
Il y a encore un an, le monde du football se préparait à la nouvelle saison 2020/21. Lorsque venait le moment de parler des Rams, la défense était sujet à de nombreuses interrogations. Après avoir démoli la tirelire pour conserver Aaron Donald et s’attacher les services du CB star Jalen Ramsey, les béliers étaient dépourvus de qualité partout ailleurs. Les CB étaient inconnus au bataillon et surtout le groupe de LB étaient vus comme le pire de la ligue. C’était prévu, Donald et Ramsey allaient être seuls. Jusqu’à ce que le nouveau coach défensif, lui aussi inconnu au bataillon, ne surprenne la ligue entière avec un schéma complexe, basé sur une nouveauté dans le monde pro: le Tite Front. Un an plus tard, ce jeune coach, Brandon Staley, devient le HC de l’autre équipe de Los Angeles et ses schémas commencent à être copiés ailleurs. Vous risquez d’entendre parler du Tite front à toutes les sauces cette saison, pourquoi donc ne pas analyser ce que c’est exactement?
La B-Gap bubble et le “Kill & Spill”
Vous serez surpris d’apprendre que l’idée du Tite front nous vient du football universitaire. Dans les années 2010, pendant que Pete Caroll pavanait avec sa version de la Cover 3, les défenses universitaires cherchaient tant bien que mal à arrêter la spread offense et ses Run Pass Options. Les réponses de l’époque impliquaient un 4-man front dans lequel chaque lineman est responsable d’un “gap”. Le “gap” est l’espace entre chaque Offensive Lineman, par lequel le RB peut donc s’engouffrer. Il y a 5 OL et donc 6 gaps répartis comme ceci:

Comme vous le voyez, ces gaps sont désignés par des lettres et sont décomptés en partant de l’intérieur vers l’extérieur. Pourquoi est-ce important? Parce que c’est le but de chaque défense contre la course de pouvoir défendre chaque gap avec un défenseur. Dans l’habituel 4-man front évoqué plus haut, les responsabilités sont réparties ainsi:

On voit qu’il y a donc 2 gaps (le B gap à gauche et le A gap à droite) qui sont inoccupés par le front-4. Ce sont donc les LB qui doivent défendre ces gaps. Sauf que d’un côté, il y a deux LB (IB et OB ici) et un seul de l’autre. Ce LB devra donc défendre à la fois la course (en occupant son gap) et la passe (en occupant sa zone). Autrement dit, être à deux endroits au même moment.
Les attaques ont donc repérés ce défaut dans ces schémas défensifs, avec le défenseur d’un des B-gaps toujours en conflit. Ceci est connu sous le nom de “B-gap bubble”. Le but du Tite front est de détruire cette “B-gap bubble”. Comment? Et bien en n’assignant plus de B-gap au LB, tout simplement. Et avec seulement 3 joueurs sur la ligne défensive de surcroît.
On y arrive donc. C’est quoi le Tite front? C’est un alignement de 3 DL qui se présente comme ceci:

Le Tite Front est parfois appelé 404 en référence aux trois alignements des linemen: un 0 tech au milieu et deux 4i tech des deux côtés. Vous ne savez pas ce que ça veut dire? On y reviendra, bien sûr! Ce qu’il faut observer, c’est la position très resserrée des hommes de ligne. Le but est aussi simple qu’il en a l’air: protéger l’intérieur. Pour cause: une course prenant un chemin vertical se développera beaucoup plus rapidement qu’une course horizontale. Le but est de rendre le chemin du porteur de balle le moins direct possible. Car plus la course prend du temps à se développer, plus les renforts peuvent arriver. Et en forçant le RB à bouger latéralement, on le fait perdre le temps nécessaire. Ce principe est appelé “Spill & Kill” parce que le mot Spill désigne le fait de forcer le RB vers l’extérieur, et “Kill” parce qu’il fallait que ça rime.
L’alignement 4i et la défense du gap et demi
Comme évoqué plus tôt, le tite front comporte un 0tech et deux 4i tech. Mais qu’est-ce que ça veut dire, “tech”? Cela fait référence à la technique utilisée par le DL, c’est à dire sa position par rapport à la ligne offensive. Le système est similaire à celui des Gaps, mais cette fois-ci avec des numéros.

