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De la campagne frioulane au toit du monde, la grande histoire de Dino Zoff

Dino Zoff (Crédit : Transfermarkt)

Il y a un peu plus de 60 ans, la Serie A découvrait ce qui allait devenir un monument. Dino Zoff n’avait que 19 ans lors de cet Udinese – Fiorentina, le 24 septembre 1961. Saison après saison, l’Italien s’est construit un nom. Performance après performance, il s’est construit une légende. Leader silencieux, mais meneur d’homme, Dino est l’un des plus grands gardiens que cette Terre ait jamais porté. Portrait.

« Je n’avais ni idole, ni modèle »

C’est dans le Nord-Est de l’Italie, que Dino Zoff ouvre les yeux pour la première fois, le 28 février 1942. Dino. Déjà, ses parents voient en lui un mythe. Dyonisos, dieu du vin et du délire extatique. Ça ne sera pas dans les vignes qu’il sera le meilleur, mais bien avec des gants, sur un terrain de football. 

Dans la boue, Dino se découvre une passion pour le poste de gardien de but. « Je ne pensais qu’au football », dira-t-il au Corriere dello Sport en parlant de son enfance. S’il a commencé à jouer à ce poste, il ne sait pas trop pourquoi : « Je n’avais ni idole, ni modèle », si ce n’est Fausto Coppi, légendaire cycliste, et le marcheur Abdon Pamich. Tous deux étant réputés comme des concurrents « modestes », discrets, mais hautement professionnels. Mais il joue avec les adultes, qui, parfois, le harcèlent. « Ils m’ont pris pour l’idiot du village. Il y avait beaucoup de boue par chez nous, et ils me faisaient toujours plonger du côté où il y en avait ».

Dino Zoff, au début de sa carrière (Crédit : Goal)

Mais Dino est bon, meilleur que les autres, et commence à nourrir des rêves de carrières professionnelles. Un rêve qui se brise très rapidement, dès ses 14 ans. Dino n’est que Dino. Il mesure 1 mètre 60 et est refusé aux tests d’entrées de l’Inter et de la Juventus. « Trop frêle », lui dit-on. Il accepte son destin et rentre travailler avec son père, au sein de la ferme familiale. Son paternel lui apprend alors le métier de mécanicien. Dino est définitivement doué avec ses mains. 

Mais sa grand-mère maternelle ne se satisfait pas de sa situation. « Tu dois manger des œufs », lui dit-elle. Un régime qui fonctionne. Il gagne plus de 20 centimètres, et après cinq ans au sein du club local de Marianese, il intègre l’Udinese. Il quitte alors son travail de mécanicien et s’apprête à écrire un nouveau chapitre. 

« Pendant l’entracte, il y a eu la Settima Incom, je me suis enfoncé dans mon fauteuil » 

À Udine, il découvre la Série A. Et redécouvre l’échec. Dino n’est toujours que Dino. Pour son entrée en matière, le 24 septembre 1961, il doit aller chercher le cuir cinq fois au fond de ses filets. Sa carrière débute par une défaite, 5-2, face à la Fiorentina. Quelques jours plus tard, il se rend au cinéma. « Pendant l’entracte, il y a eu la Settimana Incom (petit programme italien traitant de l’actualité et diffusé en salle). Ils ont montré les buts du match, je me suis enfoncé dans mon fauteuil », avoue-t-il, un brin honteux.

Extrait presse l’Unità del Lunedì, le 25 septembre 1961.

Il va attendre six mois, jusqu’au le 1er avril 1962, pour retrouver l’odeur d’un match. Il en joue trois. Deux victoires, un match nul. Insuffisant pour se maintenir. L’Udinese est relégué en Serie B. En deuxième division, les valeurs apprises plus jeune, dans les champs, lui servent. Il se bat. Et malgré ses 12 clean-sheet en 36 matchs (il ne rate que deux rencontres.) L’Udinese termine 14e.

