Les sports de contact n’ont pris en compte que récemment la gravité des commotions cérébrales. Si, dans les sports individuels, la responsabilité personnelle prime encore, dans les sports collectifs, de nombreuses plaintes sont déposées et les ligues se doivent de réagir. La NFL doit donc faire face à ce fléau inévitable pour assurer la santé future des joueurs. Le CCS retrace l’évolution de cette prise de conscience.

Les faits
La plupart des commotions se produisent sans perte de connaissance. Plusieurs rapports montrent qu’un nombre croissant de joueurs retraités qui ont subi des commotions cérébrales ont développé des problèmes cognitifs et de mémoire. On retrouve différentes pathologies : démence, maladie d’Alzheimer, dépression et encéphalopathie traumatique chronique (ECT). L’ECT est une maladie dégénérative du cerveau et est associée à des traumatismes crâniens répétés comme les commotions cérébrales.
Il y a différents symptômes à reconnaitre dans les cas de commotions cérébrales :
- Déséquilibre
- Maux de tête
- Confusion
- Perte de mémoire
- Perte de conscience
- Changement de vision
- Changement d’audition
- Changement d’humeur
- Fatigue
- Malaise
On observe que le nombre de commotions constatées est assez régulier. Dans ce tableau, tous les diagnostics enregistrés en présaison et saison régulière aussi bien aux entraînements qu’en match.
Année | Nombre de commotions diagnostiquées |
---|---|
2012 | 261 |
2013 | 229 |
2014 | 206 |
2015 | 275 |
2016 | 243 |
2017 | 281 |
2018 | 214 |
2019 | 224 |
2020 | 172* |
Chronologie
1994
Le commissaire de la NFL, Paul Tagliabue, crée le comité des traumatismes crâniens légers. Le Dr Elliot Pellman est nommé président bien qu’il n’ait aucune expérience avec les lésions cérébrales. Celui- ci a toujours nié l’existence de risques à long terme des commotions cérébrales. Il est rhumatologue de formation et n’a obtenu son diplôme qu’au Mexique contrairement à ce qu’il prétendait. Il a été poussé à la retraite en 2016 par la NFL mais il officie toujours comme directeur médical aux New York Islanders en NHL.

2002
Le Dr Bennet Omalu, médecin légiste et co-fondateur du Barin Injury Reserach Institute, identifie l’ECT dans le cerveau de l’ancien centre des Pittsburgh Steelers, Mike Webster, 50 ans, qui s’est suicidé. Omalu est le premier à identifier les ECT chez les joueurs de football américain.

Janvier 2005
Le comité des lésions cérébrales traumatiques légères de la NFL constate que le retour au jeu après avoir subi une commotion cérébrale “n’implique pas de risque important de deuxième blessure, que ce soit dans le même match ou au cours de la saison”. Il est toujours piloté par Pellman.
2005 et 2006
Le Dr Omalu identifie l’ECT dans le cerveau des anciens joueurs des Steelers Terry Long et Andre Waters. Tous deux étaient morts par suicide.
2007
Février
Le Dr Pellman quitte son poste de président du comité des traumatismes crâniens légers mais reste membre.
Juin
La NFL organise une conférence médicale sur les commotions cérébrales.
14 Août
La NFL officialise de nouvelles directives sur les commotions cérébrales. Celles-ci incluent une ligne d’assistance téléphonique pour signaler lorsqu’un joueur est forcé de jouer contrairement aux conseils médicaux.
28 octobre 2009 – 4 janvier 2010
Audience du comité judiciaire de la chambre des représentants des USA sur les questions juridiques relatives aux blessures à la tête en foot américain. Le commissaire de la ligue, Roger Goodell, défend sa politique concernant les commotions cérébrales. Le Dr. Ira Casson, l’un des coprésidents du comité sur les traumatismes crâniens légers, nie l’existence d’un lien entre les impacts répétés sur la tête et les lésions cérébrales à long terme.
