C’est une large question qui est ici ouverte, une question à laquelle il est probablement très difficile de répondre tant les façons d’attaquer sont différentes selon les effectifs, les systèmes de jeu et surtout l’adversité qui se présente chaque week-end. Néanmoins, certaines équipes ont atteint une maîtrise non négligeable dans “la première main”. Assez pour essayer de comprendre ce qui fait leur réussite.
À la recherche des experts de la première main
Pour trouver la meilleure équipe, celle capable de développer les lancements en première main les plus aboutit, un travail analytique et statistique est indispensable. Pour ce faire, rien de plus simple : revoir tous les essais de la saison et les inventorier. Ce travail statistique est simplement exploratoire et observatoire. Il ne permet pas de conclure avec certitude quelle équipe attaque le mieux mais propose des tendances.
Définition d’un essai première main : Essai marqué sur une seule phase de jeu après conquête du ballon par une équipe (touche, mêlée, relance, turnover)
Une définition puriste nous ramènera seulement aux essais marqués sur une seule phase de jeu et avec une conquête propre à l’équipe, en omettant donc les relances et les turnovers.
Résultat : 328 essais marqués en première main cette saison (selon la première définition)
Par équipe ça donne quoi ?


Sur la totalité de ces essais première main, c’est Bordeaux qui en marque le plus, La Rochelle en encaisse le moins et malheureusement avec la saison très compliquée d’Agen, c’est sans surprise que l’on retrouve le club du Lot-et-Garonne à la mauvaise place de ces deux catégories.
Cependant, ce n’est pas pour autant que l’on peut affirmer que Bordeaux est l’équipe qui attaque la mieux en première main. Plusieurs facteurs peuvent rentrer en compte, comme l’organisation, la conquête, la chance aussi et surtout, le fond de jeu.

Bordeaux est d’ailleurs une équipe qui marque beaucoup d’essais tout court que ce soit en première main ou sur plusieurs phases de possession du ballon (81). En proportion d’essais marqués, c’est Brive qui taille la part du lion. La présence de Brive, Pau, Bayonne et Agen dans les 6 premiers de ce classement n’est d’ailleurs pas étonnante. En effet, les essais en une seule phase, même s’ils demandent un travail d’analyse et de préparation supérieurs, sont simples à mettre en place. Les équipes qui peinent donc à jouer des phases de conservation lentes et longues et surtout qui prennent les points sur toutes les occasions, s’y retrouvent dans l’efficacité et la simplicité de la “première main”.
À nouveau, ce classement n’indique en rien que Brive est l’équipe qui attaque la mieux en première main. Brive est “juste” l’équipe qui s’appuie le plus sur la première main pour marquer des points et ici plus que le fond c’est la forme qu’il est important de regarder.
Parenthèse Maul


Il est possible de discriminer chaque essai à partir de leur lancement. En Top 14, en règle générale, la touche est le lancement le plus plébiscité. Cette observation rentre dans une certaine logique, aujourd’hui les mêlées sont des machines à sous ou du moins à points et à pénalités. Les relances et les turnovers sont des événements plus rares et encore plus ponctuels quand un essai en découle. Les touches, par contre, sont des lancements plus propres pour le jeu en une seule phase, avec des avantages partagés avec la mêlée, la défense à 10 m, mais aussi des avantages partagés avec le jeu courant, liberté du nombre sur la phase de conquête et donc multiplication des possibilités tactiques sur combinaison dans la ligne.
De ces touches résultent la plupart du temps : des mauls. Bien sûr, ces mêlées ouvertes, pour se transformer en essais, doivent répondre dans un premier temps à des contraintes. La touche doit se trouver proche de l’en-but, le maul n’en sera que plus efficace. La conquête aérienne doit être propre et une organisation et une application sans faille sont nécessaires. Marquer sur maul ne s’improvise pas, cela se travaille longuement et durement pour des résultats probants. Marquer sur maul est peu impressionnant mais rentable, c’est aussi une forme de “bien savoir attaquer en première main”. Clermont et La Rochelle sont les figures de proue dans le secteur en Top 14.
A noter aussi la faculté des Lyonnais à performer sur les relances suite à des coups de pied. Un homme comme Josua Tuisova réussit des exploits majuscules sur ces phases de jeu.
Les attaques au large

Afin de découvrir maintenant les meilleures escouades qui développent du jeu en première main, des recoupements sont nécessaires. Primo, éliminons les relances et turnovers qui n’apportent pas de profondeur au sujet. En effet, ces phases de jeu sont intimement liées avec : des exploits personnels, et/ou des désordres défensifs liés au fait de jeu, et/ou des erreurs techniques individuelles. Deuxio, prenons du recul, hors des 22m. Cela aura pour effet d’éliminer drastiquement les ballons portés ainsi que les charges sur des 10 un peu frileux. Tertio, faisons nous des passes, au minimum 3. L’optique ici est toujours d’éliminer les exploits personnels, les traversées de terrain et de s’attarder sur les possibles déplacements du ballon vers les zones faibles d’une défense.
Ainsi, le Racing 92 émerge comme l’une des meilleures équipes pour développer du jeu en première main à sur les extérieurs. Bordeaux, Brive, Clermont et dans une moindre mesure le Stade français restent en embuscade.