Comme on le voit sur le schéma ci-dessus, on compte 2 chiffres pour 1 lettre. C’est à dire que dans le même gap, un DL peut prendre deux positions différentes, plus ou moins à l’intérieur de la ligne. Le 0, comme le 0tech employé dans le tite front, correspond à un Nose Tackle aligné directement en face du Centre adverse. Les 4i seront eux sur l’épaule intérieure des OT.
Cet alignement est important à retenir, car il est inhabituel. Le positionnement en 4i a un but précis: gêner les courses en zone. Ce genre de course compte sur des déplacements rapides et des double team de la part des linemen offensifs pour bloquer le lineman défensif. L’alignement 4i est une machine anti-double team à lui tout seul. Le DL est très éloigné du OG (ce qui rend son déplacement déliquat) et trop proche du OT pour que celui-ci puisse vraiment apporter de la puissance dans son block. Est-ce que cela détruit le double team? Non. Mais les linemen prennent plus de temps à l’éxécuter. Et comme on l’a vu plus tôt, c’est le but de ce tite front: faire perdre du temps au coureur pour que le reste de la défense accourt.

Cela permet aussi à nos linemen défensifs de contrôler un “gap et demi”. En voilà une autre!
Selon les défenses (bonjour Mr Bellichick) on demande à certains joueurs (typiquement le Nose Tackle) de contrôller 2 gaps à la fois. C’est en effet possible en contrôlant le bloqueur lui-même afin d’empêcher le coureur de passer par sa gauche où sa droite. Donc défendre un gap, c’est possible. Défendre 2 gaps, c’est possible aussi (bien que difficile). Mais 1,5??
C’est pourtant bien ce que Brandon Staley a donné comme consignes à son front. C’est d’abord en partie possible grâce à l’alignement qu’on a vu plus tôt. Rappelez-vous du positionnement du 4i tech: sur l’épaule intérieure du OT. Il est responsable du gap entre le OT et le OG, pourtant avec cet alignement il peut également suffisamment gêner le OT pour empiéter sur le C-gap, à l’extérieur du OT. La méthode Staley se trouve là. Le DT est responsable de son gap mais ne doit pas s’y engouffrer. Il doit l’occuper, et ce faisant contrôler l’un des deux bloqueurs afin de pouvoir impacter une course allant vers un gap voisin.
Est-ce que cette méthode est infaillible? Non, bien sûr. On a vu David Montgomery courir pour plus de 100 yards et 6.8 Y/C dimanche soir, et derrière une OL en miettes. Mais l’essentiel n’est pas là. Le but est de ralentir suffisamment la course avec le moins de joueurs possibles.
Le défaut majeur, le manque de pass rush
Si le Tite front a été inventé au début des années 2000 et popularisé en universités dans la décennie suivante, pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour le voir arriver chez les pros. La première raison, c’est que le Tite front est avant tout une arme contre les attaques Spread et autre RPO qui dominent le football universitaire depuis longtemps et qui arrive seulement en NFL depuis 3-4 ans. Une autre raison, cependant, est le manque de pass rush qu’offre ce système. Si tous les DL sont à l’intérieur de la ligne, ils sont dans de mauvaises conditions pour aller affecter le QB.
Les ajustements viennent donc derrière les 3 de devant. Est-ce qu’il faut privilégier un surnombre derrière pour être efficace en couverture? Ou blitzer afin de compenser le manque de pression sur le passeur? A partir d’ici, les chemins se séparent et plusieurs identités se créent. De son côté, Brandon Staley bénéficiaient du meilleur lineman défensif du siècle en la personne d’Aaron Donald. Le souci du pass rush n’en a donc jamais vraiment été un à Los Angeles.
Au fur et à mesure que cette tendance se transforme en révolution, il sera néanmoins très intéressant de voir comment les coordinateurs défensifs moulent leur unités autour de ce Tite front. Staley a pu intégré cette innovation en NFL grâce au soutien d’un monstre sur la ligne et un autre dans la secondary, faisant ainsi de l'”allocation des ressources” un nouveau débat dans la ligue.
Entrevu comme la révolution défensive de cette décennie, comme la Cover 3 de Seattle le fut dans la précédente, le Tite front n’a pas traîné avant de devenir une référence. En une année, presqu’un cinquième de la ligue s’est laissé tenter par ce schéma si jeune mais déjà si éprouvé. Après des années à être une référence chez les coaches défensifs, Fangio a vu son disciple Staley lancer ce qui deviendra inexorablement “l’arbre Fangio”. Lorsque McVay a embauché Staley, il recherchait le “McVay défensif”. L’héritage laissé par Staley en une seule saison atteste de la réussite de cette embauche.