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JO Tokyo | Les gymnastes russes solides comme des ROC

25 ans qu’ils attendaient ça, c’est pourtant sous un autre nom que les Russes viennent de reprendre le contrôle total de la gymnastique mondiale. Retour sur l’exploit d’un pays qui venait pourtant sans trop de pression chez les hommes comme chez les femmes.

La Russie est une terre de gymnastique depuis bien longtemps. L’URSS a dominé la gymnastique mondiale. Ainsi, entre 1952 et 1992, l’équipe féminine de l’URSS remporte 10 titres. Ils ne gagnent pas une unique fois. C’était lors des Jeux de Los Angeles qui avaient été boycottés par le pays. Du côté des hommes, le bilan est « légèrement moins bon » avec uniquement 5 titres et 5 de vice-champions.

Mais depuis quelques années, la Russie a du mal à exister en tant qu’équipe. Si elle collecte régulièrement des titres en individuel, ses dernières victoires datent. Chez les féminines, le nouveau pays n’a jamais gagné. En effet, la dernière médaille date de 1992 et a été remportée sous le nom d‘Equipe Unifiée. A l’époque la jeune Oksana Chusovitina, nouvellement retraitée, faisait ses débuts. Quant aux hommes, ils se sont imposés pour la dernière fois en 1996 à Atlanta.

L’équipe de gymnastique de l’Equipe Unifiée, championne olympique à Barcelone en 1992

C’est donc un petit tremblement de terre qui a secoué la planète gym à Tokyo. En effet, celle-ci est dominée depuis dix ans par les Américaines d’un côté et les Chinois et Japonais de l’autre. Et il est d’autant plus impressionnant que le typhon russe comme l’a appelé Nikita Nagornyy n’était qu’à moitié prévisible.

Jambes en papier

L’équipe masculine composée de Nikita Nagornyy, Artur Dalaloyan, David Belyavskiy et Denis Ablyazin se présentait en tant que championne du monde en titre depuis son coup d’éclat à Stuttgart en 2019. Pourtant personne ne leur prédisait le titre dans une course à trois avec le Japon et la Chine. En effet, la présence de Nikita Nagornyy, champion du monde du concours complet en titre était un avantage. Mais des doutes pouvaient être justement émis concernant le reste du quatuor.

La rupture du tendon d’achille d’Artur Dalaloyan, champion du monde du concours général en 2018, vice-champion en 2019, mi-avril est un gros coup dur. Elle oblige l’équipe à repenser toute sa stratégie. En effet, il semble impossible de le voir concourir trois mois et demi après celle-ci. Denis Ablyazin et David Belyavskiy, tous deux plusieurs fois médaillés olympiques, se retrouvent à participer au sol et au saut.

Pourtant, le premier n’a pas concouru au sol depuis 2017 en compétition internationale. Et personne ne connaît réellement l’état de son corps. Après s’être fracturé les deux tibias en 2019, il porte des plaques en titane pour maintenir le tout. Quant à David Belyavskiy il s’est blessé à la cheville juste avant la coupe de Russie en juin. Il n’avait alors pu présenter que les 4 agrès les moins impactants pour ses jambes. De plus, ses notes au sol sont non suffisantes, preuve en est sa 32ème place aux qualifications aux championnats d’Europe de Bâle il y a quelques mois.

Les mêmes problèmes se retrouvent en saut. Les deux gymnastes n’étaient plus ceux participant à cet agrès lors du concours général par équipe depuis 2018. En effet, leurs notes étaient bien inférieures à celles régulièrement obtenues par Dalaloyan.

Mental d’acier

La surprise est totale lorsqu’Artur Dalaloyan se présente sur les six agrès lors des entrainements sur le podium. Il confirmera sa participation au concours général 2 jours plus tard lors des qualifications. Pour participer, il décide de se passer de l’accord des médecins. Avec sa cheville pouvant être décrite comme momifiée, il se classe 6ème de celui-ci, avec un sol inférieur de presque un point par rapport à celui présenté auparavant.