Mars 2010
Le comité est renommé comité de la tête, du cou et de la colonne vertébrale. Deux nouveaux coprésidents sont sélectionnés et le Dr. Pellman est évincé.
20 octobre 2010
Le commissaire de la NFL, Roger Goodell, publie une note de service aux 32 équipes qui met en garde contre d’éventuelles suspensions pour les contrevenants qui violent les « règles de jeu qui mettent déraisonnablement la sécurité d’un autre joueur en danger. Ils n’ont pas leur place dans le jeu, et c’est particulièrement vrai, en cas de coups à la tête et au cou.”
17 février 2011
L’ancien safety des Bears de Chicago Dave Duerson, 50 ans, se tue avec une blessure par balle à la poitrine plutôt qu’à la tête afin que son cerveau puisse être recherché pour ETC. Des chercheurs de l’Université de Boston découvrent l’ETC dans le cerveau de Duerson, la même maladie que celle trouvée chez d’autres joueurs décédés de la NFL.

2012
19 février
Ray Easterling, 62 ans, ancien safety des Falcons d’Atlanta, se suicide. Une autopsie trouve des signes d’ECT. Easterling avait poursuivi la NFL dans un recours collectif pour des blessures liées à une commotion cérébrale déposé en août 2011.

2 mai
L’ancien linebacker Junior Seau, 43 ans, est retrouvé mort avec une blessure par balle à la poitrine, classée comme un suicide. Des amis et des membres de la famille disent que son suicide a été provoqué par de multiples commotions cérébrales, mais un premier rapport d’autopsie ne révèle aucune lésion cérébrale apparente. Des parties du cerveau de Seau ont été envoyées aux National Institutes of Health (NIH) pour une étude plus approfondie.
7 juin
Un recours collectif regroupant plus de 80 poursuites liées aux commotions cérébrales au nom de plus de 2 000 joueurs de la Ligue nationale de football est déposée devant un tribunal fédéral de Philadelphie. Les joueurs accusent la NFL de négligence et de ne pas avoir informé les joueurs du lien entre les commotions cérébrales et les lésions cérébrales.
30 août
La NFL dépose une requête pour rejeter les poursuites liées aux commotions cérébrales déposées par d’anciens joueurs.
5 septembre
La Fondation des National Institutes of Health annonce que la NFL s’est engagée à faire un don de 30 millions de dollars pour soutenir la recherche sur les conditions médicales des athlètes.
2013
10 janvier
Le NIH publie les résultats de leur analyse du tissu cérébral de Junior Seau confirmant que celui-ci souffrait d’ ECT.
23 janvier
La famille de Seau dépose une plainte pour mort injustifiée contre la NFL, affirmant que le suicide de Seau était le résultat d’une maladie cérébrale causée par des coups violents qu’il a subi en jouant.
29 août
La NFL et d’anciens joueurs parviennent à un accord dans le cadre du recours collectif qui demande à la NFL de payer 765 millions de dollars pour financer les examens médicaux, les indemnisations liées aux commotions cérébrales, la recherche médicale pour les joueurs retraités de la NFL et leurs familles, et les frais de procédure, selon un document judiciaire déposé auprès du tribunal de district américain de Philadelphie. L’accord doit encore être approuvé par le juge chargé de l’affaire, qui compte désormais plus de 4 500 plaignants.
« Cela a été difficile d’en arriver là, mais aujourd’hui, je dirai que je suis très fier que la NFL ait décidé de défendre tous les anciens joueurs qui souffrent de lésions cérébrales. »
Kevin Turner, ancien RB atteint de la maladie de Charcot
13 décembre
Le corps de l’ancien linebacker Jovan Belcher est exhumé afin d’effectuer des tests sur son cerveau. Le 1er décembre 2012, Belcher, 25 ans, a abattu sa petite amie de longue date, puis s’est suicidé.
2014
14 janvier
Un juge fédéral refuse d’approuver le règlement proposé de 765 millions de dollars suite aux commotions subies par des joueurs de la NFL, affirmant qu’il ne croyait pas que des preuves suffisantes avaient été produites pour montrer que le règlement était adéquat.
