A l'affiche Rugby

Œil de coach : comment le Stade toulousain a-t-il gagné la finale du Top 14 2021 ?

Comme vous le savez, le rugby est un sport à la fois de contact mais aussi d’évitement, un jeu conflictuel dans lequel une équipe doit avancer tout en ne pouvant que se faire des passes en arrière. Mais le rugby est surtout un sport qui se joue à 15 contre 15, et à la fin, c’est Toulouse qui gagne.

Vendredi 25 juin, 22h52, au Stade de France, le Stade toulousain soulève son 21ème bouclier de Brennus et sa deuxième coupe de la saison après sa victoire en Champions Cup. L’adage est respecté, et par deux fois, le Stade rochelais en a fait les frais. Pourtant, ce La Rochelle a enchanté le monde du rugby cette saison, à l’équilibre entre un jeu léché en attaque et agressif et dominateur en défense. Pourtant, la KBA philosophy prônée par le gourou O’Gara a marqué des points, sur le terrain et dans le cœur des spectateurs.  Pourtant, en finale du Top 14 édition 2020-2021, il n’y a pas eu de match. La Rochelle a été étouffée, usée, mâchée, maitrisée par la tactique d’Ugo Mola et de ses hommes. Une tactique aux antipodes de ce qui a fait la réussite de l’équipe en saison régulière.

Les joueurs du Stade toulousain qui soulèvent le Brennus. (crédit photo : francebleu.fr)

Jeu de… pied, jeu de toulousains

Le Stade toulousain nous avait habitué a de le prise de hauteur, de l’envol et du jeu extérieur. Toujours en place et appliqué, le club de la Ville rose s’est appuyé sur un système offensif complexe en 2-4-2. Pour revenir un peu sur ce système et ce qu’il engendre, dans les bases théoriques, il suffit de partager le terrain en 3 zones sur la largeur, deux zones extérieures entre la touche et les 15m et une zone centrale restante. Dans les zones extérieures, on retrouve deux avants de part et d’autre, généralement les 3ème lignes et le talonneur, du moins les joueurs les plus rapides du pack. Et au centre du terrain les 4 avants restants, secondes lignes et piliers qui se répartissent sur une ou deux cellules. Au Stade toulousain, les joueurs ont les capacités physiques et surtout techniques pour assumer ces rôles. Cyril Baille est dans les « 15-15 », le premier joueur cherché avec un 10 équipé dans le dos et au soutien deux « gros » à ses côtés minimum. En (très) résumé, le but de ce système est d’être capable d’apporter du surnombre, et donc du danger, efficacement, sur toute la largeur du terrain, notamment sur les extérieurs. Cette conformation « classique » du côté de Toulouse, vous pouvez définitivement l’oublier pour cette finale.

Le système en 2-4-2 est à mettre en place dans une zone bien particulière du terrain, cette fois ci dans la longueur, la zone de construction. Chaque équipe découpe, arbitrairement, selon ses forces et son style de jeu, des zones préférentielles dans la longueur du terrain : une première zone de dégagement et d’inversion de pression proche de son en-but, une de construction au centre du terrain (là ou se met en place les systèmes offensifs tel que le 2-4-2) et enfin une zone de marque où d’autres systèmes spécifiques pour marquer des points sont mis en action. Pendant 27 matchs cette saison, le Stade toulousain a eu une zone de construction conséquente comparée aux deux autres. 27 matchs… le 28ème déroge complétement à la règle.

Délimitation de la longueur du terrain par le Stade toulousain en saison régulière.
Délimitation de la longueur du terrain par le Stade toulousain lors de la finale.

Avez-vous vu une zone de construction côté toulousain lors de la finale ? Impossible, Toulouse a abrogé cette loi des trois zones pour ne s’en contenter que de deux : pression et marque. Résultat, du jeu au pied à outrance mais jamais dénué de sens. Le Stade toulousain a mis sous pression son homologue rochelais par des chandelles, du jeu au pied dans les espaces libres et des touches toujours un peu plus dans le camp des maritimes, puis a développé son jeu restrictif mais diablement efficace, pragmatique, fermé, appelez cela comme vous voulez, pour finir avec 18 points marqués au pied, un 100% face aux perches et deux drops dont un d’anthologie. Le tout en étant pourtant derrière La Rochelle en nombre de pénalités concédées (7 contre 8). Bref, Toulouse, ce jour-là, et comme beaucoup d’autres dans le passé, avait bien compris qu’une finale ça ne se joue pas, ça se gagne.

