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JO Tokyo | Du hockey sur gazon au football total

Hockey sur gazon

Vendredi 6 août, la finale des Jeux olympiques de hockey sur gazon féminin va voir s’affronter les Pays-Bas et l’Argentine. Comme c’est le cas depuis 2004 et les JO d’Athènes, les Néerlandaises sont de la partie. La nation n°1 mondiale va tenter de retrouver sa place au sommet après son échec en finale à Rio. Mais saviez-vous que ce sport est très certainement celui qui a inspiré les concepts du football total aux Pays-Bas ?

« Si vous regardez en arrière sur de nombreuses années, nous pouvons dire que le hockey sur gazon a eu un grand impact sur le jeu néerlandais. »

Edgar Davids, ancien joueur de football néerlandais

Le hockey sur gazon, sport national chez les Oranjes

Les Pays-Bas est l’un des pays d’Europe où la population est la plus sportive. 70 % de celle-ci a une pratique sportive régulière. Parmi les sports les plus pratiqués, on retrouve le football (7 % de la population). On retrouve également des sports mineurs en France : le patinage de vitesse et le hockey sur gazon. Avec plus de 250 000 licenciés, c’est presque 2 % de la population du pays qui pratique le hockey. Le hockey sur gazon est l’un des sports phares du pays.

Si le hockey y est aussi populaire, c’est parce que c’est aux Pays-Bas que le premier club hors Royaume-Uni a vu le jour. C’était à Amsterdam en 1892. Depuis, le club a été sacré 21 fois champion national et son équipe féminine 20 fois. Mais ils ont également gagné plusieurs titres européens. Le Amsterdamsche Hockey & Bandy Club a une équipe féminine 14 fois championne d’Europe.

Le succès est également présent au niveau de l’équipe nationale, véritable fierté nationale. L’équipe masculine est classée 3e du classement mondial et est multiple médaillée et championne olympique et mondiale. Cette année, ils étaient absents des demi-finales pour la première fois depuis les Jeux de Séoul en 1988.

Mais leur succès n’est rien par rapport à la domination de leur équipe féminine. Depuis la première coupe du monde en 1974, elles ont remporté 8 fois l’or et n’ont manqué la finale qu’à 2 reprises. Elles sont également triple championnes olympiques et trônent à la première place du classement mondial depuis plus de 10 ans. Sur les 20 dernières années, elles n’ont pas été leaders que 3 ans. A chaque fois, c’était l’Argentine qui leur avait volé la vedette.

L’équipe néerlandaise victorieuse des Jeux olympiques de Londres en 2012 (AP Photo/Jae C. Hong, File)

Cette différence de résultat peut s’expliquer par la part de femmes et d’hommes pratiquant le sport. En 2016, il y avait à peu près 3 femmes licenciées pour 1 homme. Le football et ses 120 000 licenciées sur 1 200 000 en est bien éloigné.

Des similitudes notables

Lorsque l’on regarde les deux sports, ils comportent de grandes similitudes. Dans les deux cas, deux équipes composées de 11 joueurs s’affrontent sur un terrain. D’un côté, on utilise un ballon, de l’autre une balle guidée à l’aide d’une crosse.

Les terrains de hockey sont de plus ou plus souvent sur du gazon synthétique. Là aussi, il s’agit d’une grande similitude avec le football néerlandais. En effet, face aux coûts d’entretien, de nombreux clubs dans le pays étaient tentés de faire ce choix. En 2014, 6 des 18 clubs d’Eredivisie avaient un terrain synthétique. Une idée qui déplait fortement à une partie des autres clubs, encore plus après une étude publiée indiquant la présence de produits cancérigènes dans ceux-ci. Pour y pallier, ils reversent une part conséquente de leurs droits TV issus des compétitions internationales à leurs concurrents locaux pour qu’ils puissent entretenir leur terrain.

« Tout mon état d’esprit, toute ma philosophie d’entraîneur, reposeront sur les techniques de rue adaptées aux conditions d’entraînement actuelles. »

Johan Cruyff dans Génie pop et despote de Chérif Ghemmour

Mais aux Pays-Bas, c’est surtout l’apprentissage des deux sports qui se ressemble. Sports très populaires, ils peuvent facilement être pratiqués dans la rue. Dans le reportage Fiddleling with the Ball de Tom Poederbach, Miek van Geenhuizen raconte qu’elle a appris sa technique dans la rue. Elle était l’une des meilleures techniciennes du pays. Miek a fait ses débuts en équipe nationale à 18 ans, a gagné toutes les compétitions possibles et a porté plus de 160 fois les couleurs de son pays.

