29 novembre 2020 : C’est à cette date qu’a eu lieu ce qui est sans doute l’un des moments les plus choquants de ces 10 dernières années en Formule 1. Oui, ce jour-ci, Romain Grosjean connaissait, pour l’un de ses derniers grands prix de F1, l’un des crashs les plus effroyables et choquants que l’on ait pu voir en Formule 1 depuis un long moment. Des milliers de personnes, dont le pilote français lui-même, doivent se demander comment il a pu en réchapper vivant. Mais cet accident marqua un tournant dans sa vie, tant sur le plan sportif qu’humain, faisant partie à jamais de son patrimoine sportif, pour le meilleur et pour le pire. Il en parle d’ailleurs dans son autobiographie juste parue et coécrite avec sa femme, Marion Jollès Grosjean : « La Mort en Face ».

Les premiers tests en Indycar pour Romain Grosjean après sa convalescence :
Après des semaines entières de réflexion concernant sa reprise des sports automobiles, l’instinct de pilote de course a parlé : Romain Grosjean, qui n’avait pourtant pas prévu de se remettre derrière un volant en compétition accepte de passer des tests en Indycar avec l’écurie Dale Coyn Racing.
Comme il l’a dit au micro de la chaîne Canal+ lors de son reportage « Road Trip », très abouti et très inspirant soit dit en passant et au cours duquel on peut voir le nouveau quotidien du pilote français pour sa première saison en Indycar, la première journée de tests ne fut pas sans appréhension. Logique vu le traumatisme qu’il a subi au volant de sa Haas en novembre dernier. On peut déjà saluer le courage et l’esprit sportif du français pour pouvoir se remettre dans un baquet sur un prototype de course, qui plus est dépourvu de direction assistée tout en ayant des vitesses de pointe pouvant aller jusqu’à 380Km/h ! Ce qui lui fera bien évidemment forcer sur sa main encore brûlée et endolorie.
Mais, lorsqu’il a reçu ses offres pour pouvoir venir faire des tests dans la catégorie préférée des pilotes de Formule 1 retraités (de nombreux anciens pilotes de F1 sont encore en Indycar comme Sébastien Bourdais, Kévin Magnussen, Takuma Sato ou encore récemment Nico Hulkenberg qui effectue des tests avec l’écurie McLaren), un autre pilote français lui a conseillé Dale Coyn pour bien débuter aux États-Unis : Simon Pagenaud. Le dernier français à avoir remporté les mythiques 500 miles d’Indianapolis lui a dit de privilégier ce team pour une raison : « C’est une écurie avec de petits moyens mais capable de faire de grandes choses ».

Et il est vrai que le pilote du Team Penske ne s’est pas trompé pour conseiller Grosjean. En plus de ses talents de pilotages qui ont bluffé son nouvel entourage sportif, qui, malgré le fait qu’ils connaissaient son potentiel, c’est son adaptation rapide à l’écurie qui a le plus surpris. Il est clair que le personnel Dale Coyn Racing ne s’attendait pas à ce qu’il signe de belles performances d’entrée de jeu.
Les débuts de Grosjean font l’unanimité dans le paddock et chez les fans d’Indycar :
Pourquoi était-il raillé à tout bout de champ en Formule 1 pour ses manques de résultats et ses accidents alors qu’il arrive à largement performer dans une autre des disciplines les plus exigeantes des sports automobiles ? Eh bien, aux États-Unis, un élément fait toute la différence par rapport au modèle européen : toutes les écuries disposent de la même voiture. Certes, des bêtises il en a fait plus d’une et la monoplace n’est pas la cause de tout. On se rappelle notamment son erreur en Azerbaïdjan où, sous régime de voiture de sécurité, il s’envoie tout seul, comme un grand, dans le mur juste après le Raidillon du centre-ville. Mais c’est ce qu’on appelle une erreur de pilotage et beaucoup en ont fait ! Il en a peut-être juste fait un peu plus que les autres.