Pourtant, la cheville semble fragile et chaque fan comme athlète se demande comment cet exploit est possible. Ils espèrent aussi ne pas avoir à le voir rééditer l’exploit en finale.

Aly Raisman, triple championne olympique, double vice-championne olympique de gymnastique pour les USA : « Tellement impressionnée par Artur Dalaloyan. Je suis en admiration totale. Je suis sans voix. COMMENT ? Je ne peux même pas imaginer la difficulté mentale et physique. Juste incroyable. »

Mais les notes de David Belyavskiy au sol et au saut en qualifications sont malgré tout inférieures à celle d’Artur Dalaloyan. Il est décidé qu’il sera de nouveau aligné sur les 6 agrès en finale où ils se sont facilement qualifiés. Chacun est alors libre de lancer le compte à rebours du moment où sa cheville lâchera complètement, de saluer le courage de braver la douleur, d’émettre des doutes sur le fait qu’il le fait de son plein gré, ou de trouver cela complètement inconscient de sacrifier ainsi sa santé pour une « simple médaille ».

« Je n’ai pas été à la hauteur de mes attentes. […] Hier, je me suis porté volontaire pour faire tous les agrès, j’ai senti que j’avais la force de le faire. J’avais confiance en mon sol et mon saut. Je ne m’attendais pas à montrer une telle négligence au sol. »

Artur Dalaloyan en interview après les qualifications, expliquant les raisons de ses larmes à la fin de son sol.

Lors des qualifications, le Japon prend la tête avec son équipe rajeunie. En effet, leur grande star, Kohei Uchimura, est uniquement alignée en tant qu’individuel pour viser l’or en barre fixe. Derrière le Japon, le classement est extrêmement serré. Cela laisse entendre que la finale d’équipe risque d’être passionnante et que l’ordre établi pourrait bien être renversé. En effet, seul 0.306 points séparent la première place de la troisième, soit l’équivalent d’une sortie de sol ou de jambes moyennement fléchies dans un élément. Entre le Japon et le ROC s’intercale la Chine.

En finale, l’ordre établi est bel et bien renversé. Après 3 agrès, la Russie mène face aux Japonais et Chinois, principaux concurrents pour le titre. Ils ont alors plus de 2.6 points d’avance grâce à un début de compétition quasiment parfait.

Alors qu’il aurait pu être le première agrès critique, le saut n’a été qu’une simple formalité. Les russes y obtiennent 3 des 4 meilleures notes du concours. Artur Dalaloyan réussit un saut quasi parfait, pilant sa réception et obtenant une note de 14.933, soit la 3ème performance de la compétition. Denis Ablyazin ne sera pas en reste avec son 14.866 correspondant à la 4ème meilleure note.

Le saut d’Artur Dalaloyan lors de la finale par équipe.

Reste alors les barres parallèles, barre fixe pour finir par le sol comme clou du spectacle. Il s’agit de trois agrès où ils avaient été inférieurs aux Japonais en qualifications. Après les deux premiers agrès, ils possèdent toujours une avance de 1.271 point. Mais les Japonais comptent dans leurs rangs plusieurs spécialistes de la barre fixe, le dernier agrès sur lequel ils doivent s’élancer. En cet instant, si l’on prend les notes obtenues en qualification, les Japonais sont censés remporter l’or. Ils avaient en effet pris 1.7 point sur les Russes sur les 2 agrès encore à effectuer. Vue la situation Russe en sol, il est facile de penser que l’exploit serait de réussir à décrocher la médaille d’or.

Après l’excellent 15.1 obtenu par Daiki Hoshimoto, célébré par les Japonais comme s’ils avaient déjà gagné, la pression repose sur le roc de l’équipe et seul non blessé au sol : Nikita Nagornyy. Il devra réaliser une routine sans bavure pour voir enfin son pays reporter l’or. Mais il rate une difficulté dans une de ses diagonales. Il improvise alors la fin de son mouvement pour ne pas perdre en note de difficulté, espérant par là ramener le titre tant rêvé.