Cet apprentissage fait écho à celui du football de Johan Cruyff qui disait “j’ai appris le football dans la rue.” Pour lui, l’apprentissage dans la rue est un moyen d’améliorer sa technique et de trouver des solutions à des problématiques qui peuvent être retrouvées sur le terrain.

Miek van Geenhuizen en 2008 à Pékin (AFP)

Lorsqu’il provoquera la révolution de l’Ajax aux débuts des années 2010, il remettra d’ailleurs le football de rue au goût du jour au centre de formation. Les joueurs ayant bénéficié de cette reprise en main du centre de formation du club de la capitale sont notamment la génération dorée ayant fait la demi-finale de Ligue des Champions en 2019, avec en tête de gondole Donny van de Beek et Matthijs de Ligt, mais également Kasper Dolberg, particulièrement brillant deux ans plus tôt en Europa League.

« On a donc commencé à s’entraîner sur des parkings pour développer leur habilité technique et leur faculté à jouer debout puisqu’on ne peut pas tacler sur du béton. »

Ruben Jongkind, dans un entretien à Eurosport en 2019

Les prémices du football total et des succès

Dans les années 1930, le hockey néerlandais fait sa révolution. C’est à ce moment-là qu’il développe une méthode de jeu tout en mouvement. Chaque joueur doit être à l’aise lorsqu’il est en possession de la balle. Dans les années 1970, l’équipe néerlandaise de hockey sur gazon propose depuis déjà plusieurs décennies un jeu basé sur la rapidité, la créativité et la technique. Le jeu repose également sur les inversions incessantes de poste grâce notamment à la qualité technique de chaque joueur lorsqu’il est en possession de la balle. C’est en même temps que le football total fait son apparition dans l’équipe néerlandaise et à l’Ajax.

Le pressing, faisant son apparition dans le même temps et étant un élément clé du football total, est une technique utilisée depuis longtemps dans le hockey sur gazon. En effet, le hockey sur gazon est un sport sans contact. C’était donc le moyen utilisé pour empêcher l’avancement des équipes adverses et une récupération de la balle.

L’équipe des Pays-Bas en 1974

Quelques années plus tard, Johan Cruyff, grand fan de ce sport, assistait régulièrement à des matchs de l’équipe nationale de hockey, notamment lorsqu’il était entraîneur de l’Ajax Amsterdam. Le Néerlandais appliquera dans son football une grande part des techniques de hockey de l’époque.

« Il n’était pas seulement là pour profiter des matchs. Il a pris tout ce qu’il a vu et l’a appliqué à ses équipes. »

Horst Wein, ancien international néerlandais et entraîneur de hockey sur gazon à propos de Johan Cruyff

Mais l’équipe des Pays-Bas n’est pas la seul à avoir bénéficié du hockey sur gazon. Lors de la coupe du monde 1978, l’entraîneur de l’équipe d’Argentine César Luis Menotti se rend sur un camp d’entraînement de l’équipe du Pakistan de hockey. A l’époque, il s’agit d’une des nations dominant le hockey sur gazon. Elle est d’ailleurs championne du monde en 1971, 1978 et 1982. Menotti s’intéressait notamment à leur jeu de passes en triangle, mais également sur les ailes, qui était une de leurs particularités. Quelques mois plus tard, son équipe d’Argentine remportera le mondial de football.

Décennies de mélanges tactiques

« En réalité, le football et le hockey sur gazon sont deux sports qui se ressemblent. La recherche conceptuelle de supériorité numérique entre les lignes, la volonté d’étirer le jeu, d’utiliser toute la largeur du terrain, l’importance de la profondeur, de la verticalité, tout cela est essentiel et naturel en hockey sur gazon. »

Ariel Holan, ancien coach de hockey sur gazon reconverti dans le football

Si le hockey sur gazon a très certainement influencé le football total néerlandais, cela ne s’est pas arrêté à ce moment-là. Depuis, les deux sports puisent dans l’autre des tactiques pour s’améliorer. Ainsi, alors que les équipes de hockey néerlandaises ont pendant longtemps joué en 1-3-3-3, elles ont récemment introduit le 4-2-3-1. En effet, leurs adversaires commençaient à connaître ce système. De plus, cela leur offre un meilleur contrôle défensif. On est bien loin du 2-3-5 des débuts du hockey. C’est le système encore utilisé en Inde en 2016.