28 mai
L’ancien QB star des Dolphins de Miami Dan Marino et 14 autres anciens joueurs de la NFL poursuivent la NFL pour commotions cérébrales. Leur procès prétend que la NFL connaissait depuis des années le lien entre les commotions cérébrales et les problèmes de santé à long terme. La star se retire de cette plainte le 3 juin.
7 juillet
Le tribunal du district américain de Philadelphie accorde une approbation préliminaire à un règlement entre les joueurs retraités et la NFL.
30 septembre
Le Dr Piotr Kozlowski publie un rapport sur l’ancien linebacker Belcher , déclarant qu’il avait probablement un ETC lorsqu’il a tué sa petite amie et s’est suicidé en 2012.
22 avril 2015
Un juge fédéral donne son approbation finale à un règlement de recours collectif entre la Ligue nationale de football et des milliers d’anciens joueurs. L’accord prévoit jusqu’à 5 millions de dollars par joueur à la retraite pour des problèmes de santé graves associés à des traumatismes crâniens répétés. Le règlement s’applique à tous les joueurs qui ont pris leur retraite avant le 7 juillet 2014. Elle s’applique également aux membres de la famille des joueurs décédés avant cette date.
« Ce qui compte maintenant, c’est le temps, et de nombreux joueurs à la retraite n’en ont plus beaucoup. J’espère que cet accord sera mis en œuvre sans délai afin que nous puissions enfin commencer à aider ceux qui en ont besoin. »
Kevin Turner
2016
14 mars
Pour la première fois, un haut responsable de la NFL reconnaît publiquement un lien entre le football et l’ECT. Lors d’une table ronde avec le Comité de la Chambre sur l’énergie et le commerce des États-Unis, lorsqu’on lui a demandé s’il existait “un lien entre le football et les troubles dégénératifs du cerveau comme l’ECT”, Jeff Miller, vice-président senior de la politique de santé et de sécurité de la NFL, a répondu ” la réponse à cette question est certainement oui.”
25 juillet
La NFL et la NFL Players Association (NFLPA, syndicat des joueurs) mettent en œuvre une nouvelle politique pour appliquer le protocole sur les commotions cérébrales . Les équipes qui enfreignent la politique sont soumises à des sanctions disciplinaires, à des amendes ou à la perte des choix de draft à venir.
14 septembre
Le commissaire Goodell annonce une initiative visant à accroître la sécurité du jeu, notamment en prévenant, diagnostiquant et traitant les blessures à la tête. Dans le cadre de l’initiative, la ligue et ses 32 propriétaires de clubs fourniront 100 millions de dollars pour soutenir les progrès de l’ingénierie et la recherche médicale, en plus des 100 millions de dollars précédemment promis par la ligue à la recherche médicale et neuroscientifique.
2017
25 juillet
Une étude publiée dans la revue médicale JAMA identifie l’ECT dans 99% des cerveaux de joueurs décédés de la NFL qui ont été donnés à la recherche scientifique – 110 sur 111 anciens joueurs de la NFL. L’étude souligne tout de même un biais potentiel car les proches de ces joueurs peuvent avoir soumis leur cerveau en raison de symptômes cliniques qu’ils ont remarqués durant leur vie.
21 septembre
L’ avocat Jose Baez a déclaré aux journalistes que les résultats des tests effectués sur le cerveau d’ Aaron Hernandez , l’ancien TE des New England Patriots qui a été reconnu coupable en 2015 de meurtre, ont montré un “cas grave” d’ETC (la condamnation a été annulée après la mort de Hernandez en avril 2017). Il existe un documentaire Netflix sur l’affaire dans son entier.
