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La faillite des clubs anglais, un phénomène de plus en plus inquiétant

Le 23 septembre dernier, le club de Derby County qui est en deuxième division anglaise, l’EFL Championship, a annoncé déposé le bilan. Ce n’est malheureusement pas le premier club qui se situe hors de la Premier League et qui tombe en faillite. Beaucoup de clubs souffrent de problèmes économiques, depuis avant la pandémie de Covid et la situation ne risque pas de s’améliorer dans les prochaines années.

Le système économique du foot anglais a toujours fait rêver : des salaires démentiels, un niveau de jeu élevé, des stades pleins chaque week-end… Beaucoup de joueurs ont tentés l’aventure britannique, en espérant rencontrer le succès, tout en ayant une part du gâteau. Malheureusement ces dernières années, le mythe commence à s’effondrer. Plusieurs clubs ont dû être relégué administrativement, à cause d’ingérance de la part des dirigeants, avec des supporters qui se demandent encore, comment ils ont pu passer du rêve de la Premier League, au cauchmar des divisions inférieures.

La folie des grandeurs 

Le cas de Derby County ne fait pas exception à la règle, il est juste le dernier d’une trop longue liste de clubs ayant investi des millions à perte sans réfléchir aux conséquences. Le club n’a pour le moment été sanctionné que de 12 points de pénalité, avant une possible plus grosse sanction en fin de saison. Cette situation n’est pas sans rappeler celle de Crystal Palace en 2010 qui se sauve à la dernière journée en D2 avant de se faire racheter en juin de la même année. Les clubs de Championship veulent absolument tenter tous les paris possibles pour accéder à un des trois tickets d’or qui permettent d’atteindre la PL. Et cela peut amener à d’énormes sacrifices, comme ruiner leur modèle économique. 

Masses salariales des clubs de Championship au cours de la saison 2018-2019. © Twitter.com @KieranMaguire

Les dépenses en masse salariale peuvent être considérées comme des paris risqués si l’objectif de monter en Premier League n’est pas atteint derrière. Si on regarde le graphique ci-dessus, Derby County possédait la cinquième plus grosse masse salariale moyenne de Championship en 2018-2019. Trois ans plus tard, le club est englué en deuxième division et se trouve en faillite. Une solution semble être la plus évidente pour stopper l’hémorragie mais elle divise de nombreux propriétaires de clubs : le Salary Cap. Mais comme le site spécialisé du foot anglais God Save The foot le mentionne, “trouver un juste milieu entre promus de League One et relégués de Premier League à la masse salariale mirobolante, reste de l’ordre de l’improbable, voire de l’impossible”, encore plus quand on voit les politiques économiques de certains clubs. 

Revenus de chaque équipe de Premier League à la fin de la saison 2018/2019 (Source: Premierleague.com)
Revenus des clubs de Football League au cours des saisons 2017-2018 et 2018-2019. © www2.deloitte.com

Et si certains dirigeants sont prêts à dépenser des millions pour combler les dettes et former des équipes compétitives, d’autres ne sont pas prêts à prendre ce risque. Il est impossible de ne pas mentionner le cas de Wigan. Racheté courant 2020 pour £17.5m par une société, Next Leader Fund, le club a été relégué en fin de saison 2019-2020 mais le scandale commence quand une vidéo d’un membre du board de la Premier League, Rick Parry émet l’hypothèse d’un pari du propriétaire du club en Thailande comme quoi Wigan serait relégué en fin de saison. L’histoire est rocambolesque et montre également le danger possible des sponsors de paris sportifs au sein des clubs de foot. 

La démesure salariale de la Championship risque de lui causer sa perte, tant les risques non calculés sont nombreux dans ce championnat. Mais en 2020, l’arrivée du Covid a bouleversé tous les plans des clubs. 

Une tendance dépensière remise en cause par le Covid et un fair-play financier ?

Le coronavirus et ses conséquences économiques ont eu le mérite de modifier l’approche de certains boards. “On s’aperçoit que le Covid a éveillé quelques consciences et a apporté un peu de mesure dans la démarche de dirigeants de quelques clubs.” affirme le créateur du compte Twitter FR EFL Championship. En témoignent les statistiques du dernier mercato estival, relayées par The Athletic : cet été, 8 des 24 pensionnaires de deuxième division n’ont pas dépensé d’argent, 126 joueurs se sont engagés en prêt ou en tant qu’agent libre et seulement 37 mouvements ont été réalisés moyennant des indemnités.

Avant cela, les dirigeants anglais ont tenté de prendre quelques dispositions. Comme le mentionne le détenteur du compte dédié au deuxième échelon anglais dans God Save The foot, les profitability and sustainability rules ont été instituées dès la saison 16/17. Ce fair-play financier vise à limiter les pertes des clubs à 39 millions d’euros sur trois ans. Les mauvais élèves risquent une interdiction de transfert voire un retrait de points (jusqu’à 12). Mais d’après le fan de football britannique, ces mesures ne sont pas unanimement acceptées : “Les clubs réussissent à trouver des vides (juridiques). Du coup t’as deux clans qui se dégagent, ceux qui veulent l’application des règles avec plus de sévérité (Steve Gibson proprio de Boro) et ceux qui estiment que tant que les fonds sont disponibles il n’y a pas de raisons de priver les clubs de dépenser peu importe leurs revenus (Stoke, Reading)“. Les deux tableaux ci-dessous présentent le bilan sur le mercato des formations passées par l’EFL Championship depuis 5 ans. À noter que les plus dépensières sont actuellement ou ont évolué en Premier League sur cette période. À l’inverse, les plus raisonnables sont présentes en D2 depuis plusieurs années ou débarquent tout juste en provenance de League One. Ces chiffres peuvent attester de l’existence de deux approches distinctes, notamment induites par les différences économiques importantes entre les divisions.

