre et permettent aux deux pays scandinaves de se qualifier pour les demi-finales. Et s’ils réalisaient l’impossible ?
La Suède face à l’Allemagne d’un côté, le Danemark face aux tenants du titre, les Pays-Bas. Les Rouges et Blancs sont en demi-finale pour la première fois dans une compétition majeure pour la première fois depuis l’Euro 1964. Ils continuent leur tour de Suède en se rendant à Göteborg pour cette demi-finale. Ils n’ont pas la pression et sont décontractés avant de débuter le match. Cela leur réussit puisqu’ils mènent par deux fois après 33 minutes de jeu et un doublé d’Henrik Larsen. L’exploit est en passe d’être réalisé lorsque Frank Rijkaard égalise à la 86e minute. Ce n’est pas grave, car les Danois déjouent tous les pronostics en tenant tête aux vainqueurs de l’Euro 88. La prolongation dure et il faut départager les deux équipes avec une séance de tirs aux buts. Marco van Basten rate la deuxième tentative néerlandaise, tandis que leurs adversaires ne font aucune faute. Les Danois sont en finale !
L’Allemagne est la grandissime favorite grâce à son statut et ses fantastiques joueurs comme Bodo Illgner, Andreas Brehme, Matthias Sammer, Stefan Effenberg, Karl-Heinz Riedle et Jürgen Klinsmann. Le match se joue une nouvelle fois à Göteborg, dans l’enceinte de l’Ullevi. Malgré l’armada allemande, c’est bien le Danemark qui ouvre le score par John Jensen à la 18e minute, puis Kim Vilfort enfonce le clou à la 78e minute ! Durant tout le match, les Allemands butent sur un Schmeichel en très grande forme et ne parviennent pas à débloquer leur compteur. Le Danemark a été ultra réaliste et la chance leur a souri. Seule ombre au tableau, cette finale est marquée par un très grand nombre de ballons récupérés à la main par le portier danois à la suite de passes en retraits de ses défenseurs. La polémique est vive et quelques semaines plus tard, la FIFA interdit cette pratique, car non-respectueuse du fair-play et surtout ennuyante pour le spectacle.
L’heure est évidemment à la fête, car le succès est total tant, la surprise est immense. Les Danois remportent leur premier titre majeur sur les terres de leur rival suédois. La symbolique est forte. L’histoire est féerique.
Cette odyssée nordique victorieuse est encore maintenant unique. Aucun autre pays provenant de cette région du nord de l’Europe n’est parvenu à remporter un trophée majeur. Pourtant, la Suède s’est hissée en finale de sa Coupe du monde en 1958, puis en demi-finale du mondial américain de 1994. Quant au Danemark, il espère secrètement aller au bout de cet Euro 2020, en l’honneur de son miraculé Christian Eriksen, 29 ans après le triomphe glorieux d’une génération pionnière et talentueuse.