Malgré la pression, le benjamin de l’équipe ne fait pas d’erreur de calcul. 0.103 points séparent les deux équipes à la fin et le Japon n’est pas sacré sur ses terres. 26 ans après leur dernier titre, les anciens leaders de la gymnastique mondiale remontent sur leur trône.

Remise des médailles forte en émotions (Getty Image / Jamie Squire)

La surprise féminine des qualifications…

L’équipe féminine composée d’Angelina Melnikova, Vladislava Urazova, Viktoria Listunova et Lilia Akhaimova s’attaquait quant à elle à un monument de la gymnastique mondiale : les Etats-Unis, double-championnes olympiques et 5 fois championnes du monde en équipe. Sur le papier, rien ne semblait pouvoir leur permettre d’atteindre leurs objectifs. En effet, lors des derniers championnats du monde, elles s’étaient imposées avec plus de 6 points d’avance sur les Russes.

« Même si l’ordinateur nous dit que MyKayla dans l’équipe serait quelques dixièmes plus haut, nous sommes tellement chanceux que nos athlètes soient si forts que je ne pense pas que cela va se jouer à des dixièmes de point à Tokyo. Nous ne pensions pas que cela valait la peine de changer l’intégrité du processus simplement pour quelques dixièmes. »

Tom Forster, coordinateur de l’équipe Américaine, expliquant son choix d’équipe nationale

Et ce n’était clairement pas imaginable pour le coordinateur de l’équipe américaine. Il voyait toujours son équipe invincible. Il oublie alors que 2 des Russes sélectionnées avaient battu son équipe lors des championnats du monde juniors en 2019. De plus, cela fait presque deux ans que son pays n’a pas participé à une compétition internationale. Avec des notations changeant rapidement cela pourrait apporter quelques surprises. En effet, les notations sont bien plus strictes au niveau sauts, tours, mais également chorégraphies au sol qu’auparavant, et les compétitions nationales auxquelles ont participé les Américaines sont toujours surnotées.

La chute est donc grande quand ce sont les russes qui finissent en tête des qualifications pour bien plus qu’un dixième. Mais, les Etats-Unis se rassurent avec le grand nombre d’erreurs faites lors de cette compétition, notamment en réceptions et sorties de praticable, mais aussi avec l’absence de chutes des Russes en poutre – une de leur grande spécialité lorsque la pression se présente.

« Nous ne pensons pas à eux. Nous avons nos propres routines que nous devons faire. »

Urazova après les qualifications en réponse à la question Craignez-vous les Américaines ?

… qui confirme en finale

Commençant au saut comme leurs principales concurrentes, les Russes mènent d’un point après l’agrès qui reste une des spécialités américaines. La faute à un raté de Simone Biles qui ne fait qu’un Yurchenko une vrille et demi à la place de son Amanar (2 vrilles et demi) et manque de chuter à l’arrivée.

La quadruple championne olympique déclarera ensuite forfait pour la suite de la compétition, provoquant un petit séisme sur le monde de la gymnastique. En effet, contrairement à Dalaloyan choisissant de sacrifier sa cheville pour la gloire, elle décide de penser avant tout à elle lorsqu’elle prend conscience qu’elle n’est pas en état mental de continuer la compétition. En plus de mettre en péril les notes des américaines si elle s’entêtait malgré son blocage mental, elle risquait surtout de se blesser grièvement. La gymnastique est un sport qui reste particulièrement dangereux physiquement, encore plus avec le niveau de difficulté qu’elle peut présenter.

« Avez-vous vu Biles ? […] Elle fait 70 % de l’équipe américaine, vous la retirez et nous allons les battre facilement. »

Une citation à l’allure de prédiction de la part de Valentina Rodionenko, entraîneuse en chef des équipes Russes.

Cet arrêt provoque un changement de cap pour l’équipe américaine qui doit se passer de sa principale pourvoyeuse de points. Et la stratégie de Tom Forster s’avère au final être la moins catastrophique, celui-ci ayant mis dans l’équipe olympique ses meilleures généralistes. Il se retrouve donc avec des gymnastes capables de la remplacer à chaque agrès.

Après les barres et malgré la routine de Sunisa Lee de 15.4, le ROC a tout de même agrandi son écart. Elles mènent de 2,5 points à la moitié de la compétition.

La poutre a bien failli rabattre les cartes, les deux premières russes Urazova et Melnikova chutant. Mais pouvait-il en être autrement avec cette équipe ? Alors qu’elle voit les Etats-Unis leur repasser devant pour 0.1 point juste avant son passage, Viktoria Listunova réalise une poutre d’excellente qualité. Elle obtient la plus haute note de l’après-midi 14.366 et redonne un bel avantage à la Russie avant le dernier agrès. La jeune gymnaste permet de maintenir le cap quand plus rien n’allait. Et chacun dans son pays doit en cet instant être heureux du report d’un an des Jeux.

En effet, à 16 ans, la plus jeune de l’équipe Russe et championne d’Europe en titre n’aurait pas pu y participer l’année dernière. Le niveau qu’elle a affiché sous pression a montré que, bien que malheureuse victime de la règle du deux par pays en qualifications, elle aurait largement mérité sa place en finale du concours général jeudi. Elle pourra malgré tout se consoler avec sa belle médaille d’or et ses meilleurs notes en sol et poutre. Des résultats de bon augure alors qu’elle est qualifiée pour la finale sol.

Viktoria Listunova pendant son enchainement au sol (AP Photo / Natacha Pisarenko)

Arrivant au sol, les Russes savent ce qu’elles doivent faire. Les trois gymnastes s’étaient classées devant les Américaines restantes aux qualifications. Elles avaient d’ailleurs eu une note globale plus élevée à cet agrès. Présentant des enchainements pourtant plus simples en terme de difficulté, leur qualité d’exécution est meilleure que celle des Américaines. De plus, la Russie reste l’un des derniers bastions où la chorégraphie est vraiment travaillée sur les enchainements au sol. Lorsque l’on sait que 0.9 point peuvent être déduits pour la qualité artistique – très peu travaillée par leurs adversaires du jour -, c’est un immense avantage.

Mais il faudra malgré tout attendre que toutes passent, terminant par Angelina Melnikova, capitaine de l’équipe. Après la chute de Jordan Chiles juste avant, il ne lui fallait qu’un 10 et quelques dixièmes pour qu’elles s’emparent de l’or. L’attente est alors beaucoup moins stressante que pour leur équipe masculine. Au terme d’un concours inattendu, le ROC se pare pour une seconde fois d’or en 2 jours, alors que personne n’aurait parié sur ce résultat. Celui-ci est pourtant sans appel, elles mènent de presque 3 points et demi.

Presque 30 ans après leur dernier titre, les Russes remontent sur la plus haute marche du podium. En le faisant, elles empochent la première victoire en équipe du pays. Enfin… L’histoire retiendra qu’elles ont surtout gagné la première médaille du ROC au concours par équipe de gymnastique artistique.

Les championnes olympiques posant avec leur médaille sur le podium à Tokyo (TASS / Sergei Bobylev)

Cet été, la gymnastique russe a repris sa place sur le trône qu’elle a occupé pendant des décennies. Et si la tâche risque d’être complexe, il reste encore des titres à aller chercher en individuel. Classé 2ème des qualifications, le champion du monde Nikita Nagornyy va chasser l’or d’ici quelques heures. Son coéquipier et ami Artur Dalaloyan tentera certainement d’atteindre le podium si son corps le lui permet. Demain sa compatriote Angelina Melnikova fera la même chose. Non qualifiée en finale à Rio, la jeune gymnaste de 21 ans depuis peu essayera de prendre sa revanche. Sa tâche s’avère encore plus ardue mais pour la première fois depuis des années, le rêve semble atteignable. Et après de telles performances en équipe, il est difficile de voir ce qui pourrait arrêter le typhon russe.

Pour découvrir un peu plus Angelina Melnikova, leader de l’équipe Russe, nous vous conseillons le documentaire All Around sur Olympic Channel qui retrace les préparations aux Jeux Olympiques de la gymnaste Russe, de l’Américaine Morgan Hurd et de la Chinoise Chen Yile.

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