« J’ai de merveilleux souvenirs de cette période » 

Sa carrière décolle réellement avec son recrutement à Montova, en 1963. Il a 21 ans et est recruté pour environ 20 millions de lires, sur le souhaite de Luigi Bonizzoni. Mais il est encore trop jeune pour prétendre à une place de titulaire. C’est donc sur le banc qu’il pense s’asseoir, le n°1 étant Attilio Santarelli. « Les onze titulaires avaient une prime de match, et trois ou quatre primes étaient réparties entre les autres joueurs de l’équipe, explique-t-il au Corriere dello Sport. Santerelli m’a appelé et m’a dit que, pour les gardiens, nous allons verser les primes de matchs dans un pot commun et que l’on partagerait équivalemment. J’ai été très honoré et impressionné par une telle générosité. » Cette première saison, il dispute finalement 27 matchs, profitant d’une blessure de son coéquipier. « Pensez à qui a profité le marché », plaisantait-il, des années plus tard.

Les plus beaux arrêts de Dino Zoff.

À Mantoue, pendant quatre ans, il grandit aux côtés de Gigi Simoni, de Gustavo Giagoni, de Nicolè, de Sormani, de Schnellinger. En 131 matchs, il n’encaisse que 111 buts. Mais malgré ses bonnes prestations, il ne participe pas à la Coupe du monde 1966 en Angleterre. Albertosi, Anzolin et Pizzaballa seront, en revanche, de la partie. « Edmondo Fabbri (sélectionneur de La Nazionale) ne voulait pas être accusé de favoritisme, étant lui-même de Mantoue », croit savoir Zoff. 

Mais outre le football, c’est dans sa vie personnelle que Mantoue a une connotation particulière. C’est ici qu’il rencontre sa femme, Annamaria Passerini. Et c’est ici, qu’en 1967, son premier fils naît : Marco Zoff. «J’ai de merveilleux souvenirs de cette période. C’est une ville tellement vivante. » 

« Je donnais l’impression d’être froid et détaché »

À l’été 67, il est l’un de ceux qui font le mercato. Il était destiné à rejoindre Milan, mais le transfert saute au dernier moment. Un peu avant minuit, au dernier jour, il rejoint le Napoli. Il devient Monsieur 130 millions (de lires). Dino devient surtout Dino Zoff. Là, commence un enchaînement défiant toute logique. Du 24 septembre 1967, contre l’Atalanta, au 12 mars 1972, face à l’Inter, le portier ne manque pas un seul match. Il dispute 143 rencontres consécutives. Une blessure mettra un terme à cette série.

Extrait de La Stampa, après sa blessure en 1972.

Dino Zoff est vu par son entourage comme une personne taciturne. Dans les vestiaires, il préfère rester muet. Ce qui donne encore plus de poids quand il prend la parole. « Il a appris à s’exprimer en utilisant ses silences et ses yeux », disait de lui un ancien coach. « Je donnais cette impression-là, d’être froid et détaché. Mais derrière tout cela, il y avait beaucoup de modestie. J’étais très pudique et par conséquent assez peu médiatique. »

Mais cela ne l’empêche pas de parler tactique avec ses coéquipiers. « Zoff est l’un des joueurs les plus sérieux que j’ai connu. Il avait une confiance absolue dans la maxime ‘Le travail produit des résultats’. Sur ses camarades, son ascendance était forte. Avant chaque match, il prenait part à l’analyse technico-tactique des forces et des faiblesses des adversaires », racontait Giovanni Trapattoni, son entraîneur à la Juventus.

À l’instar de Trapattoni, Enzo Bearzot, sélectionneur de la Squadra Azzura, a toujours été proche de Dino. En témoigne le baisé adressé par le portier après sa parade la plus célèbre sur Oscar, lors du dernier match du second tour de la Coupe du monde 1982. « Pour moi, ce moment éphémère a été le plus intense de toute la Coupe du monde », a déclaré après coup le sélectionneur.

Son arrêt devant Oscar, considéré comme le plus beau de sa carrière.