10 novembre
Des chercheurs publient dans la revue Neurosurgery , ce qu’ils disent être le premier cas d’une personne vivante identifiée avec ETC . L’auteur principal, le Dr Omalu, confirme que le sujet de l’affaire, bien que non nommé dans l’étude, était l’ancien joueur, Fred McNeill, décédé en 2015. La seule façon de diagnostiquer définitivement l’ETC est d’effectuer un examen du cerveau après la mort.
12 septembre 2019
La NFL annonce qu’un total de 3 millions de dollars a été mis à disposition dans le cadre du “NFL Helmet Challenge”, dont 2 millions de dollars de subventions pour soutenir le développement d’un prototype de casque et un autre prix de 1 million de dollars pour le gagnant.
25 août 2020
Deux joueurs à la retraite, Kevin Henry et Najeh Davenport, déposent une plainte contre la NFL pour avoir prétendument fait preuve de discrimination contre les joueurs noirs qui ont soumis des réclamations liées à la démence dans le cadre du règlement « historique » sur les commotions cérébrales. Selon des documents judiciaires, les anciens joueurs de la NFL évalués pour une déficience neurocognitive auraient commencé avec une fonction cognitive dégradée s’ils étaient noirs. Ainsi, si un joueur noir et un joueur blanc recevaient exactement les mêmes scores sur une batterie de tests de réflexion et de mémoire, le joueur noir semblerait avoir subi moins de déficience. Et par conséquent, le procès indique qu’il serait moins susceptible d’être indemnisé.
2 juin 2021
La NFL s’engage à mettre fin à la « normalisation raciale », une pratique controversée qui suppose que les joueurs noirs commencent avec un niveau de fonction cérébrale cognitive inférieur à celui des autres joueurs blancs et non noirs, et à examiner les résultats des tests précédents pour déceler les biais dans le processus d’indemnisation des joueurs.
Le plan révisé fait suite à l’indignation du public face à l’utilisation de la « normalisation de la race », une pratique qui n’a été révélée qu’après que deux anciens joueurs de la NFL ont déposé une plainte pour droits civils à ce sujet en 2020. Les ajustements, selon les critiques, ont peut-être empêché des centaines de joueurs noirs souffrant de démence d’être indemnisé à hauteur de 500 000 $ ou plus.
Les retraités noirs auront désormais la possibilité de faire renoter leurs tests ou, dans certains cas, de demander une nouvelle série de tests cognitifs. La grande majorité des joueurs de la ligue (70 % des joueurs actifs et plus de 60 % des retraités vivants) sont noirs. Les changements devraient donc être importants et potentiellement coûteux pour la NFL.
« Nous attendons avec impatience l’approbation rapide par le tribunal de l’accord, qui prévoit un processus d’évaluation neutre pour la race qui garantira l’exactitude et l’équité du diagnostic dans le règlement de la commotion. »
Communiqué de la NFL
Les avocats des joueurs noirs soupçonnent que les hommes blancs étaient indemnisés à deux ou trois fois le taux des Noirs depuis le début des paiements en 2017. Le système de notation binaire utilisé dans les tests de démence (un pour les Noirs, un pour tous les autres) a été développé par des neurologues dans les années 1990 comme un moyen grossier de prendre en compte le contexte socio-économique d’un patient. Les experts disent qu’il n’a jamais été destiné à être utilisé pour déterminer les paiements dans le cadre d’un règlement judiciaire.
Finalement, la prise en charge de la commotion cérébrale par la NFL a été longue à se dessiner. Il a fallu plusieurs drames et des procès pour que les responsables réagissent. Et même après cela, des différences existent toujours entre la volonté de spectacle et la santé des acteurs. Un film avec Will Smith intitulé Seul contre tous retrace le combat de certains dans cette optique. Il est disponible sur plusieurs plateformes pour compléter votre information. Les dernières évolutions sur les différences entre races n’ont été réalisées cette année et montrent qu’il reste encore du travail. Les négociations prochaines avec le syndicat des joueurs devraient encore prendre mieux en compte la gestion des commotions. Mais malheureusement, ce sont toujours les drames qui font avancer les choses et l’anticipation n’est jamais le fort des décisionnaires.