Mais pourquoi ? Pourquoi La Rochelle n’a-t-elle pas pu répondre à un tel jeu ? Pourquoi ne pas avoir engagé un bras de fer tactique, un ping-pong rugby si peu visuel mais diablement nécessaire à ce moment-là de leur histoire ? Avec un O’Gara à la tête de la machine jaune et noir, impossible que les pensionnaires de Marcel-Deflandre n’y aient pas songé. Plus que songé, les Rochelais ont compris seulement au bout de 5 minutes que les toulousains ne leurs laisseraient pas un ballon pour développer leur jeu. Il fallait d’abord gagner le défi territorial. Et c’est là que le bât blesse. Bougé en touche avec 4 lancers perdus, approximatif dans le jeu au pied avec Ihaia West, La Rochelle n’arrivait pas à espérer mieux que de ne pas prendre de points. Mais surtout, amputé dès la 20ème minute du seul joueur dans l’effectif ayant déjà remporté plusieurs fois le championnat, de son meilleur joueur de la saison, d’un titulaire aujourd’hui indiscutable en équipe de France, d’un phénix, vraie soupape de sécurité sous les ballons hauts et capable d’inverser la pression, bref, amputé de Brice Dulin. Cette 20ème minute ressemblait déjà au tournant d’un match où tout le château de cartes rochelais, assidument bâti pendant la saison, s’effondrait en 80 minutes.

Le clou dans le cercueil rochelais arrivait-il déjà à la 20ème minute lors de la finale ? (images : France TV Sport)

Cette sortie obligeait le Stade rochelais à faire rentrer le méritant Jules Favre mais surtout à replacer Dillyn Leyds à l’arrière. Fragile toute la partie il fut le premier joueur visé par le jeu au pied toulousain. Jeu Intelligent et efficace. Résultat : 12-0, 30 % d’occupation et 34 % de possession en première période pour des Maritimes définitivement à la botte du Stade Toulousain.

Les innovations :

Du côté offensif donc, vous l’aurez compris, le Stade toulousain a joué à deux vitesses. Par le jeu au pied lent et dans leur camp, comme évoqué dans un premier temps. Mais aussi par des lancements premières mains et du jeu en zone de marque. Le but était simple, engranger les points sitôt qu’une occasion se présentait. Pour se faire, les combinaisons et consignes offensives étaient tout aussi simples. Du jeu primaire pourrait-on dire, mais qui demande tout de même une bonne dose, d’intelligence, d’endurance et d’application. Simple mais pas simpliste, c’est la devise de ce qu’a proposé Ugo Mola et ses hommes dans les 40 derniers mètres.

Si Urios nous avait présenté sa règle des 3 C, rappelons-le, « des couilles, du combat et encore des couilles », il dut être sûrement ravi de voir Mola reprendre ses principes tout en y rajoutant sa touche personnelle : « des couilles du combat et de la conservation ». Conservation, c’est le maître mot qui a régné à Toulouse pendant 80 minutes. Aucun homme n’a tenté un coup d’éclat solitaire, seuls passe-droits accordés à Dupont et Kolbe. Aucun homme n’a eu une course de soutien inutile, pas de passe supplémentaire superflu, seulement un porteur de balle et deux joueurs pour étayer le plus rapidement possible le ruck. Aucun homme n’est resté en dilettante après une phase statique, tous les avants circulaient dans le sens pour assurer une continuité du jeu au plus proche, une libération rapide et une avancée certes faible mais constante. Peu de passes donc, beaucoup de temps de jeu en contrepartie et un adversaire émoussé qui devait faire un choix entre laisser le jeu toulousain se développer lentement mais sûrement ou bien se mettre en danger en jouant les rucks et être puni par des fautes ou un break. Le Stade rochelais choisit, le roseau plia, peu, et ne rompit jamais. Laissant le ballon à des Toulousains sans réelles solutions dans leur arsenal face à cette défense studieuse et disciplinée. Sans réelles solutions… pas vraiment, c’était sans compter sur l’atout drop qui éleva le niveau de pragmatisme du Stade toulousain très haut dans le ciel de Saint-Denis.

Cette animation offensive dût aussi passer par des lancements premières mains nécessaires sur touches ou mêlées. Outre les mauls parfaitement exécutés face à des rochelais hagards, on pouvait noter l’importance de Santiago Chocobares sur ces phases de jeu. Avec le numéro 13 dans le dos c’est bien en 12 qu’il a opéré toute la partie. En 12 premier attaquant, frontal avec pour mission de frapper le plus fort et le plus vite possible la ligne adverse. Ces charges répétées sur les 2 ou 3 premiers lancements permettaient d’habituer la défense, de la manipuler pour la resserrer, et ensuite pour Toulouse de frapper un grand coup à l’extérieur avec une passe dans le dos au moment où La Rochelle s’y attendait le moins. Santiago Chocobares, 22 ans, moins de deux mois au club, fer de lance numéro 1 de Toulouse en finale de Top 14, il fallait le voir venir. Mais, cette utilisation en point de fixation et en leurre est une adaptation parfaite à toutes les contraintes autour de la titularisation de Chocobares notamment vis-à-vis de l’expérience dans le système et des affinités avec ses coéquipiers.