« Je me souviens que, alors que j’étais en l’air, j’avais déjà honte »

Ce tendre baiser résume parfaitement l’histoire de Dino et de la sélection nationale. Elle commence par une victoire contre la Bulgarie, à l’occasion du quart de finale de l’Euro 68. Compétition que l’Italie remporte. Et elle se termine de la même manière, avec une médaille au cou. En 1982, lors du Mondial espagnol, il soulève le trophée après une victoire 3-1 sur l’Allemagne de l’Ouest. Cérémonie durant laquelle il essaye d’embrasser la reine. 

Dino Zoff soulève la Coupe du monde, en 1982 (Crédit : ©Bob Thomas/Getty Images)

Pour ses débuts, il profite, là encore, des blessures d’Enrico Albertosi et de Lido Vieri. C’est donc Roberto Anzolin et Dino Zoff que Ferruccio Valcareggi selectionne. « Jusqu’à quelques heures avant le match, je ne savais pas qui aligner. Puis j’ai choisi Zoff, son enthousiasme de rookie m’a convaincu », avoua-t-il. Ce match se jouait à Naples, stade que Zoff connait bien. « Lorsque le speaker a annoncé son nom, il y a eu un tel élan de joie qu’on a eu le souffle coupé. Nous menions 1-0 avant même de commencer », poursuit le sélectionneur. Mais avec le maillot italien, il n’arrive à sécuriser sa place qu’à l’issue de la rencontre face à l’Espagne, le 20 février 1971, en mettant Albertosi sur le banc. Ironie du sort, ce match s’est disputé dans l’antre de celui qui perd alors sa place, à Cagliari.

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Gardien atypique, Zoff révolutionne le poste de gardien de but, dans un style liant sobriété et efficacité. Exemplaire sur sa ligne, ne faisant que très peu de fautes de main, il priorise son placement aux envolées. «J’ai toujours recherché la simplicité. J’essayais de compenser le caractère théâtral d’un plongeon par le placement. Je me souviens que, alors que j’étais en l’air, j’avais déjà honte », explique-t-il. Il tente également de bloquer les ballons plutôt que de les repousser. Moins spectaculaire, mais plus efficace.

Une approche qui lui permet d’établir un nouveau record. D’Italie – Yougoslavie, le 20 septembre 1972, à Haïti – Italie, le 15 juin 1974, il n’encaisse aucun but. 1143 minutes d’invincibilité. Il deviendra ensuite capitaine de la sélection, en 1979, dispute sa quatrième Coupe du monde, en 1982, durant laquelle il dépasse la barre des 100 sélections, réalise son plus bel arrêt et devient le plus vieux champion du monde. 

Dino Zoff interviewé par Michel Platini.

« Tout ce que j’ai, je l’ai gagné en travaillant dur » 

Dix ans plus tôt, en 1972, il signe dans son quatrième et dernier club : la Juventus. Il y jouera 11 saisons. Dino Zoff devient SuperDino. Durant ces années, les records tombent, tous participant au mythe Zoff. En 1972-1973, il garde sa cage inviolée pendant 903 minutes et termine 2e au Ballon d’Or. En 1981-1982, il n’encaisse que 14 buts en championnats. Il joue 570 fois sous le maillot bianconneri. Mais lui n’accorde que très peu d’importance à ces records sur le plan personnel. « Ils ne sont importants que parce qu’ils font le bien de l’équipe. Le seul qui m’importe vraiment est celui des 330 matchs consécutifs à la Juve. » 

Dino, sans gant (Crédit : Goal)

Dur, travailleur, perfectionniste, Dino Zoff n’a jamais cessé d’apprendre. « Tout ce que j’ai, je l’ai gagné en travaillant dur », dit-il, en faisant référence à sa campagne natale. Et s’il réussit à jouer jusqu’à 43 ans, c’est grâce à sa capacité d’apprendre constamment. « J’ai eu l’opportunité d’acquérir des connaissances et accumuler des expériences particulières », avance le frioulan. 

