De Clarence Seedorf à Frenkie de Jong en passant par l’inévitable Johan Cruyff, l’Ajax Amsterdam est une référence de la formation mondiale, mais comment le club néerlandais est-il devenu une telle usine à talents ? Analyse d’un modèle quasi-parfait.
Le club aux quatre Ligue des champions a toujours su façonner les pépites de son cru. En témoigne l’ère Van Gaal. Nommé à la tête des Godenzonen en 1991, le technicien affine un modèle déjà bien ancré. Le Pélican instaure la publication de rapports évaluant l’aspect scolaire et les compétences footballistiques. Les joueurs sont habitués à maîtriser plusieurs dispositifs, divers postes et sont analysés en profondeur grâce au TIPS. Ces enseignements sont répétés à la perfection contre le Real Madrid (victoire 2-0) en LDC en novembre 1995. À l’issue de la rencontre, le coach Merengue déclare, admiratif : “L’Ajax n’est pas juste l’équipe des années 90, elle joue un football d’utopie“. Le onze de départ (avec Van der Sar, les de Boer, Blind, Davids, Seedorf, Kluivert, Overmars) est alors presque entièrement composé par des éléments passés par l’académie des Blancs et Rouges.

Les Hollandais connaissent ensuite une période de creux dans les 2000’s. Les Lanciers laissent de côté la formation et se perdent dans des transferts onéreux et peu inspirés. Résultat, sur le pré, les Ajacides déçoivent. En 2010, ces derniers restent sur six saisons sans avoir remporté le championnat et des éliminations en Europe contre Zagreb, le Slavia Prague et Copenhague. Cette mauvaise dynamique est doublée par une forte instabilité. Sept entraîneurs se succèdent entre 2005 et 2010. Dans ces conditions, la légende Johan Cruyff tape du poing sur la table. “Je ne reconnais plus mon Ajax” écrit-il dans une tribune pour le Telegraaf.
Cruyff et la révolution de velours
Le triple Ballon d’Or publie aussi un rapport en 2011 dans lequel il s’en prend à l’état du centre de formation. Le conseil d’administration démissionne quelques jours plus tard. Ces départs permettent d’initier la “révolution de velours”. Au terme d’intenses luttes de pouvoir, Cruyff installe des proches comme Overmars, Wim Jonk, Jaap Stam ou encore Dennis Bergkamp dans l’organigramme. Ces changements favorisent le retour à l’équilibre des comptes, de certains principes et d’un Toekomst novateur et performant.
Partie formation pure et dure
Ainsi, la formation est centrale dans le système Ajax, et cela se traduit de différentes manières. Tout d’abord, l’ensemble des équipes utilisent le système de jeu de l’équipe A et en particulier le 4-3-3. Le centre de formation d’Amsterdam met aussi au centre le futsal et les jeunes pousses ont aussi des séances d’entraînement sur un sol goudronné pour améliorer à la fois le contrôle du ballon et les tacles debouts. Pour les meilleurs joueurs de l’académie, les entraîneurs les habituent à jouer un autre poste pour acquérir de nouvelles qualités. Par exemple, Matthijs de Ligt a été placé au milieu de terrain pour améliorer son jeu de passes et sa réactivité.
“Mais Matthijs était tellement fort en défense centrale, que c’était dangereux pour sa progression. On voulait le faire progresser sur son utilisation du ballon, sur le fait qu’il doive créer de l’espace avec ses relances, qu’il accélère le jeu, qu’il se développe techniquement.”
Ruben Jongkind, formateur à l’Ajax
Mais là où le centre de formation de l’Ajax se démarque, c’est qu’il met l’humain au centre du projet. En effet, l’académie ajacide utilise la méthode TIPS, Technique, Insight ( = “lucidité”) , Personality and Speed chacune de ces catégories est discrétisée en 10 sous-parties et chaque jeune a un carnet avec ses notes, il peut ainsi savoir sur quel point s’améliorer. De plus, il est fortement encouragé pour chaque jeune joueur de pratiquer un autre sport que le foot de manière hebdomadaire pour qu’ils puissent développer leurs capacités sociales.Ensuite, il n’y a pas d’équipes par année mais par des groupes d’âge, suite à cela chaque joueur sera dans une division plus ou moins élevée (en âge) selon ses besoins. De plus, il y a un roulement bimensuel des coachs pour éviter le “coach-roi” tout puissant qui a le contrôle total sur sa génération.
Côté terrain, le recentrage sur la formation coïncide avec les retours des trophées nationaux et des exploits européens. Entre 2011 et 2021, les Lanciers ont décroché 6 fois l’Eredivisie. À l’échelle continentale, les Ajacides ont gratifié le public d’épopées marquées par le sceau du Toekomst. Ainsi, en 16/17, l’Ajax arrive en finale de l’Europa League (première finale européenne depuis 1996). Au sein de cette équipe se trouvent quelques pépites polies à 600 mètres de la Johan Cruyff Arena (Dolberg, De Ligt, Sanchez, Onana). Deux ans plus tard, cette génération, renforcée par De Jong ou Van de Beek, éblouit les observateurs et dispute la demi-finale de la LDC.
Lors de ce superbe parcours, sept titulaires réguliers ont été formés au club. Certains apparaissent comme des symboles des principes de Cruyff. Dans sa jeunesse, De Ligt est par exemple surclassé de deux catégories au vu de sa grande taille. Pour sa part, Mazraoui, est proche de la sortie en raison d’un développement physique tardif. Le défenseur est donc rétrogradé en U14 où sa technique lui permet de se révéler. Aujourd’hui, le latéral droit s’est imposé dans l’effectif de l’Ajax. Le groupe actuel semble d’ailleurs avoir ravivé la flamme d’il y a deux ans. Les Lanciers ont mis du temps à se remettre des départs. Mais cette année, les hommes d’Éric Ten Hag sont de retour sur le devant de la scène.
De nouveaux joueurs formés au club se révèlent inlassablement
Pour se relancer, les Hollandais ont (encore) pu compter sur leurs pépites made in Toekomst. Gravenberch ou Timber émergent progressivement. En LDC, le défenseur se classe même très haut en termes de passes vers l’avant (7éme avec 28) ou dans le dernier tiers. Pas étonnant donc de retrouver les Lanciers en tête du classement des clubs formateurs dévoilé par le CIES (81 joueurs formés à l’Ajax évoluent dans les 31 premières divisions membres de l’UEFA). Ces jeunes sont épaulés par des éléments expérimentés (Tadic, Klassen) et des joueurs recrutés par une cellule plus inspirée. Ainsi, Haller et Anthony sont en feu depuis le coup d’envoi de la saison. Le premier a déjà inscrit neufs buts en LDC. Le second est le meilleur passeur de la compétition (5 offrandes). Le jeu entreprenant des Ajacides semble de nouveau capable de malmener n’importe quel adversaire. Dortmund, quart de finaliste de LDC l’an passé, en a fait les frais (4-0 ; 1-3) récemment.


