Le 25 mars 2021 restera une date historique pour le football libyen. Après sept ans d’embargo, la sélection a retrouvé son stade des Martyrs de Benina. Le pays sort d’une décennie éprouvante marquée par la guerre et l’instabilité. Comme le reste de la société, le football a été profondément impacté. Cependant, après dix ans de tensions et d’incertitudes, la région semble apercevoir le bout du tunnel. Et si le ballon rond accompagnait sa reconstruction ?
2011, le Printemps Arabe secoue le Maghreb. En Libye, le colonel Kadhafi, arrivé au pouvoir en 1969, est contraint de céder sa place à la suite de manifestations sans précédent. Malheureusement, cette révolte populaire n’a pas débouché sur les changements escomptés. Depuis 2014, cet État, coupé en deux blocs principaux, est paralysé par de tragiques tensions internes. Dans ce contexte, le football n’a pas été épargné. Dès les premiers bouleversements de 2011, le championnat est interrompu alors que la Confédération Africaine de Football (CAF) oblige les Chevaliers de la Méditerranée à évoluer sur terrain neutre en Tunisie ou en Égypte.
Un coup dur pour le football libyen, déjà en retrait par rapport à ses voisins : “Ça a toujours été le parent pauvre du football nord africain” confirme Lotfi Wada. Pour l’expliquer, le journaliste spécialisé, électeur à deux reprises pour le Ballon d’or africain de la BBC, évoque notamment la faible considération des autorités. En témoignent les propos tenus par Kadhafi lors de la Coupe d’Afrique des Nations 1982, organisée à domicile : “Je vous laisse avec votre jeu stupide” avait-il assené avant de quitter le stade. Les difficultés du sport roi se retrouvent dans les résultats. La sélection n’a disputé qu’une finale de CAN (1982). Même constat pour les clubs qui n’ont jamais atteint la finale d’une compétition continentale.
Pendant la guerre civile, le ballon rond a bien tenté de se relancer. Mais les conditions n’ont pas permis une reprise sereine et durable. En dix ans, trois saisons sont allées à leur terme (13/14 ; 2016 ; 17/18). L’exercice 18-19 a par exemple été arrêté par manque de sécurité. Des anecdotes de Lotfi Wada attestent de ce climat compliqué : “Il y a eu une période où la sélection a pu jouer à domicile mais ça à duré deux matchs. C’était à l’été 2013, mais l’ambiance c’était vraiment la guerre. Elle avait accueilli le Togo et le Congo. L’ambiance était phénoménale. Elle marque, on a l’impression que le stade explose et tu entends des mitraillettes (…) Il y a eu aussi la finale de la Coupe de Libye avec des tirs de kalachnikov, il y a trois, quatre ans (2018 ndlr)”.
Un nouvel espoir entrevu depuis quelques mois
Néanmoins, la situation politique semble aujourd’hui s’améliorer. En mars, la France a rouvert son ambassade à Tripoli tandis qu’un président doit être élu fin décembre. Dans ces conditions, le football a repris, plus sereinement. “C’est mieux organisé, le pays est sûr, que ce soit la région de Tripoli ou celle de Benghazi, ce qui diffère des années précédentes” affirme Lotfi Wada. Un championnat s’est d’ailleurs tenu cette année entre janvier et juin. La saison 21/22 devrait démarrer dans les prochaines semaines. Et pour la première fois depuis 2014, les Chevaliers de la Méditerranée peuvent de nouveau évoluer à domicile.
Ces derniers mois constituent donc un moment charnière comme le souligne le journaliste : “Ça a marqué le retour à la vie normale pour le foot Libyen“. Plus largement, cette reprise pourrait aider la population : “C’est un retour à la vie. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point le peuple libyen aime ce sport. C’est un retour dont nous avions besoin. Seul le football rassemble le peuple libyen ces dernières années après les moments difficiles que le pays a traversés“, confie de son côté le créateur de Libyan Football.