Contrairement à la Formule 1, le prototype est le même pour chaque pilote et il n’y a pas d’évolution à apporter comme on peut le voir. En plus d’éviter les débats et les guerres incessantes dans le paddock (ex : les ailerons flexibles de Red Bull, le système DAS de Mercedes ou maintenant les suspensions qui se redressent en ligne droite chez Mercedes), cela facilite aussi le pilotage car ces derniers n’ont pas à s’adapter à une monoplace qui change régulièrement de comportement et la différence en piste se fera uniquement selon les caractéristiques moteur, la préparation et SURTOUT les qualités de pilotage de la personne derrière le volant. Et cela, pour Romain, représente une énorme différence, lui qui avait du mal à comprendre tous les week-ends sa Haas qui changeait parfois complètement de comportement d’une course à l’autre. De plus, cela rajoute du piment lors des courses car le vainqueur est toujours indécis et cela remplit tous les critères de la mentalité américaine autour du sport : faire en sorte que les évènements sportifs soient un spectacle.
Déjà conquis par l’histoire de Romain Grosjean, le monde de l’Indycar a en plus pu apprécier son pilotage audacieux lors des premières manches de la saison. En effet, pour sa première course à Barber, le français décroche la 7ème place en qualifications et, malgré un départ compliqué étant donné qu’il est différent de tout ce qu’il a pu connaître avant (ce sont des départs lancés en Indycar et non arrêtés sur la grille) où il descend jusqu’à la 13ème place, le français remonte au peloton et finit 10ème. Une bien belle performance pour sa première course en Indycar Series et surtout son premier départ depuis son accident.

Mais le moment où le grand rescapé des flammes nous a le plus surpris reste pour le premier meeting de la saison à Indianapolis. Oui, en ce samedi 14 mai 2021, Grosjean réalise un exploit qu’il n’avait plus accompli depuis la Formule 2 : Décrocher une pole position. Et qui plus est dans une écurie mineure du plateau, le tout avec les meilleurs pilotes dans son groupe pour réaliser les tours : C’est ce qu’on appelle communément la cerise sur le gâteau ! Il se battra ensuite durant toute la course pour conserver sa première place mais il la laissera filer à Veekay qui a bénéficié d’une meilleure stratégie. Grosjean, quant à lui, s’est retrouvé dans le peloton pour sa sortie des stands, ce qui l’a fortement ralenti et a donc permis au jeune pilote hollandais de le rattraper et de s’imposer à Indianapolis.
Les États-Unis, un monde et une ambiance hors du commun :
En plus des caractéristiques de course qui diffèrent entre les États-Unis et l’Europe, l’ambiance au sein du paddock est elle aussi à l’américaine. Pas de motor-homes géants, de grandes structures démontables pour faire des bureaux, de paddock surchargé et uniquement réservé aux professionnels des écuries. Ici, c’est camping et barbecue pour tout le monde !
Que ce soient les pilotes, les ingénieurs, les patrons d’écuries, tout le monde vient avec son camping-car. Bien évidemment, ceux-ci ne sont pas mélangés aux espaces dédiés au public mais les fans peuvent quand même accéder au paddock et se promener au milieu des prototypes et autres mécaniciens en plein travail. Cela permet de rajouter une forte dimension de proximité pour le public et cela plaît au pilote français ! L’ambiance chaleureuse du paddock séduit elle aussi Romain Grosjean. Ainsi, comme ce qu’on a pu voir au Laguna Seca sur la vidéo publiée sur le compte Instagram de Julien Fébreau qui montre Pagenaud ou Grosjean jouer les électriciens après une coupure dans le paddock, les pilotes peuvent rester entre eux et s’amuser les veilles de course, ce qui ne leur enlève pas leur professionnalisme.
Entre l’achat de son camping-car pour la saison avec lequel il a roulé plus de 10 000km cette année, la visite de sa femme et ses enfants qui sont restés tout l’été durant à ses côtés, venant assister à la totalité de ses courses, ses enfants fans de ce pays, ses amitiés avec les français Simon Pagenaud ou Sébastien Bourdais ou même les autres pilotes comme Pat’ O’Ward entre autres, Romain Grosjean a tout pour aimer sa nouvelle vie et s’épanouir entièrement dans le monde de l’Indycar Series.