« De M. Berlusconi, je ne prends pas de leçons de dignité » 

L’annonce de sa retraite arrive le 2 juin 1983. Il a 43 ans, et accepte d’abord le poste d’entraîneur des gardiens à la Juventus. « Je ne peux pas suivre l’âge », dira-t-il. Mais il réalise très vite que ce poste est « un travail sans avenir pour moi ». Il s’engage donc avec l’équipe nationale olympique et parvient à qualifier l’équipe pour les JO de 1988 à Séoul, terminant 4e de la compétition. 

Zoff à la Fio (Crédit : DR)

Il finit par revenir à la Juve, comme entraîneur principal, cette fois. Deux fois quatrième en championnat, il remporte la Coupe d’Italie et la Coupe UEFA en 1990. Il est alors victime de la restructuration du club. Homme de peu de choses, il n’a pas grand-chose à enlever de son casier, alors presque vide. Il manque également le déjeuner d’adieu offert par Vittoria Caissotti di Chiusano, alors néo-président. Il lui demande de le libérer de son contrat pour partir à Rome et signer à la Lazio. 

« J’apporte deux coupes de Turin et je suis heureux que les gens puissent attendre quelque chose de moi, mais il faut tenir compte de la cohérence de l’équipe et des objectifs. L’atmosphère du football international va me manquer, oui. Mais mon enthousiasme ne sera pas différent. Je quitte Turin sans penser si je reviendrai un jour ou si ce sera une séparation qui ne durera pas longtemps : si je raisonnais ainsi, je ne serais pas honnête avec ceux qui m’engagent. Que pensez-vous que je laisserai derrière moi dans cette ville ? Rien, ou peut-être un bon souvenir. »

Dino Zoff.
Dino Zoff, en 2018 (Crédit : afp.com/Alberto PIZZOLI)

Il ramène la Lazio sur le devant de la scène italienne en terminant 5e en 1992-1993. En 1997, alors qu’il occupe le poste de président, il prend le relais de Zdenėk Zeman, entraîneur limogé. Il restera au club jusqu’en 1998, année où il prend les rênes de l’équipe national avec pour objectif l’Euro 2000. L’histoire, on la connaît. Pour Zoff, elle se termine avec le ballon de Trézéguet. Il est alors vivement critiqué par Berlusconi, alors président de l’AC Milan et député :

Pour le bien de mon pays, je me tais. Parce que j’ai vraiment… J’étais désolé, mais aussi indigné. Vous pouviez absolument gagner, vous deviez gagner. […] Mais il n’était pas possible de ne pas voir certaines choses qui se passaient sur le terrain et il fallait y remédier. On ne peut pas laisser la source du jeu, Zidane, être l’initiateur de toutes les actions adverses. […] C’était quelque chose que nous ne pouvions pas manquer en regardant le match. Un amateur l’aurait vu et aurait gagné si Zidane avait été arrêté. Nos joueurs sont restés à quatre, cinq mètres de lui. Il n’était pas possible qu’un entraîneur professionnel ne voie pas une telle chose. […] Ce que j’ai vu hier soir était indigne. 

Silvio Berlusconi, président de l’AC Milan et député.

La réaction de Zoff ne se fera pas attendre. « De M. Berlusconi, je ne prends pas de leçon de dignité. Il n’est pas juste de dénigrer publiquement le travail des autres, il n’est pas juste qu’un homme qui fait son travail avec dévouement et humilité ne soit pas respecté ». Il démissionne, « par dignité ». Une décision aussi soudaine « que le but de Wiltord à la 94’ », plaisante-t-il. « J’écoute toutes les critiques, je ne suis pas un fondamentaliste, je n’ai pas inventé le football. Mais le terme indignité a été utilisé et je ne pouvais pas l’accepter »

Il fait une dernière pige à la Fiorentina, en 2004-2005, de janvier à juin en évitant à la Viola les play-offs. Puis se retire définitivement du football en laissant une trace indélébile sur son sport, sur son poste. Les gardiens de but sont censés être un peu fou. Les capitaines extravertis. Dino Zoff n’était ni l’un ni l’autre.

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