Rugby

Œil de coach : Quade Cooper fait tomber les Boks

Dimanche 12 Septembre, 14h05, 81ème minute de match, à 40m de l’en-but sud-africain et décalé sur la droite, Quade Cooper voit son coup de pied passer entre les poteaux. Score final, 28-26, l’Australie renverse les Champions du Monde contre toutes attentes. Ce serait un euphémisme de dire que les Wallabies étaient promis à une défaite cinglante tant la planète rugby se moquait d’eux après leurs prestations « peu convaincantes » contre les All Blacks. Pourtant, l’Australie construit un projet sur le long terme, avec un style aux antipodes de ce qui fait la réussite de beaucoup de nations. Cependant pour battre les Springboks, il fallait évoluer, grandir, et passer la dernière marche pragmatique qui manquait temps au rugby de Dave Rennie. Quade Cooper a accompli cette mission.

Le retour de l’enfant prodige

Il était impossible de passer à côté de cette information la semaine dernière. 3 jours avant le match, Dave Rennie le sélectionneur de l’Australie, donnait sa composition pour la journée de Rugby Championship du week-end. Stupeur, point de Noah Lolesio le jeune 5/8e prometteur, titulaire dans les 6 derniers matchs de la sélection, c’est bien le nom de Quade Cooper que l’on retrouvait en n°10 sur la feuille de match.

Cela faisait 1541 jours que Quade Cooper n’avait pas porté le maillot or et vert, exactement depuis le 24 juin 2017, lors d’une entrée de 15 min contre l’Italie. Sa rupture ouverte avec l’ancien sélectionneur Michael Cheika ainsi que son caractère “difficile” ont probablement gâché ces plus belles années rugbystiques, ces choix de carrière aussi, il ne faut pas le nier.

Cependant, à 33 ans aujourd’hui, Quade n’est plus le même homme, aussi fougueux, impétueux voir ingérable. Le joueur a muri, il a accepté dans un premier temps sa place de sparring partner pour ces coéquipiers, puis a été convié aux déplacements lors des matchs en Nouvelle-Zélande, pour enfin (re)connaître les joies de la sélection, sa 71ème.

« Soyez conscient de votre égo dans les bons moments, n’oubliez pas que le parcours n’a pas de ligne d’arrivée. C’est un travail perpétuel continu avec des hauts, des bas, des victoires et des défaites. La clé est une concentration sans fin. Concentrez-vous sur la construction de bonnes habitudes à travers une discipline journalière. »

Quade Cooper sur Twitter

Un choix (d)étonnant ?

Concisément, il est important de présenter le plan de jeu Australien sous Dave Rennie pour ensuite essayer de comprendre ses forces, ses faiblesses et surtout ses limitations à l’instant T. Dans un monde où le rugby de « dépossession » fait rage, où l’apanage de la défense agressive sur l’homme et dans les espaces extérieurs est à son apogée, l’Australie marche à contre-courant. Les Wallabies passent le ballon, beaucoup. 5,4 c’est la moyenne de ballons joués par attaque chez les or et verts, 2 de plus que la moyenne mondiale. Les Australiens déplacent en priorité le ballon sur les extérieurs. Souvent vite mais pas assez bien pour être efficace, et surtout dans des zones qui ne devraient pas le permettre. C’est là que la responsabilité d’une charnière entre en jeu. Le 10 est considéré comme la tête pensante d’une équipe, c’est à lui qu’incombe la responsabilité de faire les bons choix aux bons moments. Jusqu’avant le match contre les Sud-Africains, la sélection australienne subissait sa folie douce sur le terrain, préférant jouer tous ses ballons dans des positions inconfortables plutôt que dans un premier temps gagner ne serait-ce qu’un mètre de territoire. Jeu définitivement agréable pour les spectateurs mais si peu pragmatique et victorieux pour l’équipe.

Ce n’est pas par hasard que Dave Rennie a décidé de confier les rennes de la sélection à Quade Cooper pour le dernier match. Depuis le début des joutes internationales estivales, pleine confiance était donnée au jeune Noah Lolesio. Si le joueur des Brumbies a tout pour devenir un 10 de classe mondiale, il est encore un peu tendre. Son principal défaut, la gestion, la compréhension du rythme, savoir quand attaquer, quand inverser la pression et quand appuyer sur l’accélérateur. En soit, tout ce qui cause du tort à l’Australie aujourd’hui.