Mais rappelez-vous qu’avant de prendre le volant pour sa première course de la saison, l’ex-pensionnaire des écuries Haas et Lotus Renault avait une condition : Ne pas courir sur les ovales. Plus dangereux, plus rapides, plus propices aux gros accidents, le rookie ne se sentait pas prêt pour pouvoir concourir sur ce type de circuit. Bien évidemment, entre son esprit de compétition et son envie de courir plus se sont renforcés grâce à son intégration au sein du paddock il en est venu à la conclusion suivante : « Faire une saison mais ne pas s’engager sur 8 épreuves dont une des plus mythiques de l’histoire des sports automobiles [les 500 miles d’Indianapolis] c’est quand même dommage. Alors pourquoi ne pas tenter ? »
La découverte des mythiques circuits ovales pour Romain Grosjean :
C’est pour le meeting de Gateway que Romain Grosjean décide de s’initier aux circuits ovales. Plus dangereux et complètement différents en termes de pilotage, ce type de tracé offre des courses uniques à très haute vitesse, le pilote Dale Coyn Racing doit réapprendre à conduire sa monoplace. Celle-ci est paramétrée et conçue différemment lorsqu’elle court sur ces tracés : Une monoplace d’Indycar Series a le parallélisme véritablement modifié car la voiture est programmée pour tourner toute seule, les roues du côté du virage sont plus volumineuses et les suspensions renforcées sur ce même côté. Ainsi, lors des courtes lignes droites, les pilotes doivent incliner leur volant s’ils veulent que la voiture roule droit et l’avoir presque droit lors des virages.
Après une adaptation compliquée étant donné que cela reste très exigeant comme type de course, notre rookie fera une course spectaculaire au volant de sa monoplace, grattant places par places et enchaînant les dépassements audacieux et spectaculaires. Il terminera la course 6ème, lui qui s’élançais pourtant à la 10ème place et qui avait effectué un départ plus que timide.
Son ressenti sur ces courses était vraiment positif malgré le fait que sa « tête a tourné pendant environ 4h de temps c’était insoutenable » une fois sorti de sa monoplace. Mais cela lui a plu, il s’est amusé et nous pourrons donc le revoir sur les ovales et concourir pour les 500 miles d’Indianapolis la saison prochaine.
Bilan – Saison plus que réussie et de belles perspectives pour l’avenir :
Si on doit dresser un bilan sur la saison de Romain dans sa nouvelle discipline, je pense qu’on peut dire qu’elle a été particulièrement réussie et même bien au-dessus des attentes de n’importe qui. Avec une pole position et 3 podiums en Indycar Series, l’ex-pilote Haas peut se réjouir et se féliciter de la saison monstrueuse qu’il a réalisée. Cette saison a notamment pu effacer l’image que les fans de Formule 1 pouvaient avoir de lui et il a ainsi prouvé l’étendue de son talent.

Son audace, son panache, son sang-froid, ses performances et ses dépassements tous plus spectaculaires les uns que les autres lui auront permis de s’attirer non seulement les amitiés et l’admiration du public et des autres pilotes mais il a aussi attisé la convoitise des plus grosses écuries du championnat. Ainsi, après avoir passé une très belle année chez Dale Coyn Racing, Romain Grosjean a signé un contrat à plein temps chez l’écurie éponyme Andretti Autosport dirigée par l’ancien champion du monde de Formule 1 Mario Andretti. Ce contrat censé durer deux saisons sera l’occasion pour Romain de courir auprès du petit prodige de la discipline, Colton Herta. Entre ce nouveau contrat et sa famille qui vient le rejoindre pour s’installer définitivement aux États-Unis, on peut imaginer que sa carrière de pilote est loin d’être finie. Et qui sait… S’il allait gagner les 500 Miles maintenant qu’il a une monoplace qui lui permet de jouer les premiers rôles ? De quoi vivre le rêve américain.
Crédit photo : @grosjeanromain