Ces bonnes performances se traduisent en chiffres. L’Ajax a fait trembler les filets à 58 reprises en 19 matchs toutes compétitions confondues. Aucune équipe européenne ne s’est créée plus d’occasions depuis le début de saison en championnat (11.9/match). Cette virtuosité offensive s’accompagne d’une solidité défensive. Depuis la claque reçue contre le PSV en Supercoupe (0-4) en août, les Lanciers n’ont encaissé que cinq buts. Dire que cette version 21/22 est plus forte demeure peut-être encore prématuré. L’hypothèse est en tout cas posée par le journaliste néerlandais Jean-Paul Rison dans une interview accordée à Eurosport. Quoi qu’il en soit, l’Ajax dispose des armes nécessaires pour réaliser un formidable parcours en LDC.

Un nouveau danger : l’entourage
Cependant, le football des années 90 et celui de nos jours à changer sur de nombreux secteurs et ce n’est pas forcément au profit du club d’Amsterdam. En effet, la starification des joueurs a créé de nombreux entourages véreux et en particulier des agents qui préfèrent des joueurs enchaînant les clubs plutôt que des joueurs fidèles pour toucher des commissions toujours plus élevées.Et lorsqu’on parle d’agent de joueurs, un seul revient forcément : Mino Raiola. L’agent est largement implanté aux Pays-Bas, et en particulier à l’Ajax Amsterdam.
Liste non-exhaustive de joueurs gérés par Raiola et qui jouent ou ont joués à l’Ajax |
de Ligt |
Ibrahimovic |
Gravenberch |
Justin Kluivert |
Brobbey |
Bakker |
Mazraoui |
La plupart des ces joueurs ont quitté les lanciers quelques mois après avoir explosé au plus haut niveau. Et nul doute que les agents ont profité de leur explosion pour maximiser leur profit. On se rappelle encore du cirque médiatique entourant le départ d’un joueur comme De Ligt avec des sommes monstrueuses, alors que celui-ci n’avait eu que deux saisons au plus haut niveau. Le cas Gravenbach semble s’orienter dans la même direction cet été avec un joueur au talent énorme que toutes les grandes écuries européennes veulent chez elles. Ces départs constants empêchent l’Ajax de créer une équipe qui peut s’installer au plus haut niveau européen dans la durée. Il semble ainsi compliqué de voir un scénario ajacide dans la lignée de l’équipe des années 90 dans le contexte actuel, seules peuvent apparaître des épopées à l’instar de la saison 2018-2019 et une demi-finale de Ligue des Champions.
(Crédit photo de couverture : fcbarcelonanoticias.com)