Pour disséquer un peu plus ces essais en première main marqués au large, l’étude des zones de fractures* apportent des observations complémentaires. Ainsi, il est possible de trouver les zones préférentielles de chaque équipe pour attaquer et perforer les lignes défensives. Bordeaux est passé maître dans le jeu autour de la zone 10, rien d’étonnant avec un joueur comme Matthieu Jalibert en premier attaquant. Brive s’appuie sur un système de croisées et de courses cachées avec l’ailier fermé Bituniyata en dynamiteur, dans un intervalle pourtant complexe à exploiter. Et les deux formations franciliennes, elles, développent du jeu autour de la zone 13 adverse.
*Les zones de fracture sont aussi appelées les zones de break ou plus simplement les zones de franchissement. Ceux sont les lieux où l’attaque arrive à passer la ligne défensive adverse
Résultat :
Pour bien attaquer en première main : Mixez la science des mauls rochelais avec un peu de celle des clermontois. Assaisonnez à votre guise des relances lyonnaises. Ajoutez une pincée de 10 bordelo-béglais, une bonne cuillerée de système offensif ciel et blanc et saupoudrez d’attaques placées brivistes. A prendre avec des pincettes.
Analyse vidéo : le jeu autour du 13 du Racing 92
Les chiffres parlent mais c’est bien les images que l’on écoute. C’est pour cela qu’une analyse statistique, aussi triviale soit elle, doit toujours être combinée avec une analyse vidéo. Le cas d’étude aujourd’hui, le développement des lancements premières mains autour du second centre au Racing 92.
Les bases du lancement
- Le Racing 92 utilise Virimi Vakatawa en premier attaquant sur lancement lointain. Pour ce faire, le joueur est servi en priorité avec une sautée. Le n°10 a seulement un rôle de distributeur.
- Virimi Vakatawa est alors LE joueur du système qui doit prendre les décisions. Une multitude d’options se présente à lui au gré des combinaisons, avec un minimum de 3 solutions. Il peut jouer son duel ou prendre l’intervalle à la course. Faire une passe à hauteur à son premier soutien extérieur (15). Ou bien déclencher une passe à l’aile pour continuer l’action. Parfois, une autre solution vient s’ajouter avec un soutien intérieur ou un soutien dans le dos du 15.
Une sautée indispensable ?
- La sautée est un élément du rugby qui agace, car souvent, elle est mal utilisée. Ici, elle est nécessaire et facile à exécuter.
- Cette sautée permet de court-circuiter un maillon de la chaîne de 3/4. Le ballon va arriver rapidement dans les mains de celui qui va accélérer le jeu dans une zone extérieure, ici Virimi Vakatawa, qui a les aptitudes physiques et techniques pour remplir ce rôle. On peut s’étonner de sauter un centre comme Gaël Fickou, capable tout aussi bien de manipuler le ballon devant les défenses, de fixer le cœur de la ligne et de prendre les bonnes décisions. Mais il ne faut pas oublier que le premier centre “classique” au Racing, avant l’arrivée de Fickou, était Henry Chavancy. Chanvancy est surtout un perforateur, un point de fixation capable de jouer après contact. C’était son utilisation en menace sur la ligne défensive qui forçait la sautée. Un système adapté à l’effectif, en somme.
- La sautée est aussi indispensable pour ne pas permettre à une défense agressive de venir couper une potentielle ligne de passe entre le 12 et le 13. Toucher rapidement le second centre oblige les “rush défenses” à passer en défense glissée, à contrôler et donc à perdre la ligne d’avantage.
- Enfin, cette sautée est possible grâce aux qualités techniques du premier passeur, le n°10, Finn Russell la majorité du temps. Mais aussi car, sur touche et mêlée, la défense est placée à 10 m et doit donc combler un retard de distance qui se traduit par plus de temps donné à l’attaque. Temps utilisé pour cette passe sautée.
Les clés
- L’attitude du 12 est très importante. Il sert de leurre pour la défense avec un regard sur le ballon et doit être capable de recevoir le ballon à n’importe quel moment. Il peut proposer une course tranchante sur la ligne d’avantage pour accentuer cette effet.
- Le 12 et le 13 sont resserrés. Ils amènent de la densité au centre du terrain pour obliger les défenseurs à faire de même par ruissellement. Ainsi, les espaces aux extérieurs sont amplifiés.
- Le 15 a constamment une course à hauteur dans l’intervalle entre le 13 et le 14.
- L’objectif de Vakatawa avec tout cela est donc le suivant : observer les épaules de son vis-à-vis, et surtout celles de l’ailier. Il peut alors prendre la bonne décision entre garder, donner à hauteur au 15 ou jouer avec son ailier.
Il n’y a pas de recette miracle pour bien attaquer au rugby, encore plus en première main. Chacun trouvera une attaque à la sauce qui lui correspond pour exploiter aux mieux les forces d’un groupe. Avec un peu d’imagination, du bon sens et de l’organisation tout le monde peut arriver à montrer de belles choses en attaque placée. Pour vous inspirer néanmoins, n’hésitez pas à regarder de plus près le Racing, Brive, Bordeaux et Clermont.