Définitions :

Exit Rate : % de fois où une attaque se finit dans une zone du terrain plus avancée que sa zone de départ

Efficacité : Capacité d’une équipe à gagner du terrain, conserver la possession et marquer dans un minimum de phases de jeu. Une note de 20 étant mauvaise, 25 faible, 30 moyenne, 35 bonne et <40 excellente

L’Exit Rate et l’Efficacité sont intéressantes à explorer pour comprendre là où Lolesio a pêché lors de ses 5 dernières sorties. Avec lui, le score d’efficacité de l’attaque des Wallabies est de 30.4 en moyenne. La variation de ce score est quasi-nulle, une constante ressort, le plan de jeu australien exploité avec Lolesio n’est tout simplement pas efficace. Dans la zone 22-50 de son propre camp, le constat est encore plus « dérangeant », le score d’efficacité descend à 25.43 alors que c’est la zone la plus exploitée par les Australiens en attaque (20 possessions par match en moyenne). Difficile de dire si la faute est inhérente au numéro 10 ou au système de jeu ici, toujours est-il que l’Australie dans cette zone utilise le pied seulement 0,47 fois par attaque avec Noah Lolesio un taux faible (mais voulu)

Résumé statistique de l’Australie sur les 5 derniers matchs de Lolesio avec l’équipe. source : @rugbycology

L’Exit Rate du demi-d’ouverture des Brumbies est lui de 52,92%, avec un manque criant d’avancée offensive en zone de marque ou la statistique tombe à 22.41% sur un peu plus de 10 possessions par match. Il faut donc comprendre ici que 2 attaques australiennes sur 10 dans les 22 m adverses finiront plus proche de la ligne d’en-but qu’elles ne l’ont commencé. Un score ridiculement faible pour une équipe qui peine trop à franchir la ligne dès que les défenses se resserrent. Dans cette zone, le demi-d’ouverture ne trouve plus les solutions et oublient même la force principale de l’équipe, le mouvement du ballon (0,96 passes par rucks en moyenne)

Pour résumer, avec Lolesio, l’Australie a quelques peines à faire évoluer son rugby de mouvement. La faute à une gestion approximative des interzones (50-22), la perte de la bataille territoriale, et à un pragmatisme inexistant dans les zones de marques. Des problèmes en petit nombre mais d’une importance capitale pour lesquelles il fallait trouver une solution.

Mini problème, Maxi Cooper

Enflammer un match ? Jouer à haute intensité ? Réaliser des exploits ? On le sait tous… Quade Cooper en est capable. Dans l’attaque gros volume et jeu extérieur de l’Australie la décision de titulariser Quade en numéro 10 ne choque pas. On peut même rajouter à cela une technique en un contre un bien au-dessus de la moyenne qui offre une option supplémentaire avec un 10 capable d’attaquer la ligne et de faire jouer dans les petits espaces. La question étant plutôt la suivante : est-il capable de se muer en gestionnaire ?

Quade nous l’a montré, la réponse est oui. Avec Cooper, l’Australie a respecté la domination territoriale. L’Exit Rate de la sélection est de 63% sur le dernier match, 10 points de plus qu’avec Lolesio en moyenne. L’Australie a tout simplement avancé plus souvent avec Quade aux manettes contre une équipe réputée pourtant tenace dans le domaine. Le constat est là, moins de passes, moins de rucks et un peu plus de pied dans sa propre moitié de terrain (0,6 coup de pied par attaque) sans jamais pour autant oublier le fondement principal : le jeu de mouvement.

Alors, certes, en jouant comme ceci, l’Australie se procure moins de possessions notamment chez leurs adversaires (la faute aussi à des Boks qui rendent allégrement le ballon même dans le camp adverse). L’attaque est aussi moins efficace depuis sa moitié de terrain avec moins de ballons exploités, mais en contrepartie, elle devient létale en développant son rugby un peu plus profondément dans le terrain, 75.6 en score d’efficacité dans les 22 m adverses tout en réalisant en moyenne 2.20 rucks par attaque et 2 passes par rucks pour un Exit Rate de 60%. Avec Cooper, l’Australie occupe plus puis se permet de jouer des phases de conservation longues en zone de marque tout en continuant à insuffler un mouvement et des passes en permanence. C’est aussi la première fois depuis la série de matchs internationaux de cette été que l’Australie a un score d’efficacité global supérieur à son opposant (39.3 vs 35.58), un effet Cooper vous dites ?

Revanche samedi 18 septembre à 9h05 entre les Australiens et les Sud-africains avec à nouveau Quade Cooper titulaire pour les Wallabies. Dave Rennie a-t-il trouvé la formule miracle, un équilibre si difficile entre volonté affichée de jeu extérieur appliqué et de pragmatisme ? Réponse imminente.

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