L’élément clé

Défensivement, sur les quelques ballons que les Rochelais avaient à se mettre sous la dent, le Stade toulousain devait contenir la puissance et l’envie maritime de faire vivre le ballon. La solution, prendre la ligne d’avantage très tôt, ne pas se consommer inutilement dans les rucks et plaquer à un deux ou trois s’il le faut. Et surtout, le plus important, un joueur devait attaquer indubitablement les bras du porteur, pour empêcher une passe après contact, ralentir la libération du ballon et permettre au un, deux ou trois plaqueurs de se relever et de se repositionner pour la possible phase de jeu suivante. Les Rochelais se sont cassés les dents, on y revient, sur cette défense où, même un Skelton a été mis plus qu’en difficulté et où un Alldritt, probablement fatigué, a subi les foudres comme jamais auparavant cette saison.

Mais défensivement, là n’était pas le plus important. Le plus important c’était lui : Kolbe. Oui, lui. Lui qu’on connaît tout de même plus pour ça :

Et maintenant pour ça aussi :

images : France TV Sport

Lui, a réussi à nous étonner encore un peu plus lors de la finale, par sa défense, en se positionnant en N°13 sur chaque lancement de jeu première main des jaunes et noirs. Cela peut vous paraître anodin, mais cette adaptation tactique a fait une grande différence, que ce soit dans les têtes des rochelais et notamment de Raymond Rhule probablement déconcertés, mais aussi sur le terrain. Car si Kolbe se retrouvait en 13, Chocobares passait à l’ouverture et Ramos reculait en 15. Cette disposition permettait d’assurer une défense forte en zone 10 de par les qualités naturelles de l’argentin, pour ceux qui en doutent la victoire des Pumas contre les All Blacks lors du dernier Rugby Championship devraient vous faire changer d’avis, et Ramos lui pouvait servir efficacement à la couverture du champ profond, et regagner l’avantage territorial par sa longueur au pied le cas échéant. Kolbe, lui dans tout ça n’avait « qu’à » monter agressivement sur son vis-à-vis ou dans la ligne de passe pour annihiler toute action directe extérieure. De par sa vitesse et son système similaire en sélection, le champion du monde n’avait aucun mal à appliquer les consignes, quand bien même il n’ait jamais joué en qualité de second centre.

images : France TV Sport

Au rayon des surprises, gagnantes encore une fois, il est bon de mettre du crédit à la titularisation de Juan Cruz Mallia à l’aile. C’était, évidemment, la première fois que le joueur goûtait aux joies de débuter un match collé à la touche. Mais pourquoi ce choix aux dépens de Maxime Médard, plus expérimenté, habitués des finales et des victoires, et rouage ancien d’un système qu’il connaît par cœur ? Simplement parce qu’on l’a vu : au diable le système. il fallait en premier lieu répondre au défi physique que les Rochelais voulaient imposer, que ce soit en vitesse ou en puissance. Et le vis-à-vis du numéro 14 toulousain était le trublion Arthur Retière, déjà très en jambes en demi-finale, et incroyablement vif et rapide. Peu importe donc, si Mallia apportait moins de certitudes offensives qu’un Médard ou qu’un Kolbe sur l’aile, du moment que ce premier nommé arrivait, grâce à ses aptitudes corporelles et défensives, à arrêter Retière. Et juste pour cette action, le pari est réussi.

images : France TV Sport

Offensivement, défensivement, c’est une leçon tactique et probablement de sagesse qu’a donné le Stade toulousain au Stade rochelais. Plus que Kolbe, Mallia, Ramos ou Baille, c’est tout une équipe rouge et noir qui s’est mise au diapason, unie dans la même optique : gagner un match peu importe la manière. C’était une première expérience en finale du Top 14 nécessaire et fondatrice bien que douloureuse pour les bagnards. C’était une leçon à retenir. C’était une finale a rangé dans les livres d’histoire pour diverses raisons mais qui nous rappelle à tous qu’encore une fois le rugby en France se joue à 15 contre 15 et qu’à la fin, c’est Toulouse qui gagne. Enfin… jusqu’à la prochaine fois.

(2 commentaires)

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :