Dans un sport réputé pour la jeunesse de ses participantes, Oksana Chusovitina fait figure d’exception. En effet, la doyenne de la gymnastique mondiale va participer à ses huitièmes Jeux Olympiques, à 46 ans. Petit saut dans le temps avec la gymnaste qui a traversé les époques.
Cette nuit, Oksana Chusovitina pourrait enfiler pour la toute dernière fois un justaucorps en compétition. En effet, celle qui vise une finale dans son agrès de prédilection à annoncer s’arrêter après les Jeux de Tokyo. A 46 ans, sa carrière a une longévité sans pareille. Dans un sport où les championnes s’arrêtent rapidement, elle fait figure d’extra-terrestre. Traversez avec elle les trois dernières décennies que constituent sa carrière internationale débutée à 15 ans.
Un début en URSS
Alors que la plupart des gymnastes sont nées à la fin des années 90 ou dans les années 2000, Oksana Chusovitina porte avec elle l’histoire que n’ont pas ses contemporaines. Née en 1975 en URSS, elle a pu être témoin des médailles d’or en poutre et sol de Nadia Comaneci à Moscou en 1980 ou bien de celle au concours général de Marie-Lou Retton 4 ans plus tard à Los Angeles.

La jeune ouzbèke est l’un des plus gros espoirs de l’URSS en perte de vitesse politiquement. En 1988, elle est championne nationale junior à 13 ans. Trois ans plus tard, elle est sacrée championne du monde au sol sous les couleurs de l’URSS. Ce sera l’unique compétition qu’elle gagnera sous ces couleurs et la dernière des russes avant leur victoire presque 30 ans plus tard à Tokyo.
Fin 1991, l’URSS s’effondre, libérant ce faisant l’ensemble des pays qui la constituaient. C’est donc sous les couleurs de L’équipe unifiée qu’elle participe à ses premiers Jeux Olympiques. Cet été-là à Barcelone, elle est sacrée championne olympique en équipe. La délégation à laquelle elle appartient gagne le classement des pays pour son uniquement participation. En gymnastique Vitaly Scherbo, un futur gymnaste biélorusse, écrit l’histoire : il remporte 6 médailles d’or. Encore aujourd’hui, ce record n’a pas été battu.
La maman ouzbèke
Après la chute de l’URSS c’est en tant qu’athlète Ouzbèke qu’elle concoure en compétition internationale. Néanmoins, le matériel d’entrainement est très vétuste. Cela ne l’empêchera pas de faire 3ème aux championnats du monde en 1993 en saut.
Elle sera témoin de la première victoire des américaines en équipe aux Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. Avec une équipe bien plus faible que celle de l’URSS, elle ne peut plus concurrencer les Etats-Unis. C’est ainsi que les magnificent seven s’emparent de l’or olympique et marquent le début d’une nouvelle ère sur la gymnastique mondiale sous l’égide des Karolyi à la tête de l’équipe nationale.
Elle donne naissance à son fils en novembre 1999 quelques mois avant les Jeux de Sidney en 2000 auxquels elle participe malgré tout. S’il est désormais un peu plus commun de voir des sportives mamans, c’était loin d’être le cas à l’époque et encore plus dans un sport comme la gymnastique.

C’est sous ses yeux que Simona Amânar qui s’empare de l’or olympique cette année-là présente son nouveau saut portant désormais son nom : l’Amânar. Il reste l’un des sauts les plus difficiles à réaliser encore aujourd’hui.
La reine du saut allemande
Avec le temps Oksana se spécialise en saut de cheval. Contrairement à de nombreuses gymnastes elle ne réalise pas de sauts basés sur un Yurchenko. Adepte des sauts sur base de renversements avant et Tsukahara, elle en possède deux à son nom. Mais ce n’est pas le seul agrès où elle a inventé des éléments. Malgré qu’elle n’apprécie pas particulièrement les barres asymétriques, deux éléments portent son nom, tout comme un au sol.
En 2003, elle décide de suivre une proposition des allemands de venir s’entrainer à Cologne. Son fils souffre en effet d’une leucémie et elle ne parvient pas à le faire soigner en Russie. Elle enchaine alors les participations aux étapes de coupe du monde pour engranger des primes visant à payer les soins à l’hôpital de sa nouvelle ville d’entrainement. En remerciements de la proposition, elle accepte de demander le changement de nationalité sportive et sa fédération la libère. Cela ne sera complètement validé qu’en 2006. En Allemagne, il faut habiter depuis 3 ans minimum dans le pays pour qu’une naturalisation soit possible.
Néanmoins, pendant cette époque où elle s’entraine avec eux, elle sera vice-championne du monde dans sa discipline de prédilection. Aux Jeux d’Athènes, elle ne performera pas comme elle le souhaite. Mais elle pourra profiter de la victoire des gymnastes roumaines. Ce sera la dernière victoire aux Jeux Olympiques de l’une des plus grandes nations de la gymnastique mondiale.
C’est aussi cette année là qu’Emilie Le Pennec écrira une page de l’histoire française en devenant la première à être championne olympique de gymnastique.