Récapitulatif de la balance des transferts des différents clubs passés par le Championship entre 2016 et aujourd’hui (Crédit : Transfermarkt)

Si l’épidémie a permis une accalmie, la dynamique dépensière semble encore exister. D’autres problèmes financiers pourraient donc arriver à l’avenir. Pour les équipes déjà déclassées, la remise en route peut s’avérer compliquée. Portsmouth et Bolton ont été relégués en League Two (quatrième division, respectivement en 2013 et 2019) à la suite de grosses difficultés économiques et demeurent en League One. De son côté, Bury, mis en sommeil en 2019 pour sa mauvaise gestion, n’a toujours pas repris son activité. Cependant, les deux premiers clubs cités ont profité de leur descente aux enfers pour faire des choix singuliers et ambitieux. Sauvé par la mobilisation de ses supporters, Pompey est retombé sous le giron d’un homme d’affaires en 2017, avec son rachat par Michael Eisner. Néanmoins, la politique économique a changé : “le modèle doit être autosuffisant” déclarait en 2019 Ashley Brown, ancien président du Portsmouth Supporter Trust, à Sky Sports. Pour favoriser la croissance de la formation du Hampshire, le board a désormais tendance à privilégier un projet d’infrastructure à un transfert important.

Des supporters de plus en plus investis et intégrés dans la gestion des clubs ?

Depuis le sauvetage, les supporters ont également acquis une place spécifique. En 2013, le PST a nommé certains des nouveaux dirigeants des pensionnaires de Fratton Park et notamment Mark Catlin au poste de directeur général. Huit ans après, ce dernier est encore en place. Comme rapporté dans les colonnes de Sky, le DG de Pompey répond toujours aux messages et aux appels des fans. Ce lien fait aujourd’hui partie de l’ADN du club. “Nous avons mis en place toute une série de moyens pour revenir et nous engager auprès du public” détaillait Brown au média britannique. Par exemple, tous les deux mois, des conférences sont organisées entre des représentants de groupes de fans, en présence d’Anna Mitchell, la directrice commerciale et de Tony Brown, le directeur des opérations.

Certaines équipes vont plus loin que Portsmouth et sont détenues uniquement par leurs supporters. L’Angleterre compte près de 50 clubs communautaires. Ces implications, plus ou moins majoritaires, pourraient inspirer d’autres initiatives. Dans un entretien accordé à Four Four Two, les suiveurs de Bury développent des intentions similaires : “Nous envisageons un modèle de propriété à 51%, comme la Bundesliga, qui garantirait qu’aucune des choses qui se sont passées ne pourrait se reproduire“. Plus récemment, les admirateurs d’Oldham se sont mobilisés pour demander le départ de leur président. Au-delà des manifestations, les fans agissent en coulisse. Dans le Guardian, la Fondation des supporters d’Oldham Athletic, qui détient 3% du club, a exprimé son idée de créer un fonds de secours afin d’aider le OAFC si besoin. 

Pour se reconstruire, une structure en faillite peut aussi s’appuyer sur un nouveau projet sportif. Bolton est par exemple allé chercher Ian Evatt. Ce coach a attiré l’attention des observateurs grâce à son travail accompli du côté de Barrow en National League (D5). Le technicien britannique a ramené les Bluebirds en quatrième division pour la première fois depuis 1972. Outre la performance, l’équipe s’est distinguée par son style de jeu attrayant qui lui a valu le surnom de Barrowcelona. Chez les Wanderers, Ian Evatt a connu des débuts difficiles. Cependant les pensionnaires du Macron Stadium ont privilégié la stabilité. Bolton s’est relevé et a réalisé une fin de saison 20/21 canon. 15 victoires lors des 20 derniers matchs ont permis d’arracher l’accession en D3. Actuellement dixième avec 18 points, les Trotters ne sont qu’à trois unités des places de barragistes mais vont devoir s’accrocher pour jouer la montée.

Après des années marquées par des dépenses toujours plus folles, l’English Football League semble arriver à un tournant. Les nombreuses faillites et les reconstructions des formations concernées montrent que d’autres façons de faire sont possibles et souhaitables. Ces derniers mois, le coronavirus a même exacerbé les limites d’un modèle déjà instable, ce qui a également mis en lumière l’importance des supporters. Les dirigeants des clubs mais aussi des différents championnats professionnels doivent trouver des solutions pérennes, afin d’éviter le naufrage des divisions inférieures anglaises.

(Crédit photo de couverture : www.itv.com)

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