Dans un entretien à So Foot, Ariel Holan, ancien coach de l’Independiente et vainqueur de la Copa Sudamericana avec le club, explique qu’il a beaucoup puisé dans le football lorsqu’il entraînait une équipe de hockey. En effet, avant d’être entraîneur de foot, il a été pendant plus de 20 ans dans le hockey sur gazon. « J’ai transféré beaucoup de systèmes du football au hockey. En Coupe intercontinentale 1972/1973, Independiente jouait contre l’Ajax de Cruyff, contre la Juventus qui était presque la sélection italienne. Je m’inspirais du système défensif de la Juve, du football total de Rinus Michels. » Il ajoute que la base de son travail reste le hockey et son jeu à 80-90 % au sol.

De nombreux entraîneurs de hockey demandent à leurs joueurs de regarder des matchs de football. Ils veulent notamment qu’ils observent les déplacements des attaquants. Malgré la suppression de la règle du hors-jeu dans leur sport, ils trouvent intéressant de s’intéresser aux façons de déjouer le piège du hors-jeu et aux différentes courses des attaquants pour créer l’espace et recevoir le ballon dans le football. Ils observent également les techniques de passe des meilleurs milieux de terrain.

« C’est un aspect que j’examine. Comment il crée de l’espace, bat la défense et termine impitoyablement. »

Nicolas Valeria, attaquant de l’équipe d’Argentine de hockey à propos de Luis Suárez

Mais l’inverse est tout aussi vrai. Lorsqu’il prend la tête de l’équipe nationale, Louis van Gaal intègre deux anciens joueurs de hockey dans son staff. Des choix également effectués par la Fédération allemande qui met Marcus Weise à la tête de l’Académie de la Fédération à Francfort. Avant sa mutation, il avait remporté les Jeux olympiques avec les équipes féminine (2004) et masculine (2008) de hockey sur gazon allemandes.

Le même phénomène se produit en Belgique, où le hockey est en passe de devenir le sport n°2 au pays. L’équipe masculine a d’excellents résultats, que ce soit au niveau national, où ils sont champions du monde et viennent d’être sacrés champions olympiques, ou au niveau club où Waterloo Ducks HC est champion d’Europe lors de la saison 2018/2019. La fédération de football décide donc de s’intéresser à ce sport qui compte chaque année un peu plus de licenciés, malgré le fait qu’il reste peu accessible financièrement.

« Au cours des 2-3 dernières années, nous avons vu des entraîneurs de football et des analystes s’ouvrir pour voir ce que nous faisions dans le hockey. »

Jeroen Baart, entraîneur de l’équipe de Belgique des -21 ans de hockey

Mais les ressemblances entre les deux sports ne s’arrêtent pas à des questions tactiques. Aux Pays-Bas plus que partout ailleurs, le hockey sur gazon sert d’exemple. En 2017, Marco van Basten, responsable du développement technique de la FIFA, s’intéresse à la suppression du hors-jeu dans le football. Cette règle a été supprimée dans les années 1990 au hockey sur gazon afin de rendre le sport plus spectaculaire et télégénique.

L’ancien joueur était donc favorable à une évolution similaire pour le football, prenant exemple sur les effets qu’avaient eu ce changement au niveau de l’autre sport national de son pays : « le football ressemble de plus en plus au handball, avec des équipes qui installent une muraille devant leur surface de réparation. Sans la règle du hors-jeu, il y aurait plus de possibilités pour les attaquants et plus de buts. Dans le hockey sur gazon, le hors-jeu a été aboli et ça n’a pas posé de problème. »

Bien que très différent d’un point de vue matériel et visuel, le hockey sur gazon et le football partagent un nombre important de points communs. C’est encore plus vrai aux Pays-Bas, où de l’apprentissage aux tactiques, les deux sports se ressemblent sur bien des points. Une évolution rapide des deux sports est le résultat de décennies d’échanges et d’observations. C’est certainement l’un des plus gros échanges de savoirs entre deux sports. Reste à savoir si ce sera suffisant pour permettre aux Pays-Bas de battre l’Argentine ce midi dans un choc au sommet.

Sarah Cavenel et Ervan Couderc

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