Le changement de forme du saut de cheval cette année-là n’aura pas d’impact sur sa future carrière, au contraire. Cette nouvelle table de saut est celle qui accompagnera une nouvelle ère où les gymnastes américaines prennent le pas sur celle d’Europe de l’Est. Carly Patterson se pare d’or sur le concours général, et depuis, chaque olympiade a vue une américaine gagner le graal de la gymnastique : le concours général individuel.
Pour sa première compétitions sous ses nouvelles couleurs, elle se pare de bronze aux championnats du monde en 2006. Elle ne s’arrêtera pas là puisqu’elle obtient l’argent au saut aux Jeux de Pékin en 2008. C’est sa première médaille individuelle aux Jeux Olympiques après son or en équipe 16 ans plus tôt.
Une longévité qui perdure
Si elle avait continué un moment pour pouvoir payer les traitements de son fils, sa guérison en 2008 est ce qu’elle considère comme sa plus belle victoire. Mais la maman n’a pas envie de raccrocher, même si la différence d’âge commence peu à peu à se creuser avec ses concurrentes.
Ainsi, lorsqu’elle fait 2ème des championnats du monde en 2011, elle partage le podium avec l’américaine McKayla Maroney, 15 ans. Elle a alors plus du double de son âge. A Londres, elle concourt encore pour l’Allemagne. Malgré une envie de retraite après sa 5ème place qu’elle trouve décevante, elle reprend dès le lendemain de son annonce.
« Le soir, j’ai dit à tout le monde que je prenais ma retraite, mais le lendemain matin, je me suis réveillée et j’ai changé d’avis. »
Oksana est un phénomène dans les gymnases, une gymnaste respectée par toutes. Elle rappelle à chacune qu’elles n’ont pas le droit d’arrêter parce qu’elles se sentent « vieilles », parce qu’elle est toujours là. Par son parcours, elle est un exemple pour plein de jeunes gymnastes, prouvant que ni l’âge ni le fait d’être maman ne sont censés être des obstacles si on reste non blessé quoi que certains puissent raconter.

Elle est ainsi témoin des débuts de la nouvelle pépite de la gymnastique à ses côtés : Simone Biles. Elle participe d’ailleurs à plusieurs finales saut en sa compagnie mais ne partagera jamais de podium à ses côtés.
Vieillissant, son entraineur et ancienne coéquipière Svetlana Boguinskaya décide de réduire ses volumes d’entrainement pour reposer ses articulations. Celles-ci sont soumises à de forts chocs dans la discipline qu’elle a décidé de perfectionner. Mais cela ne l’empêche pas de rester au niveau. En effet, après des dizaines d’années de compétition, elle possède beaucoup plus d’automatismes que les jeunes gymnastes qui tentent de la concurrencer, mais qui restent en plein apprentissage.
Après avoir été témoin de l’évolution de son sport, des difficultés proposées et même de la forme de son agrès préféré et avoir vu défiler les plus grandes championnes à côté d’elle, Oksana Chusovitina va enfin prendre sa retraite après les Jeux de Tokyo. Avec elle, c’est un morceau de la gymnastique qui disparaitra. Elle était née lorsque Nadia Comaneci régnait sur Montréal, elle s’arrêtera après avoir vu éclore une autre gymnaste qui a révolutionné son sport et règne sur sa discipline. Elle part avec ses histoires et son record de nombre d’olympiades pour une gymnaste : 8.
Demain à 10h, à 46 ans, Oksana Chusovitina donnera encore une leçon de longévité à de nombreuses gymnastes qui rêvent de la battre. S’il lui est de plus en plus difficile d’atteindre les finales, sa monstrueuse expérience olympique devrait être un atout. Grâce à elle, il est possible que ce ne soit pas la fin de son aventure, mais qu’elle dure encore un peu. Ainsi, peut-être que ce sera uniquement dimanche 1er août à 10h45 qu’elle dira adieu au sport qu’elle aime tant et qu’elle pratique depuis presque quarante ans. Ce jour-là, c’est une légende vivante de la discipline qui prendra sa retraite bien méritée.