À l’instar des autres nations du Maghreb, la ferveur autour du sport roi est prégnante en Libye. “Ils sont extrêmement passionnés. Les derbys de Tripoli, à l’époque, c’était 80000 personnes, un côté rouge, un côté vert, décrit Lofti Wada. C’est un mélange de tout. Il y a un peu d’Argentine, avec des choses qui sont jetées, des feux d’artifices, des ultras. Il y a une vraie culture foot mais eux il n’ont pas les succès à l’échelle africaine. Ça ne les fait pas connaître mais il y a une immense culture foot” insiste l’écrivain.
Le football libyen, acteur social et économique ?
L’importance du ballon rond ne se voit pas uniquement à travers la ferveur dans les gradins. L’expert du football africain détaille aussi le rôle social des clubs : “Ils sont un peu sur le modèle espagnol. Les membres du club élisent le président, donc tu te sens directement lié et les clubs ont quelques infrastructures. Ce n’est pas rare de les voir accueillir la prière pendant les fêtes sacrés, par exemple l’Aïd. Il y a vraiment un lien, un tissu social important. C’est ce qui différencie les clubs nord-africains, c’est des lieux de vie. En plus c’est pas des clubs uniquement football, c’est des clubs multisports. Ça permet de drainer beaucoup de supporters et d’avoir une culture club. Tu peux limite passer toute ta journée dans ton club“.
D’après Lotfi Wada, les bénéfices économiques liés au retour du ballon rond ne doivent pas non plus être négligés : “Il y a des joueurs étrangers qui commencent à venir. S’il y a de la stabilité ça peut aider le pays, car il y a des clubs qui ont des projets. Al Ahli Benghazi est en train de trouver un accord avec une grosse entreprise pour construire des bâtiments, pour renouveler ses infrastructures, ça peut créer des emplois“. L’écrivain mentionne également les possibles embauches liées à la couverture médiatique du championnat.

Pour exalter ces apports, le pays peut compter sur des joueurs talentueux. “Selon moi, c’est une des meilleures équipes d’Afrique, c’est la meilleure génération depuis 1982” s’enthousiasme le journaliste. Déjà, en 2015, les Chevaliers de la Méditerranée ont décroché le CHAN (avec un peu de réussite car toutes les rencontres à élimination directe ont été remportées aux tirs au but). Ce succès constitue le premier trophée du football libyen : “Il y avait des scènes incroyables dans les rues, c’était mémorable” se souvient Lotfi Wada. Depuis, d’autres talents sont apparus comme Moatasem Al Musrati qui évolue à Braga. De plus, Javier Clemente, l’entraîneur en poste en 2015, a été rappelé à la tête de la sélection en juin.
Des résultats récents prometteurs pour porter les espoirs du pays
Sur le rectangle vert, les dernières performances sont encourageantes. Al-Ittihad Tripoli et Al-Ahli Tripoli se sont qualifiés pour le premier tour de la LDC et de la Coupe de la Confédération. De son côté, l’équipe nationale a dominé l’Angola (0-1) et le Gabon (2-1) lors des qualifications du mondial 2022. Les Chevaliers de la Méditerranée sont en tête du groupe F, devant l’Égypte. Ces résultats peuvent paraître étonnants au vu des difficultés développées plus haut. Le compte de Libyan Football pointe également du doigt l’instabilité au poste de sélectionneur. Pour autant, le détenteur de ce compte Twitter ne semble pas si surpris. Il met par exemple en avant le travail du nouveau coach, la qualité des joueurs et les bénéfices apportés par la préparation effectuée en Turquie. Évidemment, rien n’est acquis. En juin, la sélection n’avait pas réussi à composter son billet pour la Coupe Arabe en s’inclinant contre le Soudan (0-1) lors du tour préliminaire.

Avant de défier les Pharaons (ce soir et le 11 octobre), les hommes de Javier Clemente ont également profité d’un stage à Antalya. La Fédération a repoussé le début de la prochaine saison afin de préparer au mieux ces matchs cruciaux. Signe que le pays commence peut-être à croire à l’exploit, et en son football. Cette double confrontation s’annonce aussi explosive que décisive. Pas impressionné par le niveau des autres formations, Lotfi Wada estime que la Libye a ses chances : “Il y a des points positifs, ils peuvent rêver des barrages. Et en barrage, bon courage à ceux qui vont les tirer“. En cas de victoire(s), ce vendredi et lundi, la sélection embarquerait avec elle une nation toute entière dans une formidable aventure.
(Crédit photo de couverture : Lotfi Wada)